Marilyn Monroe pour toujours

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ÉTATS UNIS
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Marilyn pour toujours

 

L’histoire des États-Unis est celle de l’ascension extrêmement rapide de colonies sous domination anglaise au stade de grande puissance mondiale. Les premiers colons débarquent en Virginie au XVIIe siècle, leurs descendants obtiennent leur indépendance à la fin du XVIIIe siècle, les États-Unis s’imposent comme puissance mondiale au XXe siècle. C’est un exemple unique dans le cours de l’histoire. Les raisons, il faut d’abord les chercher dans le peuplement des États-Unis. À la différence des Espagnols et des Portugais dans l’hémisphère sud-américain, les Anglais se sont trouvés ici sur une terre vierge. Sans doute se sont-ils heurtés dès leur arrivée à des Indiens, qualifiés de Sauvages ou de Peaux-Rouges, mais ceux-ci n’ont jamais opposé une véritable résistance à la pénétration des Européens, bien que le folklore leur attribue un caractère sanguinaire. En raison de la relative facilité d’installation, le continent nord-américain a connu une occupation plus rapide que n’importe quel autre territoire situé hors d’Europe: de quelques centaines de milliers d’immigrants à la fin du XVIIe siècle, la population passe à 4 millions au moment de l’Indépendance, 23 millions vers 1850, 76 à la fin du XIXe siècle, plus de 200 millions actuellement. Cette augmentation s’est faite grâce aux courants d’immigration: de 1840 à la Première Guerre mondiale, les États-Unis ont attiré des millions d’expatriés. Cette population est de par ses origines très hétérogène et, au XXe siècle, des tensions ethniques se sont manifestées à l’intérieur de la communauté blanche d’une part, entre celle-ci et les Noirs de l’autre. Aussi longtemps que les immigrants venaient des pays anglo-saxons et de France, l’assimilation s’est faite facilement. Il n’en a plus été de même avec l’arrivée de Méditerranéens, de Slaves, d’Asiatiques, à la fin du XIXe siècle: les différences de langue, de religion et, surtout, de milieu social ont constitué des obstacles. Certaines minorités se sont repliées sur elles-mêmes. Ces difficultés sont mineures en comparaison de ce qu’on appelle le problème noir. Les États-Unis abritent à l’heure actuelle un peu plus de 30 millions de Noirs. Plus de 12 p. 100 de la population américaine est formée de ceux qu’on désigne, avec une nuance de mépris, sous le nom de coloured people. Leur situation fut tragique: citoyens américains par le 14e amendement ratifié en 1868, ils ont longtemps été mis dans l’impossibilité d’exercer leurs droits civiques dans une grande partie du pays. Descendants, pour la grande majorité, des anciens esclaves libérés par Lincoln en 1863, alors qu’ils atteignaient à peine les 5 millions, ils conservent encore le stigmate de leur origine. Amenés d’Afrique il y a plusieurs siècles, ils ont rompu tout contact avec ce continent. Blancs et Noirs sont donc condamnés à vivre ensemble sur le sol américain et à rechercher un modus vivendi acceptable. Les tensions raciales, qui ont toujours existé, se sont aggravées récemment.

La réussite des États-Unis tient également à la richesse du pays, aux possibilités du sol américain, producteur de blé, de maïs, de coton, de riz, support d’un élevage florissant, comme du sous-sol, qui contient en abondance houille et pétrole, zinc et cuivre, fer et uranium, et qui a fourni dans le passé or et argent. Peu de pays sont aussi bien pourvus, encore fallait-il exploiter toutes ces ressources et les mettre au service de la nation. L’instrument en a été le capitalisme libéral, moteur de l’économie américaine. La révolte des insurgents au XVIIIe siècle a moins été une lutte politique qu’une forme de rivalité économique, un soulèvement contre la tyrannie fiscale et commerciale du Parlement britannique. Les colons s’insurgeaient contre la mainmise anglaise sur leur vie économique, en somme contre l’absence de liberté. Dès ce moment, l’initiative américaine s’ingénia à accroître les ressources, tout en satisfaisant le goût du profit qui se trouve en chaque individu. La rareté de la main-d’œuvre eut un double effet: celui de développer la mécanisation dans tous les domaines de la vie économique et celui de maintenir des salaires élevés, condition fondamentale du bien-être matériel. Ainsi se profilent les caractères d’une économie animée par la recherche du profit et l’initiative individuelle, et fondée sur ce que les économistes appellent les labor-saving devices, procédés destinés à diminuer les besoins en main-d’œuvre. Nul pays n’a produit plus de grands capitaines d’industrie: Vanderbilt, Carnegie, Rockefeller, Ford...; nul pays n’atteint en moyenne un tel niveau de vie. Sans doute ce succès matériel a-t-il pour contrepartie un certain nombre d’aspects négatifs: chômage chronique et incompressible, lutte très âpre entre les individus, instabilité des situations personnelles. Mais la mobilité quasi permanente du peuple américain, héritage de l’époque des pionniers, tempère partiellement les imperfections du régime économique. Le capitalisme actuel n’est d’ailleurs plus celui du XIXe siècle: depuis la crise de 1929, le gouvernement fédéral étend son ingérence au domaine économique et a contribué à créer un welfare State, un État providence qui se penche sur le sort des déshérités; ceux-ci représentent, en effet, encore le quart ou le cinquième de la population américaine. Cet acquiescement des Américains à un régime économique qui requiert l’effort tient en partie aux institutions. La Constitution de 1787, ce chef-d’œuvre des Pères de la patrie, a pu s’adapter en souplesse à l’évolution du pays, parce qu’elle avait réussi à établir un subtil équilibre entre les pouvoirs et à concilier l’autorité du gouvernement fédéral avec le désir d’autonomie des États. En réalité, l’esprit de la Constitution s’est fortement modifié à l’usage. Le pouvoir effectif a glissé petit à petit des États à l’État fédéral, dont les attributions se sont considérablement étendues depuis une cinquantaine d’années. Pendant plus d’un siècle, le gouvernement fédéral a fonctionné presque sans bureaucratie et pratiquement sans capitale, tant ces attributs de la souveraineté paraissaient inutiles. Aujourd’hui, la suprématie de Washington est incontestée, mais chaque État demeure jaloux de ce que la Constitution lui reconnaît: la justice, l’éducation, la santé, les impôts indirects (autres que les douanes), l’organisation du travail... et le droit de vote des citoyens. Car tout Américain est citoyen de son État avant de l’être de la République fédérale. Ce qui explique, en particulier, pourquoi les Noirs peuvent tantôt voter, tantôt non. Ce partage délicat d’attributions engendre parfois des injustices flagrantes, tel malfaiteur par exemple se réclamant des lois de son État pour échapper à la justice fédérale. Il n’en subsiste pas moins un équilibre qui, à travers les métamorphoses du pouvoir fédéral, a sauvegardé la liberté et donné aux Américains le sens de la démocratie libérale. Cet épanouissement rapide de la nation américaine a modifié complètement ses rapports avec ses voisins et les pays européens. À la fin de son mandat présidentiel, George Washington demandait à ses compatriotes, dans son message d’adieu, de se mêler le moins possible des affaires de l’Europe qui, disait-il, «ne nous concernent pas». Cette recommandation du Père de la patrie fut scrupuleusement suivie par ses successeurs et reçut une confirmation dans la déclaration de Monroe, énoncée à la suite des visées de l’Europe sur l’Amérique latine et des ambitions de la Russie sur le continent nord-américain. Cette «doctrine» inspira le gouvernement fédéral tout au long du XIXe siècle, à un moment où les tâches intérieures l’emportaient, de loin, sur les aventures du dehors. Cependant, une fois la «Frontière» disparue, aux environs de 1890, les États-Unis deviennent une puissance impérialiste. Dès 1898, ils prennent part à la curée de l’empire espagnol, acquièrent à leur tour des colonies (Cuba, Porto Rico, les Philippines). Le président Theodore Roosevelt sert de médiateur entre les Japonais et les Russes et réussit à leur faire signer le traité de Portsmouth (5 sept. 1905). Dès lors, les États-Unis sont prêts à rejoindre le camp des autres grandes puissances et à jouer un rôle mondial. C’est ainsi qu’ils entrent en guerre aux côtés des Alliés pendant le premier conflit mondial, mais qu’ils déclinent leurs obligations au moment de la signature des traités de paix, et tentent alors de se replier sur eux-mêmes. Dans la Seconde Guerre mondiale, ils sont, non plus un allié, mais le pivot de la coalition. Depuis 1945, ils ne peuvent plus esquiver leurs responsabilités internationales, en Europe, en Corée, au Vietnam, dans le Proche-Orient, et prennent un visage nouveau, celui d’oppresseurs pour les uns, de libérateurs pour les autres. À leur tour, ils sont entraînés par les contradictions qui résultent inévitablement de cette politique. Peut-on à la fois soutenir les gouvernements en place et se faire passer pour le défenseur de la liberté? Peut-on envoyer des marines au secours de gouvernements corrompus et défendre la démocratie? Un siècle et demi après leur acte de naissance, les États-Unis sont devenus la première puissance mondiale, à la fois par leur richesse, leur avance technique, leur force militaire. Cette ascension subite, avec les responsabilités qu’elle sous-entend, a créé une crise de conscience au sein de la nation américaine, et les remous actuels en sont la manifestation aussi révélatrice que passagère.

1. Découvertes et explorations

Le continent nord-américain entre assez tard dans l’histoire, par rapport à l’Amérique centrale et méridionale. Les «grandes découvertes» ont, en effet, pratiquement ignoré les immenses espaces situés au nord du golfe du Mexique, reconnu par Hernán Cortés au cours de son voyage de 1519. Les premiers explorateurs furent des Espagnols qui découvrirent la floride et le «Nouveau Mexique». En 1513, Ponce de León croisa le long des côtes de floride, sans pourtant s’avancer à l’intérieur du pays. Un peu plus tard, en 1528, Narváez explora la partie septentrionale du golfe du Mexique, de la Floride jusqu’au Texas. À la recherche d’or, Hernando de Soto traversa le sud-est du continent, allant de l’actuel État de Georgie vers l’Ouest, jusqu’au Mississippi. Partant du Mexique, Vázquez de Coronado parcourut les présents États d’Arizona, du Nouveau-Mexique et du Texas, pour constater que ces territoires, dépourvus d’or, intéressaient peu les Espagnols. Ces premières explorations aboutirent donc à une grande déception, qui explique l’établissement relativement tardif des Espagnols dans ces régions. Le premier poste permanent fut fondé à Saint Augustine, en floride, en 1565, point de départ de missions établies le long des côtes. Vers l’ouest, la pénétration espagnole gagna d’abord le Nouveau-Mexique et l’Arizona, où des missions et encomiendas étaient établies dès la fin du XVIe siècle, puis le Texas, partiellement occupé au XVIIe, enfin la Californie où, parties du sud, les missions remontèrent jusqu’à Sonoma à la fin du XVIIIe siècle. La France et l’Angleterre s’intéressèrent à l’Amérique du Nord dès la fin du XVe siècle, mais, découragées par les résultats, cessèrent rapidement toute tentative. Les voyages de Cabot et de Verrazano permirent d’explorer les côtes, du Saint-Laurent à la Caroline du Nord, ceux de Jacques Cartier amenèrent la découverte de ce qui allait devenir le Canada. Pour les contemporains, avides de métaux précieux, ces régions ne présentaient aucun intérêt.

Cependant, la présence au large de ces côtes de bancs très poissonneux attira, dès le début du XVIIe siècle, un nombre croissant de pêcheurs, français au nord, hollandais au centre, de part et d’autre de l’embouchure de l’Hudson, suédois au sud, dans ce qui allait devenir le Delaware et la Pennsylvanie. Des contacts s’établirent avec les Indiens, Hurons et Penobscots au nord, Algonquins au centre, Delawares au sud. En 1609, Henry Hudson, Anglais au service de la Compagnie hollandaise des Indes orientales, fonda à l’extrémité de la presqu’île de Manhattan, sur un emplacement déjà reconnu par Verrazano, le poste de Nouvelle-Amsterdam. Des colons hollandais vinrent s’y établir après que le gouverneur Peter Minuit eut acheté l’île pour 24 dollars aux Algonquins en 1624. La fondation de Québec date de 1608, et les premiers établissements suédois de 1638. Des échanges s’instaurèrent avec les populations locales qui demandaient objets et instruments en métal, armes et eau-de-vie, en échange de fourrures, très prisées en Europe. L’essor de la colonisation coïncide avec l’entrée en scène d’un concurrent nouveau, l’Angleterre, à la fin du XVIe siècle. Dans la lutte contre l’Espagne, l’Amérique du Nord, dont l’importance avait été reconnue par Humphrey Gilbert, constituait une position de premier ordre. Ainsi s’expliquent les missions confiées à Walter Raleigh en 1585 et 1587, le débarquement de colons dans l’île de Roanoke et leur mystérieuse disparition, sans doute sous les coups des Indiens. Le XVIe siècle se terminait donc sans que les Anglais eussent réussi à s’installer sur le continent, mais ils allaient prendre leur revanche peu de temps après. En 1607, un groupe de marchands, muni d’une charte au profit de la Virginia Company of London, débarqua dans l’estuaire de la James River et y fonda la ville de Jamestown. Ce fut le début de la colonie de Virginie. En 1620, un groupe de puritains, embarqués sur la Mayflower, aboutit au cap Cod et établit la première colonie de Nouvelle-Angleterre. Partie dernière dans la course coloniale, l’Angleterre rattrapa rapidement son retard. Profitant des conflits internationaux, elle élimina successivement les Suédois, les Hollandais (New Amsterdam tomba entre ses mains en 1674) et, plus lentement, les Français, dont les possessions furent progressivement rognées au XVIIIe siècle. Dans le même temps, des émigrants débarquaient et peuplaient la plaine côtière: puritains chassés par la réaction anglicane, anglicans et catholiques chassés par la réaction puritaine, huguenots expulsés après la révocation de l’édit de Nantes, Hollandais victimes des crises politiques des Pays-Bas. Sous la diversité de ces apports successifs et la multiplicité des sectes religieuses existait un lien: la résistance à l’oppression sous toutes ses formes. Tous avaient fui l’Europe en raison de leurs convictions religieuses ou politiques, pour défendre la liberté. De là, le caractère nouveau des colonies créées sur les 3 000 kilomètres de côtes séparant la Floride de la Nouvelle-France.

2. La période coloniale

Assez vite, chacune des treize colonies prit une physionomie originale, favorisée par une large autonomie. Elles eurent leur régime propre, différent l’un de l’autre, et si elles conservaient des rapports lointains avec Londres, elles n’avaient aucun lien entre elles. Certaines étaient colonies de la Couronne, d’autres colonies à chartes, d’autres encore colonies de propriétaires. Mais toutes avaient des institutions analogues: un gouverneur, choisi parmi les vieilles familles et représentant la Couronne; une assemblée, élue par les propriétaires et chargée de voter les impôts.

Diversité régionale

Le groupe du Sud – Maryland, Virginie, Caroline du Nord, Caroline du Sud et Georgie – vit de l’exploitation du sol, divisé en plantations sur lesquelles travaillent des esclaves noirs sous la surveillance d’intendants (overseers). Le Sud est une région semi-tropicale, favorable à la grande culture de produits complémentaires de ceux de l’Europe ou nouveaux: tabac, maïs, riz, indigotier et, surtout, plus tard, le coton. Les conditions climatiques y rendent le travail très pénible pour des Européens, qui ont préféré importer depuis 1618 des Noirs d’Afrique, vendus comme esclaves par les puritains du Massachusetts ou du Rhode Island sur les marchés locaux ou antillais. La société sudiste est ainsi compartimentée en trois groupes: les Noirs, esclaves, privés de droits; les planteurs, constituant une aristocratie financière et politique; les Blancs pauvres, pourvus de droits mais dépourvus d’influence. Le groupe du Nord – Nouvelle-Angleterre, Rhode Island, Massachusetts, New Hampshire et Connecticut – est peuplé à l’origine par des puritains et des dissidents fuyant la persécution des Stuarts. La vie quotidienne y est profondément marquée par une morale religieuse très rigide, l’esprit d’intolérance à l’égard des chrétiens non calvinistes et l’hospitalité offerte aux juifs. La théocratie a marqué le gouvernement local, la vie intellectuelle (collège de Harvard, 1636), les relations sociales. Sol et climat rendent aléatoire l’agriculture, qui cède ici la première place au trafic des ports (rhum, mélasses, esclaves) et à de nombreuses activités artisanales (petits ateliers de poterie, d’orfèvrerie, constructions navales). Aussi la vie urbaine y est-elle plus développée que dans le Sud, avec une métropole connue pour son austérité, Boston. Le groupe du centre – New York, New Jersey, Pennsylvanie et Delaware – est le plus mêlé du point de vue ethnique, car la vallée de l’Hudson a été colonisée par des Hollandais, le Delaware par des Suédois et la Pennsylvanie par des quakers aux mœurs simples et aux idées tolérantes. La position centrale en fait une région de contacts entre le Nord et le Sud, et c’est là que se sont développées les deux grandes villes, New York et surtout Philadelphie, la plus belle et la plus grande ville d’Amérique, avec son plan régulier, imposé par William Penn, et une activité intellectuelle sans rivale.

Une double menace

Les Indiens, peu nombreux sans doute le long de la côte, sont toujours présents. À leur égard, les colons adoptèrent des attitudes différentes, allant de la franche hostilité des puritains, qui les considéraient comme des suppôts de Satan, à la bonté des quakers, les seuls à les traiter sur un pied d’égalité. Les Indiens apprirent aux nouveaux venus à cultiver le maïs (Indian corn), le tabac, le potiron, et reçurent en échange le cheval, les armes à feu, les métaux, mais furent atteints par la syphilis et d’autres maladies contagieuses. Le grand sujet de friction était la possession du sol, que revendiquaient les colons par droit de conquête et que leur refusaient les Indiens, ignorants de ce qu’était la propriété individuelle. À la différence des Français et des Espagnols, les Anglo-Saxons se mêlèrent peu aux populations locales et préférèrent les repousser vers l’Ouest au prix de guerres qui se traduisaient, en fait, par des escarmouches continuelles. Ainsi apparaît très tôt la Frontière et se crée un folklore qui remplace le vide culturel de l’Amérique. D’autres Européens, Espagnols et surtout Français, installés au Canada, cherchent à développer un empire continental qui, par la vallée du Mississippi, rejoigne la Louisiane. Les colons anglais redoutent l’asphyxie qui résulterait de cet encerclement. Dès la fin du XVIIe siècle, une lutte s’engage entre les deux puissances pour la domination du continent et tourne à l’avantage de l’Angleterre qui élimine progressivement son adversaire, du traité d’Utrecht (1713) à celui de Paris (1763). Les Espagnols de Floride et du Nouveau-Mexique ne présentaient aucun danger, et les progrès russes le long de la côte du Pacifique sont trop lointains pour être connus. Si les colons furent reconnaissants aux Anglais d’avoir chassé les Français, ils supportaient de plus en plus difficilement leur tutelle et leur pression fiscale. De là un conflit qui allait entraîner la rupture avec la mère patrie.

La rupture avec l’Angleterre

L’élimination de la France, à laquelle les colons avaient contribué avec leurs milices, avait fait disparaître tout danger immédiat et rendait donc quasi inutile et vexatoire la présence des troupes anglaises. Mais, en même temps, le gouvernement de Sa Majesté estimait légitime de répartir entre tous ses sujets les charges financières nées de la guerre et de remettre en vigueur le pacte colonial. Toutes ces mesures furent jugées illégales par les colons qui n’avaient pas été consultés: tout impôt nouveau, disaient-ils, doit avoir été accepté par les intéressés. À quoi les Anglais répondaient que le Parlement représente tous les sujets de Sa Majesté et peut donc les taxer. Dès 1765, les esprits s’échauffent de part et d’autre de l’Atlantique, sans que les colons songent toutefois à la rupture: ce qu’ils désirent, c’est seulement être reconnus comme des citoyens à part entière. Le Parlement de Londres, sensible à ces arguments, supprima en 1770 tous les impôts en litige, sauf un, le droit sur le thé. Ce succès, qui ne réglait pas le problème essentiel, celui du droit du Parlement de taxer ses sujets britanniques outre-mer, ne produisit pas l’apaisement escompté. Des incidents éclatèrent entre colons et troupes britanniques et culminèrent avec la «partie de thé de Boston» (16 déc. 1773) au cours de laquelle un groupe de colons travestis en Indiens jeta à la mer une cargaison de thé récemment amenée par la Compagnie des Indes. Le gouvernement anglais répondit par les «lois intolérables» (intolerable acts) qui fermèrent le port de Boston et abolirent les franchises du Massachusetts. Toutes les colonies se rangèrent derrière le Massachusetts et décidèrent d’envoyer des délégués au premier Congrès continental, réuni à Philadelphie en septembre 1774. Il adopta une résolution conciliante: le Parlement de Londres n’avait aucun pouvoir fiscal sur les colonies, qui acceptaient cependant de reconnaître sa compétence en matière commerciale. De part et d’autre, les esprits s’échauffent, car à la résistance des colons, le gouvernement anglais répond par l’envoi de nouvelles troupes, sans croire encore à une rupture. Du côté des colons, les milices se rassemblent et s’entraînent, des législatures révolutionnaires s’improvisent, des armes sont réunies. Quand des troupes anglaises sont chargées de récupérer celles qu’elles savent être cachées à Concord, près de Boston, elles sont accueillies à coups de fusil et obligées de se retirer précipitamment. Cette «bataille» de Lexington (19 avr. 1775), suivie de celle de Bunker Hill (17 juin 1775), est le signal de la rupture.

3. Guerre d’Indépendance ou révolution américaine?

Les historiens américains ont coutume de qualifier de révolution la sécession avec la mère patrie; ceux des autres pays préfèrent parler d’indépendance. Comment trancher ce débat?

Les opérations militaires

Le conflit a mis aux prises des effectifs limités dans des campagnes de type colonial. Les insurgents ne pouvaient compter que sur les milices, mal entraînées, insuffisamment armées, formées à la lutte contre les Indiens, mais non à celle contre des troupes régulières, comme l’étaient les régiments britanniques. Elles manquaient d’approvisionnements, de munitions, habituées qu’elles étaient à dépendre de l’Angleterre. Le second Congrès continental, rassemblé à Philadelphie en mai 1775, choisit comme commandant en chef George Washington, un planteur de Virginie, qui avait fait l’apprentissage de la guerre en combattant contre les Français quinze ans plus tôt. Il comprit la nécessité de rechercher un allié, qui ne pouvait être qu’une puissance maritime, et choisit la France, désireuse de prendre sa revanche sur les humiliations subies de la part de l’Angleterre au cours du siècle. La victoire des troupes américaines sur celles de Burgoyne, à Saratoga (17 oct. 1777), et la persuasive insistance de Benjamin Franklin, envoyé comme ambassadeur à Paris, entraînèrent l’intervention française. Une alliance fut signée le 6 février 1778, en vertu de laquelle les deux alliés s’engageaient à ne pas signer de paix séparée. La France apportait son appui militaire, avec un corps expéditionnaire commandé par Rochambeau, l’aide des flottes d’Estaing et de De Grasse, l’alliance espagnole. En outre des patriotes allèrent au secours des insurgents, comme Lafayette, comme les Polonais Kosciusko et Pulaski, ou, plus simplement des spécialistes, comme le Prussien von Steuben. L’appui moral, puis matériel, de la France survint au moment où les troupes américaines connaissaient une crise de découragement dans leurs quartiers d’hiver de Valley Forge, aux portes de Philadelphie. Les Français apportaient surtout une force navale, seule capable de briser le blocus des Anglais et de leur arracher la maîtrise des mers, condition du succès. Ainsi s’explique la victoire de Yorktown (19 oct. 1781), décisive dans la mesure où elle mettait fin à la résistance de l’armée et de la flotte britanniques. Les Américains avaient gagné leur indépendance, après une guerre de type classique et avec l’appui de l’ennemie héréditaire de leur mère patrie.

La révolution politique

Sur le plan politique, l’importance de la décision américaine ne saurait être sous-estimée: les treize colonies sont les premières à s’être libérées de la tutelle européenne et forment le premier pays à s’être donné une constitution écrite, à appliquer les principes qui, de Locke à Montesquieu, ont inspiré les gouvernements modernes. La déclaration d’indépendance, rédigée par Thomas Jefferson et adoptée par le second Congrès continental le 4 juillet 1776 – date devenue depuis celle de la fête nationale (Independence Day) –, rappelait les griefs des colons contre l’Angleterre et énonçait un certain nombre de principes: gouvernement fondé sur un contrat entre les intéressés, obligation pour ce gouvernement de protéger les droits naturels, devoir pour le peuple de refuser l’obéissance si ces principes ne sont pas respectés. Après celle du Parlement, les Américains rejetaient l’autorité du roi d’Angleterre. En ce sens, il s’agissait véritablement d’un acte révolutionnaire, le premier d’une longue série qui, par la Révolution française et le mouvement des nationalités, allait conduire à la Révolution russe de 1917. La Déclaration d’indépendance a posé les principes qui guidèrent ultérieurement tous les mouvements d’émancipation. Tout aussi révolutionnaire fut l’adoption d’une constitution écrite. Pendant la guerre, le Congrès continental avait exercé les fonctions de gouvernement, par consentement tacite de ses membres. Il prépara une constitution, les «Articles de confédération», inspirés de sa propre expérience et acceptés par tous les États, sauf le Maryland, en 1779. Chaque État conservait sa souveraineté et déléguait au Congrès, formé de mandataires nommés, des droits limités: déclarer la guerre et conclure les traités, nommer les ambassadeurs, créer une monnaie, régler les relations avec les Indiens et résoudre les conflits entre États. Tant que dura la guerre, le gouvernement assuma ses fonctions tant bien que mal. Mais après le traité de Versailles, il révéla ses faiblesses: absence d’un exécutif, règle de l’unanimité dans les votes, manque de continuité. Les nouveaux États sont en proie à l’anarchie, paralysés par des conflits internes, limités par le manque de ressources et le poids des dettes, humiliés à l’extérieur par les Anglais, les Espagnols et même les Barbaresques d’Afrique du Nord. C’est pourquoi les États, à l’exception du Rhode Island, s’entendent pour envoyer des délégués à une Convention qui se réunit à Philadelphie le 25 mai 1787, «pour aviser aux dispositions qui leur sembleraient nécessaires pour rendre la Constitution du gouvernement fédéral adéquate aux exigences de l’Union». Les débats se déroulèrent jusqu’au 17 septembre 1787, en secret, sous la présidence de Washington. La base de discussion fut un plan de James Madison, prônant l’équilibre entre les pouvoirs de l’État fédéral et ceux des États et l’indépendance de chaque branche, avec, d’ailleurs, une grande souplesse.

La Constitution de 1787

La Constitution instaure pour la première fois un gouvernement fédéral fondé sur un partage des compétences: il est souverain pour la politique extérieure, la défense, le commerce avec l’étranger et entre les États, ces derniers conservant leur souveraineté dans tout ce qui n’est pas expressément délégué, comme la justice, la protection des droits individuels, l’instruction. L’Américain est citoyen de son État en même temps que citoyen de l’État fédéral; il participe donc à la vie politique de l’un et de l’autre, innovation de grande portée en droit constitutionnel. La répartition des pouvoirs est conçue selon une très stricte séparation. L’exécutif est confié à un président, élu pour quatre ans, et rééligible, assisté d’un vice-président, élu dans les mêmes conditions. Ils sont assistés de secrétaires – nous dirions de ministres – choisis obligatoirement hors du législatif. Les pouvoirs du président sont très étendus, puisqu’il est à la fois chef de l’État et chef du gouvernement, commandant en chef de l’armée, de la marine et des milices d’États, qu’il nomme les ambassadeurs, juges et officiers, conclut les traités, avec l’approbation du Sénat, et promulgue les lois. Le législatif appartient au Congrès, composé du Sénat et de la Chambre des représentants. Le premier représente les États qui, quelles que soient leur taille et leur population, délèguent chacun deux élus. La Chambre des représentants est l’émanation des citoyens, à raison d’un représentant pour 30 000 citoyens, à l’origine. Ce système est issu d’un compromis entre grands et petits États, ceux-ci craignant d’être écrasés. Rhode Island et Georgie sont donc à égalité au Sénat, mais représentés proportionnellement à leur population à la Chambre. Les sénateurs sont élus pour six ans et rééligibles par tiers tous les deux ans, les représentants pour deux ans seulement. Le législatif vote les impôts, établit le budget, propose les lois au président qui les signe, approuve les traités, à condition qu’une majorité des deux tiers se soit prononcée au Sénat, qui se transforme en haute cour en cas de trahison du président (impeachment).

Le judiciaire constitue la plus grande originalité de cette Constitution. Il est confié à une Cour suprême qui a pour fonction de garantir les droits des individus, de juger de tous les cas relevant de l’equity pouvant se poser entre des citoyens et l’État fédéral, ou entre citoyens de divers États, et, surtout, d’interpréter la Constitution. Le pouvoir judiciaire est supérieur aux deux autres dans la mesure où les actes de l’exécutif ou du législatif peuvent lui être déférés. Il existe ainsi un véritable pouvoir des juges, qui sert de contrepoids à la puissance des deux autres. C’est ce que les juristes ont appelé le «système des checks and balance». Libérale, cette Constitution ne pouvait passer pour démocratique. Implicitement, elle laissait à chaque État le soin de décider du mode de suffrage, et aucun n’avait encore reconnu le suffrage universel. Dans le calcul du nombre des représentants, les esclaves étaient comptés pour les trois cinquièmes de leur total, et on ajoutait ce chiffre à celui des citoyens libres, les Indiens exclus, ce qui avantageait les États du Sud, déjà les plus étendus et les plus peuplés. Pour assurer la pérennité de la Constitution, une procédure très souple d’amendements était prévue: proposés par les deux tiers du Congrès, ils devaient être ratifiés par les trois quarts des États avant d’être acceptés. Pour entrer en vigueur, la Constitution devait être acceptée par neuf États sur treize, mais il était illusoire de l’appliquer sans avoir le consentement des «grands» – Massachusetts, Pennsylvanie, New York et Virginie: ils l’acceptèrent (les deux derniers en juin et juillet 1788). À ce moment, la plupart des petits États avaient déjà donné leur acceptation, si bien que la Constitution entra en vigueur en janvier 1789, sans plus attendre le Rhode Island, qui y adhéra le 29 mai 1790. Le 4 mars 1789, George Washington fut élu président de la République, inaugurant, en même temps que son mandat, une nouvelle période dans l’histoire des États-Unis.

4. L’occupation du continent et son peuplement

En 1789 est né un nouvel État qui va en un siècle devenir une des grandes puissances mondiales et, en un siècle et demi, l’un des deux «Grands». Comment s’est faite cette prodigieuse ascension? D’une part, à la suite de l’extension vers l’ouest des treize États originels qui repoussèrent les frontières successives jusqu’à la côte du Pacifique ; de l’autre, par un affermissement du régime et des institutions, au prix de crises qui ont mis en jeu l’existence même de l’Union.

Le mécanisme de l’expansion vers l’Ouest

En 1789 comme trente ans plus tôt, les États-Unis occupaient une bande de terrain située entre la côte atlantique et les Appalaches, mais plusieurs dizaines de milliers de pionniers avaient déjà franchi ces monts. Qu’allait-on faire des territoires entre Appalaches et Mississippi, sur lesquels plusieurs États avaient affirmé leurs prétentions? Après discussion, ils en firent abandon à l’Union, et celle-ci en scella le sort dans la grande ordonnance de 1787, contemporaine de la Constitution. Les régions de l’Ouest pourraient former des territoires qui, une fois les 60 000 habitants atteints, pourraient être admis comme États dans l’Union, sur un pied d’égalité avec les États fondateurs. Formule très souple et libérale qui, plus que le cadre constitutionnel, allait démocratiser le pays. Dès cette époque, et pour un siècle, sont fixés les grands traits de la Frontière, cette zone pionnière dans laquelle s’établissent des colons en quête de terres et de liberté, plus soucieux d’efficacité que de légalité. Sans admettre totalement la thèse de Frederick Jackson Turner sur le rôle de la Frontière dans la formation de la démocratie américaine, on peut reconnaître son importance dans la psychologie des individus. Le pionnier doit affronter un monde nouveau, étranger à la civilisation, éloigné des centres urbains, exposé au danger des Indiens; au fur et à mesure de l’avance du front pionnier, ceux-ci étaient dépouillés de leurs terres et rejetés vers l’ouest. En 1763, on pouvait encore penser que les Appalaches seraient une barrière avec le monde inconnu des Indiens. Mais pas plus qu’aucune autre chaîne montagneuse les Appalaches n’étaient infranchissables, si bien qu’il fut nécessaire de passer de nouveaux traités avec les nations indiennes: dès les premières années de la République, les traités de Fort Stanwix avec les Iroquois, de Fort McIntosh avec les Chippewas, Ottawas et Delawares, de Hopewell avec les Cherokees, Choctaws et Chickasaws, et bien d’autres, avaient tenté de cantonner les Indiens et de les soustraire à l’exploitation des colons. Mais les frontières fixées par ces traités étaient violées avant même que le traité n’eût été signé, tellement était irrésistible et incontrôlable l’avance des pionniers. Au mieux, le gouvernement fédéral n’eut que quelques milliers d’hommes pour surveiller des milliers de kilomètres carrés de no man’s land où tous les abus étaient tolérés. Devant l’avance désordonnée de ces pionniers apparut une nouvelle solution, celle de déporter les tribus indiennes au-delà du Mississippi, dans ce qui reçut le nom générique d’Indian Territory. De 1800 à 1835, pratiquement toutes les tribus de l’Est furent déportées, dans des conditions de transport et d’installation effroyables, dans leur nouvelle patrie, attribuée «pour toujours». Seuls quelques Iroquois, Cherokees et Séminoles échappèrent au sort commun, soit par la ruse, soit par la force. La place était libre pour l’installation des Blancs, et de nouveaux États furent successivement admis dans l’Union: Vermont (1791), Kentucky (1792), Tennessee (1796), Ohio (1803).

L’application de la Constitution et les partis politiques

Dans l’euphorie de l’Indépendance et oublieux de l’expérience britannique, les Pères de la patrie avaient songé à un développement harmonieux de la Constitution dans l’unanimité des citoyens. Rapidement apparut un clivage et se formèrent deux partis qui, sous des noms et des programmes différents, n’ont pas cessé de dominer la vie politique américaine. La Constitution de 1787 était un compromis entre partisans du pouvoir fédéral et partisans du pouvoir des États. Les pouvoirs, on l’a vu, avaient été soigneusement répartis et le silence des textes jouait toujours en faveur des États. Devant les problèmes pratiques qui se posaient, un choix s’imposait qui reflétait à la fois une certaine philosophie personnelle, une conception du monde et un milieu social. D’un côté, les partisans du renforcement du pouvoir fédéral, appelés pour cette raison «fédéralistes», estimaient la jeune République encore convalescente. L’expérience des années précédentes avait montré combien était dangereuse une dilution des pouvoirs et aléatoire l’absence d’autorité. La République avait besoin d’une monnaie: fallait-il recourir à une banque centrale ou laisser proliférer les banques locales avec pouvoir d’émission? Comment assurer à l’État fédéral un minimum de ressources, ne serait-ce que pour l’entretien de son armée et de sa marine? La seule recette prévue était celle des douanes, mais l’adoption d’un système même légèrement protectionniste n’allait-il pas nuire aux exportations, essentielles pour la vie du pays? Comment, enfin, honorer la dette que les Confédérés avaient contractée envers certains États européens, en particulier la France et l’Angleterre? Pour les fédéralistes, la seule méthode consistait à tirer le maximum des possibilités offertes par la Constitution: créer un véritable État dans la tradition britannique, avec des services centraux, des notables chargés de l’administration, une monnaie solide. Leur porte-parole, Alexander Hamilton, fut le premier secrétaire d’État au Trésor. Brillant avocat de New York, défenseur d’un gouvernement fort dans les colonnes du journal The Federalist, représentant des citoyens «riches et bien nés», il se situe très exactement dans la tradition aristocratique anglaise, regrette même l’absence d’une monarchie aux États-Unis, veut en conséquence organiser le nouveau régime à l’image de celui des Hanovres. Il est soutenu par les milieux d’affaires du Nord, l’aristocratie urbaine et puritaine, les notables eux-mêmes, secrètement partisans de l’Angleterre.

En face, les «républicains» cherchent à affermir une république au sens grec ou romain du terme, en même temps qu’à promouvoir ce type idéal de gouvernement tel qu’il a été défini par Rousseau et les philosophes du siècle des Lumières. Leur idéal est une république agrarienne, décentralisée, mais non démocratique. Comme dans les démocraties antiques, ils s’accommodaient, plus ou moins bien, de la coexistence de l’esclavage avec un régime libéral. Leur porte-parole est Thomas Jefferson, planteur de Virginie, rédacteur de la Déclaration d’indépendance et secrétaire d’État (ministre des Affaires étrangères) de George Washington, architecte de Monticello et de l’Université de Virginie. Les républicains se défient des masses industrielles comme de l’industrie et préfèrent demeurer proches de la nature, donc de l’agriculture, source de toute vie et de toutes vertus. Après le déclenchement de l’expérience révolutionnaire en France, c’est vers ce pays qu’ils tournent leurs regards, et ils deviennent francophiles, alors que les fédéralistes sont anglophiles. De là un nouveau clivage, qui s’accentue avec les guerres napoléoniennes. S’il est possible de faire des rapprochements, les fédéralistes seraient les précurseurs des républicains actuels, les républicains seraient ceux des démocrates actuels; les premiers préfiguraient la «droite», les seconds la «gauche». Il est curieux de constater que cette dernière a souvent eu des patriciens à sa tête, de Jefferson à John F. Kennedy en passant par Franklin D. Roosevelt. George Washington a tenu à demeurer au-dessus des partis, mais, en dépit de ses attaches virginiennes, ses sympathies allaient aux fédéralistes, qui ont détenu le pouvoir jusqu’à la fin de la présidence de John Adams (1801). À ce moment, les républicains font élire Thomas Jefferson, auquel succèdent James Madison (1809) et James Monroe (1817): pendant vingt-quatre ans, c’est une ère de prépondérance républicaine. Cette longévité s’explique, en partie au moins, par la mort accidentelle d’Alexander Hamilton en 1804 et l’absence de personnalités fédéralistes d’envergure. Sous l’une et l’autre des administrations, le régime se consolide, et les distinctions entre partis s’estompent: malgré leurs appréhensions, les républicains ont autant travaillé à l’affermissement du pouvoir fédéral que leurs adversaires. Symbole de la nouvelle République, à laquelle œuvrèrent les deux partis, Washington, siège des services fédéraux depuis Jefferson, son «inventeur», est la nouvelle capitale. La question s’était posée en 1791 de savoir où établir la capitale, sans léser ni avantager aucun des États. Jusque-là, comme au temps des rois Valois, elle avait été itinérante, d’Annapolis à New York, en passant par Philadelphie. Il fut décidé, entre Washington, Jefferson et Madison, de choisir un emplacement central à la limite du Nord et du Sud, sur le bas Potomac, à la fois sur les États de Virginie et du Maryland. Chacun de ces deux États fit abandon d’une parcelle de son territoire pour créer le district de Columbia, placé sous la seule responsabilité du Congrès. Un vétéran de la guerre d’Indépendance, le major Lenfant, fut chargé des plans de la nouvelle capitale; ceux-ci s’inspirèrent largement des expériences européennes des XVIIe et XVIIIe siècles, dans un goût néo-classique que symbolisent la Maison Blanche et le Capitole ; le gouvernement s’y établit en 1801.

5. Les débuts de la vie politique

Premiers pas dans le monde

À peine nés, les États-Unis se trouvèrent confrontés aux convulsions d’un monde en pleine transformation, du fait de la Révolution française et des guerres franco-anglaises. Sans doute n’avaient-ils pas d’intérêts directs dans un tel conflit. Mais, d’une part, leur position de neutres leur assignait la mission de protéger leur commerce, menacé tantôt par les uns, tantôt par les autres; d’autre part, on l’a vu, certains partis manifestaient des sympathies pour les Anglais, d’autres pour les révolutionnaires français, qu’ils considéraient comme les porte-parole de la philosophie militante. George Washington réussit à maintenir la stricte neutralité de son pays, qu’il considérait comme trop faible pour se mêler à des aventures extérieures, et à mettre en garde ses concitoyens contre des velléités interventionnistes. «L’Europe, disait-il dans son «Message d’adieu» de 1796, a des intérêts qui ne nous concernent aucunement, ou qui ne nous touchent que de très loin [...]. Quand nous aurons pris des mesures propres à faire respecter notre neutralité, les nations étrangères [...] ne se hasarderont pas légèrement à nous provoquer [...]. Notre véritable politique doit être de n’avoir aucune alliance permanente.» Ligne de conduite à laquelle les États-Unis demeurèrent fidèles pendant plus d’un siècle. Dans ce domaine, la tâche la plus rude échut à Jefferson. En 1803, il se vit proposer par Bonaparte, pour la somme dérisoire de 15 millions de dollars, la Louisiane, immense territoire, s’étendant du golfe du Mexique aux Grands Lacs, et du Mississippi aux Rocheuses, d’une superficie supérieure à celle des États-Unis d’alors. Bien que la Constitution ne prévît pas un tel cas, Jefferson, après des hésitations, accepta l’offre et orienta ainsi la République dans la voie de l’expansion vers l’ouest et, croyait-il, d’une démocratie agrarienne. La reprise des hostilités en Europe après 1805 expose les États-Unis à de nouveaux dangers et, cette fois, ils ne peuvent maintenir leur neutralité. En 1812, la question du droit des neutres entraîne un nouveau conflit avec l’Angleterre, la seconde guerre d’Indépendance. En fait, à aucun moment, l’indépendance des États-Unis n’est remise en cause, mais les Anglais sèment la terreur en brûlant Washington, en envoyant une flotte croiser sur les Grands Lacs, tout en étant battus devant La Nouvelle-Orléans par le jeune général Andrew Jackson qui commence ainsi une brillante carrière. La paix de Gand (1814), avant même cette victoire, confirme le statu quo sans rien régler du droit des neutres. Les difficultés de l’Espagne avec ses colonies révoltées donnent aux États-Unis une occasion de s’affirmer dans le monde. Dans des circonstances mal élucidées, Jackson occupe en 1818 la Floride que l’Espagne consent à vendre pour 5 millions de dollars. Quelques années plus tard, la double menace d’une intervention européenne pour secourir l’Espagne menacée dans ses possessions américaines, et des progrès russes le long de la côte du Pacifique, donne au président Monroe l’occasion d’affirmer les principes de sa politique. Dans son message au Congrès, le 2 décembre 1823, il confirme la neutralité américaine, léguée par Washington, mais en étend le champ d’application à l’ensemble du continent américain, Nord et Sud. C’est dire qu’il rejette toute velléité d’intervention armée: «Nous ne voulons pas nous immiscer dans les querelles des puissances européennes, la neutralité nous paraît un devoir. En revanche, elles ne doivent pas intervenir aux dépens de colonies qui ont proclamé leur indépendance. Aux Européens le vieux continent, aux Américains le nouveau.» Sur le moment, ces affirmations impressionnèrent peu les puissances de la Sainte-Alliance, certaines que les États-Unis étaient trop faibles pour les faire respecter et incapables d’en voir les prolongements. Il ne s’agissait encore que d’une doctrine défensive, mais, avec le temps, elle se modifia pour devenir un véritable programme d’action, celui du panaméricanisme, invoquée à ce titre à la fin du XIXe siècle.

L’«ère des bons sentiments»

Au moment de cette déclaration, la vie politique américaine connaît, depuis quelques années déjà, une certaine atonie. Parce que l’exercice du pouvoir a rapproché les deux partis, les différences se sont estompées à ce point que les présidents sont élus sans opposition, ou presque. C’est ce que l’on appelle l’«ère des bons sentiments» (Era of good feelings) pendant les années vingt. Les derniers Pères de la patrie, Madison, puis Monroe, maintiennent la tradition aristocratique des grands fondateurs, pendant que le développement des affaires et l’expansion vers l’Ouest absorbent l’essentiel des énergies. D’ailleurs l’histoire américaine se caractérise par un faible intérêt pour les questions politiques et par un désir de s’enrichir et de fonder une société nouvelle, aussi éloignée que possible des vices de l’européenne. Au cours de cette période, la principale préoccupation consiste dans l’amélioration des moyens de transport. L’époque coloniale n’avait légué que de mauvaises routes, limitées à chaque État, à l’exception de la route de poste qui, de Boston par New York, Philadelphie et Baltimore, gagnait le Sud. Ce qui importe désormais, c’est de réaliser la jonction avec les terres de l’Ouest, d’où viennent les peaux, la viande, le whisky, les grains, les métaux, bref la richesse. Qui allait les construire et comment? Henry Clay, brillant représentant du Kentucky, définit ce qu’il appela l’«American system», la politique de grands travaux. Une légère augmentation des droits de douanes procura à l’État fédéral des ressources supplémentaires avec lesquelles il finança la construction de routes et, à un degré moindre, de canaux vers l’Ouest. Ainsi fut continuée la fameuse route du Cumberland qui, par Wheeling sur l’Ohio, gagnait le Mississippi à Saint Louis et constitua la grande voie d’accès des pionniers. La législature de l’État de New York soutint de ses deniers la construction du premier grand canal entre la côte et les Grands Lacs, celui de l’Érié, contribuant ainsi à la prospérité du port de New York (1817-1825). Vers 1830, les États-Unis possédaient une voie d’eau continue entre New York et La Nouvelle-Orléans, desservie par des navires à vapeur, alors que le chemin de fer allait transformer le continent. D’autre part, à l’abri des droits de douane, les industries commencèrent à se développer, en particulier en NouvelleAngleterre qui conquit rapidement le monopole de la filature et du tissage du coton. De plus en plus, les États du Sud devenaient les fournisseurs de matières premières pour ceux du Nord en voie d’industrialisation. Sur tous les plans, les idées de Hamilton étaient passées dans la pratique une génération après sa mort, et le rêve agrarien de Jefferson s’effondrait.

6. L’ère jacksonienne

Un style politique nouveau

Avec l’élection de Jackson à la présidence en 1829 prend fin la période des Patres patriae et s’ouvre celle de l’Amérique démocratique, dans le sens où Tocqueville entendait ce terme, dans son ouvrage paru en 1835, La Démocratie en Amérique. Pour les historiens américains, c’est l’ascension du common man, de l’homme de la rue. Une nouvelle société est en train de se former, qui n’oblitère pas l’ancienne aristocratie des planteurs ou des puritains, mais croît à ses côtés. Pourquoi? D’abord en raison de l’augmentation de la population, qui passe de 4 millions en 1790 à 9,6 en 1820, 13 en 1830, 17 en 1840, 23 en 1850. La population double à peu près tous les vingt ans, en grande partie grâce à l’immigration qui amène des éléments qualitativement nouveaux: fermiers évincés par les enclosures en Angleterre, ouvriers victimes de l’instabilité économique et, un peu plus tard, Irlandais chassés par la Grande Famine. Une société urbaine se développe, dans le Nord-Est, dans les ports, dans les villes industrielles, et aspire à prendre part à la vie publique. De plus, dans l’Ouest, les communautés pionnières se multiplient au fur et à mesure de l’avance et réagissent vivement contre l’hégémonie et le conformisme de l’Est. Ainsi se développe cette société démocratique qui porte Jackson au pouvoir et le soutient, grâce à l’extension du suffrage universel, à la généralisation du spoils system et à l’ouverture de terres nouvelles consécutive à la déportation systématique des Indiens; société qui est précisément celle qu’a décrite Tocqueville. Andrew Jackson est un président d’un type nouveau: né en Caroline du Sud, il a vécu le long de la Frontière, dans le Tennessee, au milieu des pionniers, s’est rendu populaire par sa victoire sur les Anglais, à La Nouvelle-Orléans, en 1815, puis sur les Espagnols en Floride. Il incarne à la fois le peuple et l’Ouest, ce qui n’avait été jusque-là le cas d’aucun président des États-Unis. Dans la vie politique, il introduit un style vaguement démagogique, un peu vulgaire, faisant appel aux instincts des masses, à leurs sentiments plus qu’à leur raison. Ce qui explique sa prodigieuse popularité, à travers des actions aussi inconséquentes que la lutte contre la seconde banque des États-Unis, considérée comme le symbole d’un capitalisme aristocratique et liée aux intérêts de l’Est contre les tendances inflationnistes des pionniers, ou la déportation systématique des Cherokees, jugés trop civilisés. Mais il se montre habile politicien lorsque, en 1832-1833, il oppose la fermeté de l’État fédéral à la nullification de la Caroline du Sud: à la menace de sécession brandie par cet État qui repousse le tarif douanier protectionniste, il répond par l’envoi d’un navire de guerre dans le port de Charleston, ce qui amène ses adversaires à résipiscence. Mais l’incident est significatif des tensions qui règnent dans l’Union.

La montée des périls

Avec Jackson, l’atonie politique a pris fin et l’alternance des partis scande à nouveau la vie publique. Les républicains, auxquels appartenait Jackson, s’appellent plus volontiers démocrates, et un nouveau parti remplace les fédéralistes disparus: les «whigs». La lutte pour ou contre les pouvoirs de l’Union, pour ou contre l’alliance avec l’Angleterre, est reléguée au second plan par le problème de l’esclavage. La question est capitale et met en cause l’existence de l’Union et son avenir. Les progrès de la révolution industrielle en Europe avaient entraîné un accroissement prodigieux de la demande en coton, dès la fin du XVIIIe siècle, au moment même où l’égreneuse mécanique d’Eli Whitney (1793) décuplait la capacité de production. Cette étonnante conjonction amena, dans un premier temps, la substitution de la culture du coton à celle du tabac dans les États côtiers, Maryland et Virginie exceptés. Cependant, l’épuisement des sols est tel que les planteurs recherchent de nouvelles terres vers l’Ouest et jettent successivement leur dévolu sur la Louisiane (1812), le Mississippi (1817), l’Alabama (1819) et l’Arkansas (1836). Tous ces États sont admis dans l’Union en tant qu’esclavagistes, dans le sens où la Constitution de 1787 entendait ce terme, en même temps qu’entre un nombre égal d’États non esclavagistes, afin de maintenir, au Sénat, l’équilibre entre les deux groupes. Il s’agit alors de savoir où se trouve la ligne de démarcation: dans l’Est, elle avait jadis été fixée le long d’une ligne imaginaire, la Mason and Dixon line, entre la Pennsylvanie au nord, le Delaware et le Maryland au sud. Mais plus à l’ouest? Deux États présentant simultanément leur admission en 1820, le Maine et le Missouri, un compromis régla la situation: le dernier était admis comme esclavagiste, mais dorénavant, la limite passerait le long du parallèle 360 40H de latitude nord dans toute l’ancienne Louisiane. La culture du coton paraissait alors inconcevable sans l’utilisation d’une main-d’œuvre servile, la seule que l’on possédât sur place, la seule aussi qui, aux yeux des planteurs, fût économique, puisque payée en nature, et non en espèces. Au début du XIXe siècle, certains hommes politiques comme Jefferson, torturés moralement par cette question en raison de leurs idéaux philosophiques, avaient espéré en la disparition progressive de l’«Institution particulière», selon l’euphémisme alors employé. C’est en ce sens que doit se comprendre l’interdiction de la traite votée par le Congrès à dater de 1808, mesure qui fut d’ailleurs reprise et sanctionnée par le congrès de Vienne en 1815. Effectivement, l’esclavage disparut progressivement au nord de la Mason and Dixon line, non pour des raisons morales mais simplement économiques, l’absence de plantations, et l’existence d’une main-d’œuvre salariée au rendement nettement supérieur. Si les Noirs affranchis gagnaient bien leur vie, ils ne participaient aucunement à la vie politique (absence du droit de vote) et faisaient l’objet d’une ségrégation de fait dans tous les lieux publics. Dans le Sud, au contraire, l’esclavage, loin de disparaître, s’affermissait, car la culture du coton s’étendait, la production doublait régulièrement à chaque décennie et, en l’absence de tout approvisionnement, le prix des esclaves croissait rapidement. La possession d’esclaves finit par représenter une fortune aussi importante que les terres sur lesquelles ils travaillaient. Et les planteurs ne tenaient à se défaire ni des uns ni des autres, bien au contraire. Ces esclaves acceptaient leur sort avec une résignation étonnante: si l’histoire a retenu le souvenir de la révolte de Nat Turner (1831) et des atrocités qui l’accompagnèrent (cinquante et un Blancs tués en une seule journée), de tels cas sont finalement rares.

L’Union était-elle condamnée à tolérer l’existence légale de l’esclavage? Pour les sudistes, pourtant sûrs de leur bon droit, certaines inquiétudes se faisaient jour. Ils se rendaient compte que la progression de l’Union vers l’ouest risquait de jouer contre eux et de détruire l’équilibre qui assurait la survie de l’État fédéral. C’est pourquoi ils soutenaient une politique résolument annexionniste qui se marqua par une colonisation de fait du Texas qui proclama son indépendance en 1835, puis par la guerre contre le Mexique, en 1845, suivie de l’annexion massive des territoires situés au nord du río Grande, du Nouveau-Mexique et de la Californie. Aucun d’entre eux ne se trouvant dans les limites de l’ancienne Louisiane, les principes de 1820 devaient-ils être extrapolés ou non? En 1845, le Texas entra dans l’Union comme État esclavagiste, mais la Californie, bien que située en partie au sud du parallèle 360 40H, avait prohibé l’esclavage dans sa Constitution. La question se transforme en un conflit social entre les planteurs, qui craignaient de voir l’esclavage bloqué vers l’Ouest, et les pionniers, qui eux redoutaient d’être chassés par ces planteurs. C’est pourquoi les États de l’Ouest jouèrent un rôle essentiel dans les luttes relatives à l’esclavage. La tension des esprits était encore exaspérée par la propagande des «abolitionnistes», après 1830. Les origines du mouvement sont religieuses et doivent être recherchées dans des sectes humanitaires, comme celle des quakers. Mais l’abolitionnisme est considérablement soutenu par les idées philosophiques du XVIIIe siècle et les progrès, estimés scandaleux par certains, de l’esclavage dans le Sud. Ses premiers partisans – Benjamin Lundy, William Lloyd Garrison – sont des isolés, exaltés prêchant dans le désert. Ils reçoivent cependant l’aide de quelques sectes protestantes du Nord et de prédicateurs, comme Theodore Parker et Henry Ward Beecher. La propagande rejoint les aspirations humanitaires de nombreuses couches de la société, jusque-là peu conscientes du problème, et qui en découvrent brusquement la gravité. De là, le succès croissant du mouvement, son extension, l’influence de sa presse, comme le Liberator, l’entrée d’abolitionnistes au Congrès. La tension des esprits s’accroît et développe l’irritation dans le Sud qui s’alarme des interventions dans ce qu’il considère comme ses affaires propres. L’ouvrage de Harriet Beecher-Stowe, La Case de l’oncle Tom, en 1852, connaît un succès prodigieux aux États-Unis aussi bien qu’à l’étranger et montre à quel point les idées abolitionnistes se sont propagées et enracinées.

Des solutions de compromis

Dans un climat aussi tendu, seuls des compromis peuvent prolonger l’Union. Le premier est suggéré en 1850, au moment de l’admission de la Californie, par le vieux politicien Henry Clay. L’admission de cet État, sans esclaves, est compensée par la liberté laissée à l’Utah et au Nouveau-Mexique de décider eux-mêmes de l’adoption de l’esclavage. La suppression du commerce des esclaves dans le district de Columbia a pour contrepartie des mesures plus rigoureuses prises contre les esclaves fugitifs qui, profitant de l’underground railroad, passaient dans les États du Nord où leurs anciens propriétaires les réclamaient en vain. Mais d’aussi fragiles compromis résistaient difficilement à la tension croissante. En 1854, un nouveau conflit éclate à propos des deux territoires du Kansas et du Nebraska: Stephen Douglas fait triompher le principe de la liberté de choix, thèse dangereuse pour l’avenir de l’Union. Au même moment, prenant la relève de l’éphémère parti du «sol libre» (Free-Soil party), le Parti républicain est fondé sur un programme antiesclavagiste: contenir l’esclavage dans ses limites actuelles et maintenir à tout prix l’Union. En 1856, il oppose au démocrate James Buchanan son premier candidat, John C. Frémont, qui recueille un tiers du vote populaire. Les passions s’exaspèrent, et la sécession se profile déjà à l’horizon. La décision de la Cour suprême au sujet de l’affaire de l’esclave fugitif Dred Scott (1857) fait sensation: le Congrès ne peut supprimer l’esclavage des territoires où il est implanté. Enfin l’équipée de John Brown contre l’arsenal de Harper’s Ferry en Virginie (1859) et sa pendaison poussent les passions à leur paroxysme.

7. Lincoln et la Sécession

L’élection de Lincoln

Les élections de 1860 jouent un rôle décisif; le Parti démocrate est divisé sur le choix du candidat: les démocrates du Nord présentent le sénateur de l’Illinois, Stephen Douglas, homme de compromis qui veut ménager le Sud, tandis que ceux du Sud lui ont préféré John Breckinridge, partisan de l’esclavage. La convention républicaine préfère Abraham Lincoln à William H. Seward, qu’elle estime trop engagé. Enfin un quatrième parti, qui prend le nom d’Union constitutionnelle, formé de dissidents des démocrates et de partis mineurs, se rallie sur le nom de John Bell, du Tennessee. Dans l’âpreté de la lutte, aucun des candidats ne remporte la majorité absolue. Lincoln est le vainqueur dans tous les États du Nord et de l’Ouest, avec 1 860 000 voix et 180 mandats électoraux. Malgré ses 1 383 000 voix, Douglas n’a réussi à enlever que deux États, le Missouri et le New Jersey, et apparaît comme le grand vaincu. Breckinridge a entraîné le Sud et, avec moins de voix que Douglas (848 000), dispose de 72 mandats. Enfin Bell obtint une place modeste dans trois États intermédiaires, la Virginie, le Kentucky et le Tennessee (39 mandats). Minoritaire quant au nombre de voix, Lincoln l’emportait largement par le total des mandats. Jamais encore dans le passé la coupure géographique n’était apparue aussi nettement: le Nord et l’Ouest contre le Sud. L’élection de Lincoln fut le signal de la rupture. Les idées du nouveau président étaient bien connues depuis qu’un débat l’avait opposé, en 1858, lors des élections sénatoriales dans l’Illinois, à Stephen Douglas. Sans doute, il était hostile à l’esclavage, mais, plus encore, fervent partisan du maintien de l’Union, fût-ce au prix de concessions. Mais, sans même attendre la prise de fonctions, la Caroline du Sud décida de sortir de l’Union (20 déc. 1860), considérant, en vertu de la thèse qu’elle avait opposée à Jackson en 1832, qu’elle en avait le droit. Dans les six semaines qui suivirent, cinq autres États firent sécession: Georgie, Floride, Alabama, Mississippi et Louisiane, tous situés dans le «Deep South». Rejoints par le Texas, ils rassemblèrent une convention à Montgomery (Alabama) en février 1861, qui prit la décision de former un nouvel État, les États confédérés d’Amérique, avec une Constitution et un exécutif présidé par Jefferson Davis.

La guerre de Sécession

Le Nord se trouvait placé devant le fait accompli et la question de l’esclavage était singulièrement dépassée. Aucun compromis ne paraît plus possible entre le Nord, qui refuse au Sud le droit de faire unilatéralement sécession, et ce Sud qui s’est déjà donné un gouvernement. Le 12 avril 1861 se produit l’événement décisif: les Confédérés ouvrent le feu sur le fort Sumter, occupé par des troupes de l’Union à l’entrée de la baie de Charleston, et contraignent la garnison à se rendre. La guerre civile avait éclaté. Ce conflit met aux prises pendant quatre ans (12 avr. 1861 - 9 avr. 1865) les vingt-trois et bientôt vingt-quatre États du Nord et les onze États confédérés, 22 millions de nordistes contre 9 millions de sudistes (y compris 3,5 millions d’esclaves). Comment, dans ces conditions, a-t-il été aussi long? Le nombre et la puissance industrielle étaient du côté du Nord, mais le Sud luttait pour sa survie et possédait de réelles qualités militaires, au niveau tant des troupes que du commandement. Dès le début, le général Robert E. Lee fut, pour le Sud, un chef de grande valeur, tandis que Lincoln chercha en vain un stratège et le trouva seulement vers la fin en la personne de Ulysses S. Grant. Le Sud bénéficia de la sympathie des puissances européennes, mais le blocus établi le long de ses côtes par la flotte de l’Union limita les possibilités d’aide militaire et rendit vains les espoirs des planteurs de valoriser leur coton. La puissance militaire a basculé tardivement au profit du Nord qui a pu à ce moment en tirer toutes les virtualités. La guerre de Sécession est, en effet, une guerre de type moderne, fondée sur la puissance industrielle: rôle considérable de l’armement et des chemins de fer, qui s’explique par les effectifs mobilisés (deux millions d’hommes au Nord, près d’un million au Sud); ampleur des batailles, qui, contrairement à celles de Magenta ou de Solferino, exactement contemporaines, opposent pendant une semaine parfois des centaines de milliers de combattants. Cette guerre a laissé une marque indélébile dans la conscience américaine, un peu comme la Révolution française en France. Des familles se trouvèrent séparées et divisées, voire opposées dans les combats; des ruines, comme celles d’Atlanta, rappelèrent aux survivants l’âpreté de la lutte; une véritable coupure apparut dans l’histoire américaine, avant et après. Les Confédérés ne pardonnèrent jamais aux «Yankees» leurs excès et les humiliations qu’ils durent subir, et actuellement encore un folklore très vivant entretient sur les anciens champs de bataille du Sud le souvenir des vertus chevaleresques dont firent preuve les grands ancêtres. Plus que la guerre d’Indépendance, la guerre de Sécession fut une révolution. L’Amérique industrielle l’emporte définitivement sur l’Amérique agrarienne, les villes et les ports sur les campagnes, le chemin de fer sur la charrue, les pionniers et les ouvriers sur l’ancienne aristocratie. Dans un certain sens, c’est la revanche de Jackson sur Jefferson. La campagne de Sherman à travers la Georgie a décidé de l’issue de la guerre. Le 9 avril 1865, le général Lee capitulait dans le modeste tribunal d’Appomattox et, en juin, les derniers vestiges de la résistance des Confédérés avaient disparu. En novembre précédent, Lincoln avait été réélu président, mais, le 14 avril 1865, il était assassiné au théâtre Ford, à Washington, par l’acteur John W. Booth. Cette disparition tragique, au moment le plus critique, allait créer un profond déséquilibre dans la vie politique.

Le chaos de la Reconstruction

Lincoln, toujours fidèle à son idéal de l’Union, avait conçu un plan de restauration, fondé sur le retour des États sécessionnistes au sein de l’État fédéral et sur le pardon, à condition que fût acceptée l’abolition de l’esclavage. Tel est le sens de la Proclamation d’émancipation (22 sept. 1862) qui affranchit les Noirs des États confédérés à partir du 1er janvier 1863. Elle est reprise en 1865 dans le 13e amendement qui met fin définitivement à l’Institution particulière et à la surreprésentation du Sud au Congrès. Le sort des Noirs n’est pas pour autant réglé. Que faire de ces trois millions et demi d’ex-esclaves qui, brusquement, découvrent la liberté sans savoir ni pouvoir s’en servir? Fallait-il, du jour au lendemain, les intégrer dans la vie publique en les faisant participer aux rouages de l’État, des États, des communes? Lincoln avait pris conscience de la complexité du problème et donné, semble-t-il, ses préférences à une assimilation graduelle. L’assassinat du président entraîna le chaos, qu’accrurent encore les extravagances et la concussion du Bureau des réfugiés, libérés et terres abandonnées, chargé d’assurer la transition entre la société esclavagiste et l’autre. Libérés, les Noirs quittèrent les plantations pour s’installer en ville, bien qu’ils ne fussent guère qualifiés pour une autre tâche que celle de manœuvres, ou furent engagés comme métayers sur des exploitations qui survivaient ou avaient été reprises à bas prix par des hommes d’affaires du Nord; parfois ils eurent la chance de s’installer comme fermiers. Fait significatif: alors que les Blancs avaient eu droit, par une loi de 1862, à une parcelle de 160 arpents pour un prix dérisoire, rien d’analogue ne fut offert aux Noirs libérés, pour lesquels aucune place n’était prévue dans la société nouvelle. Cet échec résulte des incohérences de la politique de Reconstruction. Le successeur de Lincoln, Andrew Johnson, aurait souhaité continuer sa ligne de conduite, mais en fut empêché par un Congrès dominé par des radicaux assoiffés de vengeance. Pour eux, il s’agissait moins de reconstruire le Sud que de le reconquérir et de l’humilier. Les États du Sud, bien qu’ils eussent accepté dès 1865 l’abolition de l’esclavage, furent occupés militairement et gouvernés par des politiciens du Nord, des hommes de paille ou des Noirs. Plusieurs mesures tendirent à écarter l’ancienne aristocratie du pouvoir. Le 14e amendement (1868), sous couleur d’assurer les droits civiques de tous les citoyens, écartait des fonctions publiques tous ceux qui avaient pris part à la rébellion et annulait la dette des États ex-confédérés. Le 15e amendement garantissait le droit de vote à tout citoyen, quelles que soient sa race et sa couleur, même s’il avait connu la servitude. Des hommes d’affaires du Nord ou de simples aventuriers munis d’un sac de voyage (carpet-baggers) se ruèrent sur le Sud à la recherche de gains faciles ou de propriétés avantageuses. À la conjonction des Yankees détestés et des Noirs méprisés répondit un contre-terrorisme blanc mené par des sociétés secrètes comme le Ku-Klux-Klan et dirigé contre les traitres (scalawags). La violence et la pratique du lynchage entrèrent dans les mœurs. Déjà traumatisé par la défaite, le Sud le fut davantage encore par les excès de la Reconstruction, décrits avec trop de complaisance par les historiens de la fin du XIXe siècle (Dunning) et du XXe siècle (C. A. Beard). Les tensions finirent cependant par s’apaiser. En 1871, tous les anciens États confédérés avaient été réadmis dans l’Union après avoir accepté le 14e amendement. Les Blancs furent peu à peu relevés de leurs incapacités légales et reconquirent le pouvoir par l’élection. Les carpet-baggers écartés, les troupes fédérales peu à peu retirées, les «Bourbons» comme on appelait alors les anciens planteurs, retrouvèrent les leviers de commande dans l’indifférence générale des Yankees et des Noirs. À la tyrannie des uns succéda le paternalisme des autres: en dépit de toutes les garanties, diverses mesures discriminatoires, comme les codes noirs, éliminèrent de la vie politique les anciens esclaves avant de les retrancher de la société par une ségrégation rigoureuse.

8. Développement économique et expansion continentale

La Reconstruction se termine par la réinstallation des «Bourbons» au pouvoir parce que, entre-temps, les Américains ont été repris par le démon des affaires. Rien n’est plus terne, du point de vue politique, que les trente dernières années du XIXe siècle, marquées par une présence presque continue des républicains à la tête du gouvernement fédéral. L’intérêt est ailleurs, dans le prodigieux accouchement d’une Amérique industrielle et capitaliste. La guerre de Sécession a mis fin aux dernières résistances de la société agrarienne traditionnelle, et plusieurs mesures ont préparé le développement futur. Le tarif douanier Morrill de 1861 a renforcé la protection et favorisé l’essor industriel. Un nouveau système bancaire, destiné à combattre l’anarchie consécutive à la politique de Jackson, est mis en place à partir de 1863. La décision est prise, à la demande des États de l’Ouest, de construire un chemin de fer transcontinental. Enfin, pour fournir la main-d’œuvre indispensable, des travailleurs pourront être importés sous contrat.

L’accroissement démographique

L’immigration a été fortement stimulée par le Homestead Act de 1862, qui accordait 160 arpents aux pionniers. De 1820 à 1860, environ 5 millions d’Européens, dont une bonne moitié de Britanniques, avaient immigré aux États-Unis. Dans les quarante années qui suivirent, 14 millions d’immigrants arrivèrent aux États-Unis, dont plus de 5 millions dans la décennie entre 1881 et 1890. Parmi eux, la proportion de Britanniques diminua constamment au profit des Allemands et des Scandinaves, puis, vers la fin du siècle, des Italiens, des Russes et des Slaves d’Europe centrale. Ces immigrants sont issus, dans leur très grande majorité, de milieux modestes, sinon même franchement pauvres, et constituent une main-d’œuvre peu exigeante, prête à accepter l’exploitation patronale (sweating system). La population du pays, compte tenu de l’immigration et de l’accroissement naturel, passe de 31 millions en 1860 à 50 en 1880 et 76 en 1900. Le vieux fonds anglo-saxon recule devant les apports nouveaux: Allemands et Scandinaves autour des Grands Lacs, Irlandais en Nouvelle-Angleterre, Polonais et Russes dans les grands ports de l’Est. Le rôle jusque-là quasi exclusif des sectes protestantes est progressivement contrebalancé par les progrès du catholicisme et, dans une moindre mesure, du judaïsme et du christianisme orthodoxe. L’Amérique puritaine est en voie de complète transformation. Certes, la fusion entre les divers éléments est facilitée par l’absence de traditions et l’immensité du pays. Il n’empêche que la langue et la religion maintiennent des îlots de résistance nationale, en contraste avec la facile assimilation du siècle précédent.

L’occupation de l’Ouest

À cette population en rapide croissance, des horizons nouveaux s’ouvrent. La réalisation du premier chemin de fer transcontinental, en 1869, entre Omaha et San Francisco à travers l’Utah, marque une date historique dans l’occupation de l’Ouest: les deux portions du pays sont reliées par la voie ferrée qui amène de nouveaux chercheurs d’or en Californie et en incite d’autres à se fixer en route, sur des terres offertes à bon prix et rapidement valorisées par la proximité des transports. Avant la fin du siècle, quatre autres Transcontinentaux sont venus s’ajouter à l’Union Pacific et au Central Pacific: le Great Northern, de Saint Paul à Seattle (1893); le Northern Pacific, de Chicago vers le Nord-Ouest (1881); l’Atchison, Topeka and Santa Fe, de Kansas City à Los Angeles et San Francisco (1881); le Southern Pacific, de La Nouvelle-Orléans à Los Angeles (1883). L’espace est désormais vaincu et le continent s’offre à ceux qui veulent en profiter[cf. FAR WEST]. La construction des chemins de fer a définitivement brisé la résistance des Indiens et repoussé, puis fait disparaître la Frontière. Depuis 1830-1840, les Indiens de l’Est avaient été parqués sur des réserves situées dans le territoire Indien. Ceux des Plaines voyaient leurs terrains de parcours se restreindre de jour en jour et le bison devenir de plus en plus rare. Cet animal leur fournissait traditionnellement une excellente viande, des peaux très appréciées et un poil laineux qui servait à confectionner des vêtements. L’avance de l’homme blanc entraîna un massacre systématique du bison et une rupture dans l’écologie des Indiens, qui réagirent par la rébellion. Les meilleurs guerriers furent les Sioux qui à plusieurs reprises se soulevèrent et massacrèrent des troupes fédérales. L’affaire de Little Bighorn, en 1876, au cours de laquelle les troupes de G. A. Custer tombèrent dans une embuscade, déclencha la dernière vaste opération contre Sitting Bull, qui se rendit en 1881, mettant fin ainsi à la résistance des Sioux. Des opérations de police contre les «Nez-Percés» de Chief Joseph en 1877 et les Dakotas en 1890 achevèrent la «pacification» de l’Ouest. Les survivants furent tous parqués dans des réserves, à l’écart des voies de communications, et les bonnes terres données ou vendues aux Blancs. Au lendemain de la guerre de Sécession, l’Union comprenait trente-six États, dont deux situés sur les rives du Pacifique, la Californie et l’Oregon (ce dernier État admis en 1859). En 1889, quatre nouveaux États furent admis en même temps dans l’Union: les deux Dakotas, le Montana et le Washington. La même année, le territoire Indien devenu l’Oklahoma est ouvert à la colonisation, et les Indiens repartent pour un nouvel exode. En 1890, l’admission simultanée de l’Idaho et du Wyoming établit une continuité territoriale de l’Atlantique au Pacifique: c’est la fin de la Frontière, l’achèvement d’une longue épopée qui a peu à peu repoussé les limites de la «civilisation». Les derniers États continentaux, le Nouveau-Mexique et l’Arizona, sont admis en 1912.

Une agriculture extensive et spécialisée

L’unité du continent établie, un marché d’une ampleur inconnue pour l’époque stimule la production. Toutes les conditions sont réunies pour donner une impulsion très forte à l’agriculture. Une Europe en pleine industrialisation a préféré s’en remettre aux marchés d’outre-mer pour ses approvisionnements. Si le coton demeure un article d’exportation de premier plan, il est désormais concurrencé par d’autres productions qui ont profité de la guerre de Sécession. Ce que l’Europe réclame de plus en plus, ce sont des denrées alimentaires: du blé et du maïs, qui trouvent leur terrain d’élection dans les grandes plaines entre les Appalaches et le pied des Rocheuses, de la viande, dont le transport est favorisé par les nouveaux bateaux frigorifiques. Du Texas à la frontière canadienne se développe un élevage de bovins qui alimente les grands abattoirs de Cincinnati, puis de Chicago, de Omaha, de Kansas City. La recherche du rendement se traduit par les progrès rapides du machinisme agricole – faucheuse, moissonneuse, batteuse, puis combiné – qui permet une culture extensive, nécessitant peu d’engrais, donc rémunératrice. Le Middle West se couvre de fermes disséminées le long des routes, à proximité des lieux de travail, avec leurs silos cylindriques dans lesquels sont stockés les grains. La spécialisation devient la règle: certains fermiers produisent des grains, d’autres seulement du bétail, d’autres enfin de la volaille. Mais les fluctuations des prix et les variations du marché européen contribuent, dès 1870, à créer un malaise, et parfois une agitation, dans les milieux ruraux.

Ampleur de l’industrialisation

L’industrialisation s’est trouvée facilitée par la merveilleuse richesse du sous-sol américain, qui fournit tous les combustibles et métaux dont a besoin l’usine moderne. La houille est exploitée depuis le début du siècle en Pennsylvanie, mais les nécessités de la guerre, puis de l’après-guerre ont stimulé et élargi l’exploitation en Pennsylvanie, en Virginie-Occidentale, dans l’Alabama, dans l’Ohio. Du pétrole a été découvert en Pennsylvanie pendant la guerre de Sécession et, en attendant qu’il alimente les moteurs, il fournit une matière première recherchée. Le sous-sol est surtout riche d’un minerai de fer d’excellente qualité, en Pennsylvanie, en Alabama et surtout dans le Minnesota. Enfin, la plus grande partie des minerais – plomb, cuivre, zinc – se trouve dans les Rocheuses. À l’industrie ancienne, représentée par le textile en Nouvelle-Angleterre, s’ajoute, à partir du milieu du XIXe siècle, toute une gamme de fabrications nouvelles: métallurgie lourde en Pennsylvanie (région de Pittsburgh), puis dans l’Ohio, l’Indiana et la région de Chicago (Gary), enfin dans l’Alabama (Birmingham); industries légères le long de la Fall Line des Appalaches (Carolines et Georgie); industries alimentaires très variées, qui vont de la mouture du blé à la conserverie (Swift et Armour) et répondent à une diététique nouvelle, adaptée aux besoins des masses. De nouvelles fabrications apparaissent au fur et à mesure que se créent de nouveaux besoins: raffinage du pétrole, production de l’électricité, fabrication de moteurs à explosion, de voitures, produits chimiques. Plus que sa puissance et sa diversité, dont on peut trouver des exemples en Europe, ce qui frappe, c’est l’organisation de cette industrie. N’ayant derrière elle aucune tradition artisanale et devant satisfaire un énorme marché en croissance continue, elle se crée sur la base de grandes unités de production, soutenues par une forte armature financière. Dès la fin du XIXe siècle, des monopoles dominent les grands secteurs: Standard Oil dans le pétrole, Sugar Refining dans le raffinage du sucre, American Tobacco, American Bell Telephone, ainsi qu’United States Steel dans la métallurgie avec un capital d’environ un milliard de dollars. La concentration atteint des proportions telles qu’elle inquiète le pouvoir politique, bien désarmé cependant en face des puissances d’argent (Sherman Anti-Trust Act, 1890).

9. Le grand tournant

Réactions et mécontentement

L’ampleur même du développement économique pose des problèmes sociaux spécifiques, plus graves dans le milieu rural que chez les ouvriers. Les fermiers sont, en effet, obligés de s’adapter à une économie de marché instable, contrairement à leurs collègues européens, proches des marchés de consommation. À la fin du XIXe siècle, les fermiers sont victimes de la chute des prix et de l’exploitation par les monopoles. Tous les prix agricoles baissent d’environ 50 p. 100 entre 1870 et 1896, à la suite de la dépression générale et sous le choc de la concurrence de l’Argentine, de la Sibérie. Les fermiers voient donc leurs revenus diminuer quand le seul moyen de compenser leurs pertes est d’acheter des machines, qui se vendent toujours aussi cher, parce que leur production est monopolisée par un petit nombre de grandes firmes. De plus, ils doivent accepter les conditions souvent draconiennes des transporteurs (compagnies de chemins de fer et de navigation) et des divers intermédiaires. De là un sentiment de frustration qui se traduit par des mouvements de révolte: Grangers aux alentours de 1870, Greenbackers vers 1880, alliance des fermiers et populisme dans les années quatre-vingt-dix. Tous ces mouvements ont un trait commun: ils réclament l’inflation monétaire, qu’elle soit de papier ou de métal, seule capable aux yeux des victimes de les sauver de la ruine. L’Ouest rural est inflationniste, par opposition à l’Est, partisan d’une monnaie forte. Les mouvements de protestation urbaine et ouvrière, en dépit de quelques crises aiguës (massacre de Haymarket, à Chicago, 1886; grève Pullman, 1893), n’ont jamais atteint la même ampleur. L’industrie américaine a souffert, pendant toute la fin du XIXe siècle, d’un manque de main-d’œuvre qualifiée (ce qui écartait la menace du chômage) et a produit presque exclusivement pour un marché intérieur bien protégé, donc peu sensible aux fluctuations internationales. De là une stabilité du marché, qui contraste à la fois avec l’agriculture américaine et l’industrie de pays exportateurs comme la Grande-Bretagne. L’apparition du syndicalisme est relativement tardive (Knights of Labor, 1869; American Federation of Labor, 1886) et les revendications se cantonnent sur un plan professionnel: diminution des heures de travail, protection des femmes et des enfants, amélioration des salaires. L’A.F.L. entend d’ailleurs représenter les seuls ouvriers qualifiés, à l’exclusion des manœuvres, des immigrants et des femmes, victimes sans défense du sweating system.  La protestation la plus violente contre l’industrialisation vint, non des milieux syndicalistes, mais de romanciers et de journalistes qui dénoncèrent l’exploitation des travailleurs par les patrons et les abus de la révolution industrielle: Theodore Roosevelt les qualifia de muckrakers (remueurs de boue). Les robber barons, par analogie avec les seigneurs pillards du Moyen Âge, constituèrent leur cible favorite. Parmi ces «contestataires», certains penchaient vers le socialisme, comme Henry Demarest Lloyd ou Henri George, tandis que d’autres, tels Theodore Dreiser, Frank Norris et Upton Sinclair, décrivaient les excès dont se rendaient coupables les grandes compagnies de chemins de fer, les abattoirs, les conserveries. Tous appelaient un changement dans cette société où la loi du plus fort ne subissait aucune limitation.

Le mouvement réformiste

Un besoin de réforme se faisait sentir pour la première fois aux États-Unis. À vrai dire, certains États avaient déjà commencé à œuvrer en ce sens, en limitant la durée du travail, en prenant des mesures de protection pour les femmes et les enfants; mais, au niveau fédéral, l’absence d’une forte personnalité et la pression du big business avaient paralysé toute action, y compris l’application des lois existantes, comme le Sherman Act contre les trusts (1890). Après une éclipse de près de quarante ans, la fonction présidentielle retrouve en 1901 son lustre et sa vigueur avec T. Roosevelt, un républicain, donc de tendances libérales, mais plus sensible que d’autres aux excès de ce libéralisme. Il entame une vigoureuse action contre les trusts, joue le rôle d’arbitre dans des conflits du travail (grève des mineurs de Pennsylvanie, 1902), promulgue une législation des produits alimentaires et pharmaceutiques, cherche à mettre fin aux abus des compagnies ferroviaires, crée des réserves naturelles (parcs nationaux) pour contrecarrer les entreprises malhonnêtes des promoteurs immobiliers. Le pouvoir fédéral retrouve son prestige et la confiance des masses. Le mouvement réformiste est poursuivi, dans un style différent et avec moins de panache, par un démocrate, Woodrow Wilson, président de 1913 à 1921, précurseur d’un ordre nouveau, le New Freedom. Avec lui la démocratie progresse, par la désignation au suffrage universel des sénateurs (17e amendement) et l’extension aux femmes du droit de vote (19e amendement). L’État fédéral reçoit le droit de prélever un impôt sur le revenu (16e amendement) pour augmenter ses ressources, mais, en contrepartie, les droits de douane sont abaissés. Pour empêcher les excès de la spéculation, le système fédéral de réserve, décentralisé, est créé. L’action contre les trusts est reprise avec une vigueur accrue, grâce au Clayton Act, et soigneusement dissociée des «coalitions syndicales». Humbles et faibles ont trouvé en l’État fédéral leur défenseur contre les excès du capitalisme.

L’interventionnisme

En même temps, les États-Unis font leur entrée sur la scène internationale. Pratiquement, depuis Monroe, ils ne s’étaient manifestés qu’épisodiquement, comme en 1854 à l’occasion du traité signé avec le Japon, en 1867 lors de l’achat de l’Alaska aux Russes ou en 1875 au moment du traité de réciprocité avec les îles Hawaii. À la fin du XIXe siècle, les conditions ont changé: la Frontière a disparu et les États-Unis peuvent maintenant intervenir à l’extérieur; l’économie américaine a progressé à pas de géant et recherche moins des débouchés que des marchés de matières premières; enfin le partage du monde approche de sa fin et certains milieux américains se sentent frustrés de n’y avoir pas participé. Un courant impérialiste commence à se manifester, soutenu par des milieux d’affaires, des politiciens, pour l’essentiel républicains, des théoriciens comme A. T. Mahan. La doctrine de Monroe, soigneusement défensive jusque-là, se transforme insidieusement en un instrument d’expansion confiant aux États-Unis la mission de protéger le continent, en fait d’y instaurer son hégémonie. L’explosion du cuirassé Maine à La Havane en 1898 fournit la première manifestation de ces tendances nouvelles. À l’issue de la guerre hispano-américaine, les États-Unis reçurent Porto Rico, acquirent les Philippines et accordèrent l’indépendance à Cuba moyennant un traité de tutelle (amendement Platt). L’ancienne colonie devenait à son tour une puissance coloniale. Une discrète intervention diplomatique permet à T. Roosevelt de racheter la concession du canal interocéanique à Panamá, puis, à la faveur d’une révolution «spontanée», de reconnaître la nouvelle République de Panamá détachée de la Colombie et d’y faire mener à bien les travaux que les Français avaient dû interrompre. En 1914, le canal de Panamá est inauguré, qui permet à la flotte américaine de faire l’économie de plusieurs milliers de kilomètres pour passer de l’Atlantique au Pacifique. L’activité des États-Unis ne se limite pas au continent. T. Roosevelt intervient comme médiateur dans le conflit russo-japonais et fait accepter aux adversaires le traité de Portsmouth. Il se fait représenter à la conférence d’Algésiras qui concerne pourtant la France et l’Allemagne, et participe à la conférence de la paix à La Haye (1907). En ce début de XXe siècle, les États-Unis font déjà figure de puissance mondiale.

10. Les États-Unis, puissance mondiale

La Première Guerre mondiale

Sans doute, la déclaration de guerre des États-Unis à l’Allemagne, le 4 avril 1917, peut être considérée comme l’aboutissement de la politique interventionniste esquissée depuis T. Roosevelt. En fait, l’opinion américaine tenait profondément à sa neutralité et considérait qu’elle n’avait aucun intérêt direct dans le conflit en cours. La communauté d’origine pouvait jouer aussi valablement dans les deux sens puisque à côté du vieux fonds anglo-saxon existait une nombreuse colonie germanique. L’argument démocratique n’avait pas davantage de poids, puisque l’autocratique Russie se trouvait dans le camp des démocraties occidentales. En fait, ce qui a motivé l’intervention américaine en 1917, comme la seconde guerre d’Indépendance un siècle plus tôt, ce sont les atteintes aux droits des neutres sur mer, en l’occurrence les torpillages systématiques de la marine allemande. Pour les Américains, la guerre n’est devenue idéologique que du jour où les Russes ont été éliminés, donc plusieurs mois après leur déclaration de guerre. Si courte qu’ait été l’intervention militaire américaine, elle n’en a pas moins été décisive, car elle est venue au moment où les Alliés étaient en proie à la lassitude. L’arrivée massive d’approvisionnements et de munitions, le débarquement de troupes jeunes et fraîches eurent un poids considérable dans la décision de 1918 et assurèrent à Wilson un rôle déterminant dans les discussions d’armistice et de paix. Les «quatorze points» servirent de base aux négociations, avec l’accord des autres Alliés qui avaient seuls assumé la charge militaire depuis le début. Ainsi se développa un malentendu que Wilson lui-même ne perçut jamais clairement: les Américains étaient intervenus pour défendre la liberté des mers et, accessoirement, les Alliés, sans tenir à s’engager de façon permanente avec les puissances de la vieille Europe. Wilson, mû par son idéalisme naturel, crut pouvoir engager son pays, et se trouva désavoué par le Sénat quand il lui soumit le traité de Versailles (nov. 1919). Il fut également désavoué par les citoyens qui, aux élections de 1920, votèrent avec une énorme majorité pour un républicain falot, W. C. Harding.

La prospérité

«Business as usual», «return to normalcy», tels sont les slogans qui assurent aux républicains (1920-1932), une nouvelle période de prépondérance, jusqu’à la crise de 1929. Neuf années de vie matérielle facile, d’illusions, au cours desquelles le visage des États-Unis a changé. Les Américains ont découvert l’automobile, qui transforme leur genre de vie: ils désertent les villes pour aller s’installer dans des banlieues aérées, abandonnant les zones urbaines aux pauvres et aux Noirs. Ils découvrent aussi les avantages de l’électricité dans ses multiples applications ménagères, si bien que leurs demeures se transforment en laboratoires. Les monstres sacrés du cinéma sont représentatifs de ce nouvel univers. Frénétiquement, les Américains se lancent dans les affaires, achètent des actions qu’ils revendent quelques semaines plus tard avec un grand bénéfice. Loin de l’«inconstante Europe», tout semble leur réussir, et avant tout le passage d’une Amérique hier encore imprégnée de puritanisme à une Amérique de plaisirs et de jouissances. L’envers du tableau fait apparaître bien des tares. D’abord, l’extraordinaire développement du gangstérisme, favorisé par l’impuissance sinon la complicité de la police, stimulé par la prohibition inscrite dans le 18e amendement ratifié en 1919. C’est la grande époque des bars clandestins, des maisons de rendez-vous, des speak-easies, des bootleggers. Une véritable hystérie anti-étrangère se développe dans un pays jadis largement ouvert aux émigrants. Le Ku-Klux-Klan, inactif depuis la Reconstruction, resurgit au lendemain de la guerre et impose la terreur dans le Sud et plusieurs grandes villes. Pour protéger l’américanisme, le Congrès restreint l’immigration étrangère par un système de quotas, adopté en 1921 et aggravé en 1924. La justice elle-même se laisse gagner par cette psychose chauvine et condamne à la chaise électrique deux anarchistes italiens, Sacco et Vanzetti, pour un crime qu’ils n’avaient pas commis. Cette flambée nationaliste se mue en antipapisme, comme aux beaux jours du puritanisme, et provoque la défaite d’«Al» Smith, candidat démocrate aux élections de 1928. Les États-Unis se donnent à peu de frais bonne conscience, face à une Europe en proie à des convulsions. Bien que les États-Unis aient rejeté le pacte de la Société des Nations et qu’ils aient signé un traité séparé avec l’Allemagne, ils ne se désintéressent pas pour autant de l’Europe. Jamais auparavant, ils n’ont été plus étroitement associés à son avenir économique. La guerre a eu pour effet de transformer la position financière internationale des États-Unis qui, de pays débiteur, sont devenus créanciers et financent le relèvement européen. Les Alliés ont contracté des dettes qu’ils s’engagent à rembourser dans la mesure où l’Allemagne paiera les réparations. Or l’Allemagne ne peut survivre qu’avec les crédits des anciens belligérants et, en particulier, des États-Unis. De là, un circuit financier qui les lie étroitement à l’Europe et les amène à patronner les plans Dawes (1924) et Young (1929) de relèvement de l’Allemagne. Dans le domaine naval, ils estiment leur sécurité assurée par les accords de Washington (1922) qui limitent le tonnage des flottes de combat. Ils s’associent enfin aux tentatives d’Aristide Briand (pacte Briand-Kellogg) pour mettre la guerre hors la loi. Leur isolationnisme est donc tout relatif et, en tout cas, traduit moins leur volonté de se couper du monde extérieur que celle d’exclure des engagements trop automatiques (non-entanglement).

Dépression et New Deal

Cette prospérité qui semblait durable prend fin brusquement les 4 et 29 octobre 1929, par une chute spectaculaire des cours en bourse à Wall Street. Quelques craquements s’étaient déjà produits auparavant, mais personne n’en avait tenu compte. Des dizaines de millions de titres sont brusquement jetés sur le marché par des actionnaires affolés, la baisse nourrit la baisse, les banques se trouvent à court d’argent et sont obligées de fermer leurs guichets, les particuliers et les entreprises sont atteints par la dépréciation de leur capital. En dix jours, les cours moyens ont baissé de 50 p. 100 environ, et ne cessent de tomber. Sans doute ce n’est pas le premier krach boursier, car les Américains sont des spéculateurs et ont déjà connu d’autres paniques financières, mais, fait nouveau, les indices économiques sont alarmants: les fermiers ont depuis plusieurs années des stocks invendables et souffrent de la chute des prix; les entreprises, dont la trésorerie est gênée, licencient leurs ouvriers. Il y a 4 millions de chômeurs en 1930, 7 millions en 1931, 11 millions en 1932, soit plus du quart de la population active. La machine industrielle se grippe au point que la production tombe, en 1932, à moins de la moitié de son niveau de 1929. À l’optimisme a succédé la torpeur, et bientôt c’est le désespoir des millions de sans-travail, parmi lesquels de nombreux «cols blancs». L’administration républicaine alors au pouvoir, dirigée par le bon technicien qu’est le président Herbert C. Hoover, prend des mesures d’urgence, tout en demeurant persuadée que «la prospérité est au coin de la rue», c’est-à-dire que les affaires reprendront d’elles-mêmes comme dans les crises précédentes. Mais, loin d’apporter une solution, les années passent sans que la situation s’améliore, bien au contraire, car les prix ne cessent de baisser. Dans ce contexte dramatique, les élections de 1932 ont une signification symbolique: le candidat démocrate, Franklin D. Roosevelt, l’emporte par 22,8 millions de voix contre Hoover qui en obtient seulement 15,8. Il a la majorité dans 42 États sur 48, c’est un véritable raz de marée qui installe pour vingt ans les démocrates au pouvoir. Le nouveau président a été élu, non sur un programme, mais sur un style, car il a compris que la crise était au moins autant psychologique qu’économique. Il faut redonner confiance aux Américains et, pour cela, agir. Comment? F. D. Roosevelt n’en sait rien lui-même, car il est opportuniste et compte autant sur son charme personnel, sur ses entretiens «au coin du feu», à la radio, que sur des mesures techniques. Il a le mérite de s’entourer d’une équipe remarquable, le brain trust, composée de banquiers et de professeurs, chez qui l’intelligence et le bon sens l’emportent sur la technicité. En cent jours, du 9 mars au 16 juin 1933, est prise une série de mesures destinées à redresser l’économie. L’État se charge d’amorcer la reprise (pump-priming) en ouvrant des crédits aux entreprises, en lançant une politique de travaux publics, en pratiquant un déficit budgétaire systématique. Pour lutter contre le marasme, il faut élever le niveau de vie des consommateurs en augmentant les salaires, ce qui postule, au départ, l’abandon de l’étalon-or et une dévaluation du dollar. Pour réamorcer le crédit, sans lequel l’économie ne peut se relever, des mesures de sauvetage viennent aider les banques; fermées souvent depuis plusieurs années, et, par centaines, elles reprennent leurs activités. Pour soutenir les régions défavorisées, de vastes programmes sont financés par l’État fédéral: telle la Tennessee Valley Authority, dont les barrages doivent attirer des industries dans le Sud particulièrement touché par la crise. Les fermiers sont invités à réduire les surfaces cultivées et sont assurés, en contrepartie, d’un prix minimum pour leurs productions (A.A.A.: Agricultural Adjustment Act). De même, les industriels doivent s’entendre entre eux, au moyen de codes de loyale concurrence, pour fixer leurs prix et éviter une concurrence inutile (N.I.R.A.: National Industrial Recovery Act). En quelques semaines, l’économie libérale est balayée par une intervention sans précédent de l’État.

Les mesures prises, pour incohérentes qu’elles soient parfois, redonnent confiance aux Américains. La production repart lentement, le niveau de vie se relève peu à peu, le chômage diminue insensiblement; ce n’est pas le vigoureux coup de fouet que l’on pouvait espérer. Surtout, des oppositions se développent, parmi les patrons, qui jugent trop pesante la tutelle de l’État, parmi les républicains jaloux du succès de leurs adversaires, des juristes imbus de libéralisme. Elles trouvent leur expression dans la Cour suprême qui déclare inconstitutionnelles deux des mesures fondamentales, l’A.A.A. et le N.I.R.A. (1935 et 1936). Est-ce la fin du New Deal? Non, car les élections présidentielles de 1936 constituent un véritable plébiscite en faveur de F. D. Roosevelt, qui écrase son adversaire républicain par 27,7 millions de voix et 523 mandats, contre 16,6 et 8 mandats. Victoire sans précédent, au cours de laquelle deux petits États, le Vermont et le Maine, ont voté républicain. Le verdict populaire consolide la position de F. D. Roosevelt en lui permettant de faire l’économie d’un combat contre la Cour suprême, qui se soumet, et de continuer la lutte pour le relèvement de l’économie et la réhabilitation des victimes de la crise. Il entreprend un second New Deal caractérisé par des mesures sociales, dans l’esprit des réformateurs qui, depuis le début du siècle, ne cessaient de dénoncer les injustices du capitalisme américain: reconnaissance légale des syndicats, création de pensions (sécurité sociale), signature de contrats collectifs dans les entreprises ou professions. Les résultats ne furent pas probants: après une reprise en 1936 et au début du 1937, une violente récession toucha l’ensemble de l’économie américaine à la fin de cette année. Le revenu national tomba de 13 p. 100, l’emploi de 30 p. 100, les profits de 78 p. 100. Une reprise s’amorça en 1938, mais encore bien précaire. Le New Deal a autant marqué les États-Unis que la crise de 1929, et pourtant, sur le plan des résultats, il ne peut être considéré comme un succès. Dix ans après le début de la crise, les États-Unis n’avaient pas encore retrouvé leur niveau antérieur de production, et pas davantage leur revenu national. Cependant le New Deal demeure fondamental dans la mesure où il a donné un style et une dimension nouvelle à l’État fédéral: il a considérablement accru ses pouvoirs, en particulier dans le domaine économique et social, s’est fait le défenseur des humbles et des opprimés, est devenu le centre d’impulsion et de décision dans l’ensemble du pays. C’est dans ce sens qu’on peut parler d’une «révolution du New Deal», qui a rendu confiance au peuple américain.

La Seconde Guerre mondiale

Absorbé  par  la  politique  intérieure, F. D. Roosevelt n’a pu prêter qu’une attention distraite aux problèmes internationaux. La crise inclinait d’ailleurs le pays à se replier sur lui-même, d’autant plus que les États européens, arguant de leurs difficultés, refusaient de payer leurs dettes. Il faut cependant noter la plus grande flexibilité du président à l’égard des républiques latino-américaines et caraïbes et sa conception plus libérale du panaméricanisme. L’emprise américaine sur Cuba, Haïti et la République dominicaine se desserre. À partir de 1935, les menaces qui apparaissent en Extrême-Orient et en Europe modifient insensiblement la position américaine, toujours fidèle à la neutralité: il ne s’agit pas de braquer une opinion publique encore sous le coup des mauvais souvenirs de la Première Guerre mondiale, quoique sensibilisée aux menaces qui pèsent sur la démocratie. Si le Congrès accepte le «cash and carry» (payez et prenez) quand éclate la guerre en Europe, le président refuse de soutenir directement la France défaillante de 1940. Mais la réélection de F. D. Roosevelt en 1940, contrairement à toutes les traditions, et en dépit d’une majorité moindre qu’en 1936, consolide sa position et lui permet d’aider au maximum la Grande-Bretagne demeurée seule dans la lutte (loi prêt-bail). Il témoigne ses sympathies au camp des démocraties dans la charte de l’Atlantique, rédigée avec Churchill, dans la ligne des quatorze points de Wilson. Ainsi les États-Unis s’acheminent peu à peu vers une intervention que précipite l’attaque japonaise sur Pearl Harbor (7 déc. 1941). Pendant quatre ans, leur histoire se confond avec celle de la guerre, qu’il ne saurait être question de résumer ici. L’Amérique devient le pivot de la coalition, aussi bien en ce qui concerne la production que la direction des opérations militaires. Les usines produisent des dizaines de milliers de camions, d’avions, de tanks, de canons, de liberty ships. Grâce à l’aide de savants étrangers, des recherches sont poursuivies en vue de la fabrication de l’arme atomique qui explose pour la première fois, au début de 1945, dans le désert du Nouveau-Mexique. Les conférences de Casablanca (janv. 1943), de Téhéran (nov.-déc. 1943), de Yalta (févr. 1945) jettent les bases de la paix future. Aux élections de 1944, F. D. Roosevelt est réélu à la présidence, mais à peine a-t-il pris les fonctions de son quatrième mandat qu’il meurt (12 avr. 1945), terrassé par les fatigues de la plus longue présidence américaine. L’épuisement de la Grande-Bretagne et les prétentions de l’Union soviétique donnent aux États-Unis des responsabilités étendues dans un monde en proie au chaos, à la misère et au désespoir. Allaient-ils, cette fois, l’abandonner à son sort ou, au contraire, continuer à mettre à sa disposition, en temps de paix, les moyens dont ils disposent? L’opinion américaine paraît décidée à ne pas revenir aux errements de 1919. Les États-Unis adhèrent à la charte des Nations unies, proposent leur aide aux peuples libres qui veulent défendre leurs institutions démocratiques acceptent même la signature d’un traité de coopération militaire avec l’Europe occidentale (pacte de l’O.T.A.N., 4 avr. 1949). Les Américains maintiennent des troupes en Europe, prêtes à riposter à toute menace soviétique (blocus de Berlin, 1948-1949), aussi bien qu’en Extrême-Orient où, de 1950 à 1953, la Corée a vu s’affronter les forces des camps impérialiste et communiste. À la paix tant espérée s’est substituée la guerre froide qui, à peine terminée en un point du globe, se rallume ailleurs. Du moins, la possession de la bombe atomique crée-t-elle l’«équilibre de la terreur». Les Américains sont condamnés à un rôle de gendarmes dans un monde en ébullition.

11. Les difficultés de l’apogée

Les années cinquante et soixante, dans la mémoire collective des Américains, restent l’âge d’or des États-Unis: puissants, riches et respectés, ils dominaient le monde et chacun vivait bien – ou pouvait espérer vivre mieux bientôt; capitalisme et démocratie étaient les mamelles de la réussite et de la prospérité. La fin de la Seconde Guerre mondiale inquiète pourtant les Américains: il faut passer de la guerre à la paix, à l’extérieur comme à l’intérieur, et la prouesse semble d’autant moins aisée à réaliser que le plus grand président qu’aient connu les États-Unis est mort à la veille de la victoire. Un ancien chemisier en faillite, qui a gravi peu à peu les échelons de la machine démocrate jusqu’à devenir vice-président des États-Unis, Harry S. Truman, accède à la présidence par le hasard de la mort de Franklin D. Roosevelt. La situation est d’autant plus préoccupante que l’homme a été soigneusement tenu à l’écart de toute décision: un homme sans qualités détient le pouvoir dans un moment extraordinaire et il s’en tirera fort bien, à la surprise générale. Même l’opinion, plutôt réticente, le réélit contre toute attente en 1948. Il faut d’abord terminer la guerre. En Europe, la reddition allemande (8 mai 1945) suit de quelques semaines la disparition de F. D. Roosevelt. En revanche, le Japon résiste. Truman se résout à lancer la bombe atomique sur Hiroshima le 6 août et sur Nagasaki, le 9 août 1945. La décision demeure controversée mais l’objectif est atteint: le 14 août, le Japon accepte l’armistice sans condition. La guerre, à l’Ouest comme à l’Est, est finie. Les États-Unis espèrent en empêcher la réapparition par la création d’organisations multilatérales chargées de sauvegarder la paix, notamment en favorisant le développement économique: l’O.N.U. (Organisation des nations unies, San Francisco, juin 1945) ou le F.M.I. (Fonds monétaire international, Bretton Woods, juill. 1944). Leretour à la paix achève d’accréditer la normalité de l’interventionnisme fédéral et de la domination présidentielle qui se sont manifestés depuis le New Deal. La présidence se donne alors les moyens d’action qui ne manqueront pas de lui permettre la tentation impériale: création du Council of Economic Advisers en 1946, de la C.I.A. (Central Intelligence Agency) et du National Security Council en 1947.

La reconversion réussie

La reconversion vers une économie de paix provoque quelques soubresauts: l’inflation et le chômage croissent, le pouvoir d’achat diminue, des grèves massives éclatent (107 millions de journées de grève en 1946) et les agriculteurs semblent porter le coup de grâce au gouvernement démocrate en se refusant à livrer leurs produits sans augmentation des prix. Les effets des difficultés économiques et de l’agitation sociale ne se font pas attendre: les élections législatives de novembre 1946 sont un raz de marée républicain. La loi Taft-Hartley, qui restreint les prérogatives syndicales, est votée en 1947, dans la foulée, par la nouvelle majorité conservatrice. Pourtant, l’État réussit à rétablir à la fin de la décennie la situation économique (l’industrialisation massive, réalisée à coup de crédits fédéraux pour l’effort de guerre, va permettre de répondre rapidement à la demande civile: équipement ménager et travaux publics relancent la machine) et sociale (G.I. Bill of Rights de 1944, qui permet aux soldats démobilisés d’entreprendre des études universitaires, et augmentation du salaire minimum en 1949). L’économie demeure cependant fragile: c’est une nouvelle guerre, la guerre de Corée (1950-1953) qui établira vraiment la prospérité. L’évolution extérieure n’est pas plus aisée. Malgré son raidissement rapide et croissant, Truman en paye les conséquences intérieures. Politique étrangère et politique intérieure constituent pour lui l’enjeu d’attaques sur plusieurs fronts. Sur sa droite, les républicains l’accusent d’être mou face au communisme international et de laisser des communistes ou leurs amis, à l’intérieur même du gouvernement, déterminer la politique du pays – ce qui n’empêche aucunement ces conservateurs de rogner systématiquement les crédits demandés par le gouvernement démocrate pour «contenir» la menace communiste. À gauche, une alliance hétéroclite (de Henry Wallace, ministre de l’Agriculture, aux communistes en passant par Albert Einstein ou le célèbre journaliste Walter Lippman) lui reproche sa dureté à l’égard de l’U.R.S.S. et redoute une militarisation croissante des États-Unis.

La double doctrine Truman

Harry Truman va prendre à revers tous ses opposants. Le 12 mars 1947, il propose la doctrine Truman: les États-Unis interviendront économiquement ou militairement lorsqu’ils le jugeront nécessaire afin de préserver leurs intérêts stratégiques ou économiques; c’est la prise en charge de la doctrine du containment (endiguement). Le plan Marshall (proclamé par le secrétaire d’État George Marshall le 5 juin 1947) se met alors en place pour aider les États européens à se relever économiquement et à se défendre à l’Est. Au même moment, une sorte de doctrine Truman à usage interne est aussi annoncée: le décret présidentiel du 21 mars 1947 permet dorénavant de vérifier le loyalisme politique des fonctionnaires. Devant la menace idéologique qu’il redoute pour les États-Unis, Harry Truman a enclenché les redoutables mécanismes de la guerre froide et du maccarthysme, dont il sera la première victime et qu’il sera fort difficile d’arrêter. Général commandant en chef des troupes alliées sur le théâtre européen, héros de la Seconde Guerre mondiale, président d’université, Dwight Eisenhower, premier président républicain depuis vingt ans, est l’homme tranquille qui rassurera et rassérénera une opinion inquiète. Il sera le président le plus populaire de l’après-guerre. Les Américains gardent le souvenir que cette période fut heureuse. Mais l’époque est plus vibrante que tranquille et les succès ne sont pas toujours là où on les attend. En politique étrangère, être la plus grande puissance du monde a des coûts, notamment moraux, que les États-Unis ne sont pas toujours prêts à assumer. En économie, ces trente glorieuses de la croissance et de la prospérité n’empêchent pas ces à-coups brutaux qui caractérisent la situation américaine et dont les effets négatifs sont inégalement répartis. D’ailleurs, sur le plan social, les bénéfices de l’expansion sont rarement partagés comme la justice le voudrait. Même lorsque des présidents démocrates comme John F. Kennedy et, surtout, Lyndon B. Johnson inventent une politique vraiment redistributive (avec la création, par exemple, en 1965 de programmes publics de couverture santé pour ceux qui en ont le plus besoin: Medicare pour les personnes âgées et Medicaid pour les pauvres), les avantages prévus ont une tendance fâcheuse à ne pas autant servir les destinataires qu’il serait souhaitable, les intermédiaires n’ayant pas oublié de se servir au passage. Qui plus est, les effets pervers sont fréquents: réserver les allocations familiales (Aid to Families with Dependant Children, 1962) aux familles pauvres et monoparentales, c’est pousser les pères à l’abandon et marginaliser les plus défavorisés.

Les droits individuels

Cette période est enfin – on l’oublie trop souvent – symbolisée par la Cour Warren (1953-1969) qui va littéralement accoucher des droits individuels, jusque-là restés dans l’ensemble fort théoriques: égalité à l’école, égalité devant la justice, égalité aux urnes, égalité devant la loi deviennent un droit pour tous, Noirs, pauvres, communistes ou simples citoyens d’États moins progressistes et plus répressifs que d’autres. Ainsi, de Brown v. Board of Education of Topeka (1954) sur l’intégration scolaire à Baker v. Carr (1962) qui établit le principe d’«une personne, une voix» aux élections, de Gideon Wainwright (1963) qui garantit l’assistance judiciaire à Engel v. Vitale (1962) qui conforte le droit de ne pas pratiquer une religion, de Sweezy v. New Hampshire (1957) qui renforce la liberté d’expression y compris des marxistes à Griswold Connecticut (1965) où la Cour Warren parachève son œuvre par la reconnaissance d’un droit à l’intimité, d’ailleurs resté fort controversé. Toutes choses bien considérées, Earl Warren (1891-1974) s’avère le plus grand président qu’ait connu la Cour suprême depuis John Marshall (1755-1835): ce que Marshall a fait en bâtissant un État fédéral puissant simplement esquissé par la Constitution de 1787, Warren l’a complété en construisant des droits individuels pour tous qui n’étaient qu’en germe dans la Déclaration des droits de 1791. Les conservateurs n’auront de cesse qu’ils ne renversent cette majorité progressiste: ils y mettront vingt ans, de la nomination par Richard Nixon de William Rehnquist (1972) à celle par Ronald Reagan d’Anthony Kennedy (1987). Peu à peu, les avancées de la Cour Warren sont démantelées: ainsi, en 1989, la Cour suprême a autorisé les États à appliquer la peine capitale aux mineurs (au moment des faits) et aux débiles mentaux, et elle a affirmé en 1990 que les étrangers inculpés par les États-Unis n’avaient pas droit aux mêmes garanties judiciaires que les citoyens américains. La Cour suprême, dans une large mesure, et plus même que le président, réussira à réduire le cancer maccarthyste. Dwight Eisenhower ne voudra jamais attaquer de front le sénateur McCarthy (il ne défendra même pas son supérieur, le général Marshall, contre les attaques iniques de McCarthy) et préfère temporiser. Ainsi se refusera-t-il à gracier Ethel et Julius Rosenberg qui, en pleine hystérie antirouges, montent sur la chaise électrique le 19 juin 1953 bien que leur culpabilité n’ait pas été démontrée lors d’un procès bâclé. Mais Joe McCarthy commet une erreur fatale en s’attaquant au loyalisme de l’armée elle-même. Celle-ci se rebiffe. Les auditions armée-McCarthy se déroulent au Sénat au printemps de 1954: le charme est rompu car l’opinion, grâce à la télévision, se rend compte de la brutalité et de la cruauté des méthodes du sénateur républicain. Il est censuré par le Sénat en décembre 1954: c’est la fin du maccarthysme. Ses effets dureront longtemps: la controverse intellectuelle est stérilisée; surtout, les fonctionnaires, qui devraient pouvoir conseiller en toute liberté, sont paralysés: l’aventure vietnamienne en est largement la conséquence.

En effet, les difficultés ne cessent de surgir: être la plus grande puissance du monde ne va pas sans entraîner les États-Unis plus loin qu’ils ne le voudraient, au nom d’un anticommunisme obsessionnel. Qui plus est, ils n’en finissent pas de régler leurs propres problèmes. À peine la guerre de Corée se termine-t-elle (54 000 morts américains et plus d’un demi-million de morts coréens) avec l’armistice de Panmunjom (27 juill. 1953) que commence en fait la guerre du Vietnam: en refusant de signer, avec le Vietnam du Sud, les accords de Genève (juill. 1954), les Américains mettent le doigt dans un engrenage qui leur coûtera cher – moins, il est vrai, qu’aux Vietnamiens (50 000 morts américains, 400 000 morts sud-vietnamiens et 900 000 morts vietcongs et nord-vietnamiens). Les États-Unis s’engagent d’autant plus profondément aux côtés du Vietnam du Sud qu’ils ont le sentiment de retrouver la main de Moscou dans tous les conflits régionaux. L’expansionnisme soviétique semble irrésistible, et l’U.R.S.S. paraît même capable de conquérir l’espace sans coup férir, laissant les États-Unis loin derrière: alors que les Soviétiques mettent en orbite avec succès le premier satellite Spoutnik (oct. 1957), le monde entier sourit à l’échec (nov. 1957) du Pamplemousse américain. C’est une douche froide pour les Américains, qui attribuent notamment leur retard à l’insuffisance de leurs méthodes éducatives. John Kennedy, jeune, beau et triomphant, fera du retard américain son cheval de bataille électoral. Ayant violemment attaqué Eisenhower pour une politique qu’il accuse d’avoir endormi l’Amérique, laquelle se serait laissé militairement distancer par l’Union soviétique (missile Gap), il est élu de justesse en novembre 1960 contre le vice-président Nixon. Il va nettement accroître les budgets militaires à partir de 1961 et semble capable de damer le pion aux Soviétiques: il en administre la preuve au monde lors de l’affaire des missiles de Cuba (oct. 1962). Il n’hésite pas à aller «jusqu’au bord du gouffre», mais fait reculer Nikita Khrouchtchev, qui retire les missiles «entreposés» à Cuba. La capacité de Kennedy à être un homme d’État restera cependant, pour l’essentiel, invérifiée et virtuelle: John Kennedy est assassiné, dans des circonstances qui demeureront toujours obscures, à Dallas, le 22 novembre 1963, endeuillant toute une génération qui, de par le monde, se sent un peu orpheline. Succéder au bien-aimé fauché en pleine gloire n’est jamais facile. Lyndon Johnson, son vice-président, s’y emploie avec des succès mitigés. Il réussit, mieux que son prédécesseur, à mettre en route une véritable politique sociale de lutte contre la pauvreté. Il est d’ailleurs triomphalement élu en 1964, avec 16 millions de voix d’avance sur son adversaire, le sénateur Barry Goldwater, tellement réactionnaire qu’il fait redouter à une majorité la fin de toute protection sociale et la guerre nucléaire. Mais le président Johnson va trouver sa perte politique au Vietnam: il n’osera même pas se représenter à l’élection présidentielle de 1968.

La tragédie vietnamienne

Loin de démontrer leur capacité d’endiguer le communisme alors triomphant, les Américains vont peu à peu s’enliser au Vietnam et y abandonner, à leurs propres yeux, une part de leur aura civilisatrice et de leur invincibilité: n’est-ce pas la première guerre de leur histoire qu’ils vont perdre? Einsenhower, en refusant de respecter les termes de Genève (élections avant juin 1956 dans l’ensemble du Vietnam sur la question de la réunification) et en aidant le Sud à former une armée, et Kennedy, en augmentant considérablement le nombre des conseillers militaires américains au Vietnam du Sud et en les envoyant au combat (les trois premiers soldats américains trouvent la mort le 2 janvier 1963), ont commencé la deuxième guerre d’Indochine. Lyndon Johnson va lui donner toute son ampleur (il y aura jusqu’à 550 000 soldats américains au Vietnam et les premiers bombardements du Nord commencent en février 1965) et suivra personnellement et au jour le jour les opérations militaires. Sous prétexte d’une attaque navale du Vietnam du Nord (dont il est aujourd’hui démontré qu’elle fut imaginaire), il obtient carte blanche pour intensifier la guerre avec la résolution du Tonkin adoptée le 7 août 1964 à des majorités écrasantes (88 contre 2 au Sénat, 416 contre 0 à la Chambre). Malgré son opposition croissante, le Congrès ne refusera jamais une ligne de crédit pour la poursuite de la guerre jusqu’au cessez-le-feu de 1973. L’armée fournit des rapports toujours plus optimistes: l’offensive du Têt (janv.-févr. 1968) en démontre la vanité et coûte la présidence aux démocrates. Richard Nixon remporte l’élection présidentielle de 1968 contre le vice-président Hubert Humphrey. Il s’agit dorénavant de finir la guerre sans perdre la face. Avec l’aide du subtil Henry Kissinger, Nixon combine les retraits de troupes et l’intensification des bombardements sur le Nord, tout en négociant à Paris. Un cessez-le-feu est enfin signé le 27 janvier 1973. C’est la fin de la guerre américaine – bien que les États-Unis continuent à aider par des bombardements (sur le Cambodge en particulier) leurs alliés sud-vietnamiens, sans réussir à éviter la chute de Saïgon (printemps de 1975). Jamais le gouvernement du Vietnam réunifié ne touchera un sou pour les destructions massives infligées au pays. Lorsque, dans les romans ou les films, la tragédie est abordée, ce n’est que par ses effets délétères sur les combattants américains (Né un 4 juillet) ou sur une société (Voyage au bout de l’enfer) que la «sale guerre» a profondément divisée. Des succès remportés ailleurs (voyage spectaculaire dans cette Chine rouge que Richard Nixon avait jusque-là toujours refusé de reconnaître, en février 1972; accord de désarmement nucléaire, S.A.L.T., signé en mai 1972 lors d’un voyage à Moscou) ne calment pas ces tensions qu’exacerbent les questions intérieures. Les États-Unis sont d’abord malades de leur problème racial: de 1964 à 1968, les ghettos éclatent en émeutes les uns après les autres. L’égalité de jure, en effet, à peu près acquise entre 1954 (arrêt Brown) et 1964 (vote de la loi sur les droits civiques), ne se traduit pas dans les faits où persistent ségrégation et inégalités, exaspérant une communauté qui sera bientôt (dans les années quatre-vingt) ravagée par la drogue et le sida. Les Américains commencent ensuite à s’inquiéter déjà de ce qu’ils craignent être un irrémédiable déclin économique: ils se rendent compte qu’eux non plus ne peuvent à la fois payer les canons et le beurre, et qu’ils sont atteints de stagflation. La situation est telle que Richard Nixon décide de tuer un mythe coûteux: le 15 août 1971, il supprime la convertibilité-or du dollar.

Du Watergate à l’Irangate

Enfin, le scandale du Watergate va sérieusement ébranler la «présidence impériale» aux yeux des Américains. Le 18 juin 1972, en pleine campagne électorale, les bureaux du Parti démocrate à Washington sont cambriolés. Les responsabilités républicaines sont rapidement établies mais, en haut lieu, on préfère nier. La tactique est d’abord payante: le président Nixon est triomphalement réélu contre le démocrate George McGovern. Peu à peu, cependant, sous les coups de boutoir de la justice et du Sénat (la presse n’ayant en fait joué qu’un rôle mineur), l’obstruction présidentielle cède. Lorsque la Cour suprême exige que soient rendus publics ses entretiens privés, le président Nixon comprend que l’ampleur de ses malversations va être révélée et préfère devenir le premier président des États-Unis à démissionner (9 août 1974). On eût pu croire que la leçon serait comprise de ses successeurs. Pourtant, moins de quinze ans plus tard, à l’automne de 1986, le président Reagan est pris en flagrant délit de non-respect des règles démocratiques (Irangate). N’acceptant pas de s’incliner devant le refus explicite du Congrès de ne pas aider militairement la Contra nicaraguayenne, Ronald Reagan tente d’imposer secrètement et illégalement sa politique antisandiniste. Populaire – au contraire d’un Nixon dont l’opinion se méfie –, le président Reagan réussira à ne pas être convaincu de mensonge lorsqu’il affirme n’avoir personnellement rien su ni rien voulu. Il n’empêche que, à tout le moins, ses adjoints les plus proches ont une vision peu constitutionnelle des relations entre l’exécutif et le législatif. Bien que le Congrès, dans la foulée des fiascos du Vietnam et du Watergate, ait réaffirmé ses prérogatives en matière de politique étrangère (loi sur les pouvoirs de guerre de 1973) et de finances (loi sur la procédure budgétaire de 1974), les effets en sont très limités. Les présidences de Gerald Ford et de Jimmy Carter ne seront que des intermèdes, le premier parce qu’il ne lui sera pas pardonné d’avoir gracié Richard Nixon (avant même que celui-ci n’ait été jugé) et le second parce qu’il ne lui sera pas pardonné de vouloir une Amérique plus modeste: ses hésitations permanentes et, surtout, la crise des otages de l’ambassade de Téhéran (pris en otages le 4 novembre 1979, ils ne seront libérés, dernier coup de pied de l’âne khomeyniste, que le jour de l’entrée en fonctions de Ronald Reagan, le 20 janvier 1981) lui coûteront popularité et réélection. Ronald Reagan, charmeur, communicateur de talent, politicien consommé, remporte les élections de 1980 et de 1984. Idéologue mais ayant un sens aigu des rapports de forces, il préside en réalité au déclin accru des États-Unis, même si une immense majorité de ses compatriotes, auprès desquels il est très populaire, estiment au contraire qu’il a permis la renaissance des États-Unis. En fait, si une très longue expansion (après une grave récession en 1981 et 1982) reprend en décembre 1982, son coût est prohibitif; c’est une reprise vicieuse qui laisse les États-Unis exsangues: la dette fédérale a triplé entre 1980 et 1988, les entreprises sont couvertes de dettes pour avoir non pas investi mais spéculé, et les ménages, dans la même situation, ont largement contribué au grave déficit de la balance commerciale; pays créditeur depuis 1913, les États-Unis sont désormais le pays le plus endetté du monde (plus de 500 milliards de dollars à la fin de 1988), et une part croissante de leurs avoirs a été rachetée par des capitaux étrangers. Surtout, les problèmes qui apparaissent déjà juste après la guerre du Vietnam n’ont cessé de s’aggraver: l’infrastructure (routes, ponts, transports), le système éducatif, l’entreprise industrielle et le logement se dégradent; la drogue pervertit une portion croissante de la société.

12.  Les contradictions d’une superpuissance

Le nouvel ordre mondial

La désintégration de l’Union soviétique, symboliquement manifestée par la destruction du Mur de Berlin en 1989, laisse les États-Unis en position de seule superpuissance mondiale. En 1990, un conseiller du président Bush lance l’idée de «nouvel ordre mondial». De multiples conflits menacent la paix: terrorisme, prolifération des armes de destruction massive, guerres civiles, religieuses, ethniques, violences des processus de construction nationale, violations des droits de l’homme. Mais les États-Unis n’ont ni la volonté ni les moyens de porter seuls le poids du leadership mondial. Et, alors que la crédibilité des organismes internationaux (O.T.A.N., O.N.U.), est continuellement mise à l’épreuve, la population américaine rechigne à participer à la résolution de conflits qui ne semblent pas la menacer directement. Avec l’éloignement du danger communiste, elle demande à ses élus de s’occuper en priorité des problèmes intérieurs (tensions raciales, drogue, violence des adolescents, économie). Il ne s’agit pas pour autant d’isolationnisme, mais, comme dans les années 1920, de faire passer «l’Amérique d’abord». La fin de la guerre froide élimine un adversaire qui assurait contre lui l’union des alliés des États-Unis, mais aussi favorisait la cohésion sociale à l’intérieur. Saddam Hussein, président de l’Irak et soutenu par les États-Unis lors de sa guerre contre l’Iran, reprend en partie ce rôle. En janvier 1991, le président américain George Bush lance l’opération «Tempête du désert», menée sous l’égide de l’O.N.U., afin de faire plier Saddam Hussein, qui avait envahi le territoire du Koweït en août 1990. C’est un succès militaire, mais qui ne résout pas le différend avec l’Irak, accusé de se réarmer clandestinement. En 1998, Bill Clinton fait bombarder des sites suspectés d’abriter des armes chimiques. Cette décision, survenant à un moment où le président Clinton était mis en difficulté par l’affaire Lewinsky, est apparue comme un moyen de détourner l’attention de l’opinion américaine. Si le discours américain en appelle à la paix mondiale et au respect des droits de l’homme, dans les faits les intérêts économiques sont privilégiés. Le Moyen-Orient et le Golfe sont des zones stratégiques d’approvisionnement, où le statu quo est un impératif menacé. En Asie, la Chine est ménagée, malgré les violations répétées des droits de l’homme. La volonté de conquérir de nouveaux marchés se manifeste en Afrique, suscitant une réaction d’hostilité de la part des populations. Envers les États de l’ex-Union soviétique, la prudence est de règle, afin de freiner la prolifération des armes nucléaires. Avec la signature d’accords de paix en Irlande du Nord (accord du 10 avril 1998) et entre Israël et la Palestine (à Wye Plantation, Maryland, en octobre 1998), Clinton remporte quelques victoires, fragiles. En fin de compte, la politique extérieure des États-Unis est caractérisée par l’ambiguïté. Ils aspirent à une stabilité internationale qui favoriserait les relations commerciales, mais ils bafouent eux-mêmes les accords internationaux, par exemple en imposant unilatéralement des embargos (Cuba, Irak), ou en n’acceptant que les règles commerciales qui leur sont favorables («guerre de la banane»).

Les enjeux de la politique intérieure

Le fonctionnement politique des États-Unis est paralysé par une lutte sans merci entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif, entre le gouvernement fédéral et les États fédérés, tandis que les véritables questions – aggravation des inégalités sociales, augmentation de la pauvreté malgré un taux de chômage très faible, absence de couverture sociale pour les plus pauvres, tensions raciales, immigration –, restent sans réponses. En 1988, le vice-président George Bush succède à Ronald Reagan. Plus intéressé par la politique extérieure que par les questions intérieures, il se contente de continuer la politique de laisser-faire et de limitation du rôle de l’État fédéral. Il semble en position de force pour aborder les élections de novembre 1992, au cours desquelles il affronte le gouverneur démocrate de l’Arkansas, William Jefferson Clinton, et un indépendant, le milliardaire texan Ross Perot. Bill Clinton, élu, devient le plus jeune président des États-Unis. La présence d’un tiers a suscité un intérêt nouveau parmi les électeurs, et le taux de participation électorale atteint 55 p. 100 de la population en âge de voter, soit le plus haut depuis 1972. Six ans plus tard, il retombe à 36 p. 100, le niveau le plus bas depuis 1942.

Le Parti républicain et le Sud

Bill Clinton présente un projet politique mêlant mesures sociales et libéralisation des mœurs, et voit se dresser contre lui une puissante coalition conservatrice dans laquelle le nouveau Sud, la Bible Belt, fort de sa croissance économique et démographique, joue un rôle important. En 1994, les onze États ex-confédérés, plus le Kentucky et l’Oklahoma, élisent 137 représentants (17 de plus qu’en 1960); en 1996, ils sont 145, soit le tiers de la Chambre des représentants. Cet accroissement s’accompagne d’une double polarisation. Depuis 1980, les démocrates ont peu à peu perdu la majorité dans une région qui était un de leurs bastions traditionnels. En 1990, les treize États avaient encore élu 83 démocrates et 46 républicains; en 1994, ils envoient à la Chambre des représentants 59 démocrates et 78 républicains. De plus, le réalignement adopte des lignes raciales: la Georgie par exemple, avant le découpage électoral et l’addition d’un siège, avait neuf représentants démocrates, dont un Noir, et un représentant républicain. En 1995, elle élit trois démocrates noirs et huit républicains blancs. Des associations religieuses minoritaires, mais très actives et très puissantes dans le Sud, comme la Coalition chrétienne, exercent une influence croissante dans le Parti républicain, pèsent sur la désignation des candidats, et essaient d’imposer leurs choix de société (lutte contre l’avortement, contre la libéralisation des mœurs, contre l’immigration, mise en avant de la religion et des droits des États).

Congrès républicain contre président démocrate

La victoire des républicains aux élections de la mi-mandat en 1994 leur donne, pour la première fois depuis 1952, la majorité dans les deux chambres du Congrès. Le nouveau président de la Chambre des représentants, Newt Gingrich, annonce à grands cris un «Contrat avec l’Amérique», qui consiste à accentuer le démantèlement des mesures sociales du New Deal et des années 1960, et à limiter l’action du gouvernement fédéral. Entre autres dispositions, il propose la réduction de la dette publique (4 500 milliards de dollars) sur sept ans, et une diminution des impôts de 245 milliards de dollars, en bonne partie au bénéfice des plus hauts revenus. Clinton a beau jeu de s’opposer à un projet qui conduirait à réduire les financements fédéraux dans l’aide médicale aux personnes âgées (Medicare), dans le logement, l’éducation et la formation permanente. Les pressions portent cependant leurs fruits. En août 1996, briguant un second mandat et désireux de ne pas s’aliéner l’électorat conservateur, Clinton signe sans conviction une loi d’inspiration républicaine qui supprime l’aide fédérale aux familles avec des enfants – une aide votée soixante et un ans plus tôt, à l’époque du New Deal. Cette aide est transférée aux États qui reçoivent une somme dont ils déterminent l’utilisation. Afin de diminuer leurs dépenses, ceux-ci encouragent les chefs de famille vivant de l’aide sociale (la plupart sont des mères élevant seules leurs enfants) à trouver du travail. Un autre aspect de la loi menace les immigrants qui, même légaux, sont écartés du bénéfice de l’aide sociale, réservée aux citoyens américains. Cette décision entraîne une forte augmentation des demandes de naturalisation. La guérilla menée contre le président Clinton par les républicains, les mouvements chrétiens fondamentalistes et différents groupes de pression, trouve un nouveau souffle lorsque le procureur indépendant Kenneth Starr, nommé pour enquêter sur une affaire de financements, découvre que le président a entretenu une liaison avec une employée temporaire de la Maison-Blanche. Bill Clinton commet l’erreur, dans un premier temps, de vouloir cacher cette aventure. L’année 1998 est marquée par les interventions médiatiques de défenseurs autoproclamés de la morale publique qui déversent complaisamment, aux heures de grande écoute, les détails les plus salaces sur les activités sexuelles extra-conjugales du président des États-Unis. Les pères fondateurs, lorsqu’ils avaient institué le système de contrepoids mutuels (checks and balance) dans la Constitution de 1787, n’avaient certainement pas imaginé que la procédure de mise en accusation d’un président pour haute trahison (impeachment) pourrait être utilisée dans le domaine de la vie privée. Or, s’ils blâment sa conduite, les électeurs font clairement savoir, lors des élections à mi-mandat de novembre 1998, qu’ils ne souhaitent pas sa destitution. La Chambre des représentants, dominée par une majorité républicaine, persiste et vote en décembre 1998 la poursuite de la procédure au Sénat, sur deux chefs d’inculpation: faux témoignage devant une Haute Cour et obstruction à la justice. Un verdict de destitution ne peut être rendu que par une majorité des deux tiers (soit 67 voix sur 100). Le 12 février 1999, les sénateurs, réunis en tribunal spécial, acquittent le président de l’accusation de faux témoignage (55 voix seulement pour la culpabilité) et de celle d’obstruction à la justice (50 contre 50). Tandis que le bras de fer entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif retarde le vote de mesures sociales, la Cour suprême, dont plusieurs membres ont été nommés par Ronald Reagan ou George Bush, arbitre en faveur des mouvements conservateurs. Une loi de 1963 avait interdit la prière à l’école pour garantir la neutralité religieuse. Mais à la suite d’un jugement de la Cour suprême de 1990, qui déterminait que les bâtiments scolaires pouvaient être utilisés en dehors des cours par des groupes religieux, les «groupes de prière» se multiplient. En 1997, la Cour suprême réaffirme les droits des États (Printz v. United States) et déclare que la loi Brady sur le contrôle des armes à feu adoptée en 1993 leur porte atteinte en les obligeant à rechercher les antécédents des acheteurs d’armes à feu.

Une société divisée

Noirs et Blancs, hommes et femmes, riches et pauvres, Américains de souche (nés aux États-Unis de parents eux-mêmes nés aux États-Unis) et immigrants, s’opposent pour l’accès aux ressources. En 1996, le salaire annuel moyen d’un homme noir représente 80 p. 100 de celui d’un homme blanc, celui d’une femme blanche 73 p. 100, celui d’une femme noire 65 p. 100, celui d’un homme hispanique 64 p. 100 et celui d’une femme hispanique 56 p. 100. Plus généralement, la pauvreté a augmenté aux États-Unis; elle atteignait en 1993 le taux de 15 p. 100 d’Américains au-dessous du seuil de pauvreté, soit le taux le plus élevé depuis trente ans. La société américaine est dure pour les faibles, même si le rêve américain connaît un nouvel élan avec la reprise économique et l’extraordinaire développement de l’informatique et des communications grâce au réseau Internet. Des millions d’immigrants, légaux ou clandestins, arrivent d’Amérique latine et d’Asie. Inquiets de la concurrence pour l’emploi, classes moyennes et pauvres demandent la diminution des entrées. En septembre 1996, une loi sur l’immigration renforce les contrôles à la frontière, et autorise le gouvernement à expulser plus rapidement les clandestins. Cependant, Bill Clinton refuse de ratifier une mesure qui autoriserait les États à refuser toute scolarisation aux immigrants illégaux.

La persistance du problème noir

Les relations entre Noirs et Blancs restent un des principaux problèmes sociaux de la décennie de 1990, et il ne s’agit pas d’une question marginale. La musique rap, qui prend pour inspiration la vie dans les quartiers noirs défavorisés, émerge comme un courant musical à part entière dès 1991. Les conséquences de la dégradation des ghettos sont projetées sur la scène publique lorsque de violentes émeutes raciales éclatent à Miami en 1989, à Crown Heights, un quartier de Brooklyn, en 1991, et, surtout, à South Central (Los Angeles) en avril 1992 (faisant 52 morts, 21 millions de dollars de dommages). Dans cette dernière affaire, quatre policiers blancs, qui avaient passé à tabac un conducteur noir, Rodney King, furent acquittés par un jury constitué presque exclusivement de Blancs, malgré la preuve flagrante qu’apportait la vidéo tournée par un témoin. Dépassant l’opposition entre Noirs et Blancs, la violence est rapidement dirigée contre des immigrants récents, mexicains et surtout coréens, soulignant l’importance de la question de l’immigration. Un an plus tard, la condamnation des policiers par un jury fédéral et l’attribution de crédits dans les quartiers noirs permettent de calmer la tension, même si la pauvreté, les luttes entre gangs et le commerce de drogue persistent. Le rapport entre le revenu par tête des Noirs et des Blancs, qui était de 57 p. 100 en 1980 n’est encore que de 60 p. 100 en 1995. Le procès d’Orenthal James Simpson, en 1995, confirme la polarisation raciale. Ancienne vedette du football américain, très riche, marié à une Blanche, il est l’exemple même du Noir qui a réussi. Accusé de l’assassinat de son ex-femme et de l’ami de celle-ci, il est déclaré non coupable, malgré des indices troublants, à l’issue d’un procès fleuve de neuf mois abondamment relayé par les médias, mettant en vedette les meilleurs avocats des États-Unis. Les réactions de la population reflètent les préjugés raciaux traditionnels: 63 p. 100 des Blancs le pensent coupable et 83 p. 100 des Noirs le considèrent innocent. Des extrémistes tentent d’utiliser cette frustration et, en 1995, la «marche du million d’hommes noirs», organisée par le dirigeant de la Nation de l’Islam, Louis Farrakhan, rassemble environ 400 000 manifestants à Washington.

Des progrès contre la discrimination

Les années 1990 envoient à ce sujet des signaux contradictoires. D’un côté, minorités et femmes ont obtenu des avancées indéniables. Dans le secteur éducatif, la volonté de mieux rendre compte de la diversité de la population et de l’histoire des États-Unis, a donné lieu, sous l’appellation assez pauvre de «multiculturalisme», à une vive contestation de la prédominance de l’histoire et de la littérature européennes, et à la valorisation de l’apport des minorités. Les femmes sont de plus en plus nombreuses à travailler, mais il leur reste à conquérir une véritable égalité salariale, par un plus large accès aux emplois bien payés. Depuis 1979, elles sont majoritaires à l’université, mais c’est moins un signe de promotion que le résultat du choix de nombreux jeunes hommes qui, grâce à l’économie, peuvent trouver un travail bien rémunéré même sans posséder de diplôme universitaire. Plus d’égalité signifie aussi plus de respect sur le lieu de travail. Le nombre de cas de procès pour harcèlement sexuel est passé de 6 900 en 1991 à 15 500 en 1998. Mais ceux qui se reconnaissent dans la catégorie «hommes blancs», et qui s’estiment désavantagés par les mesures de promotion des minorités et des femmes, ont eux aussi marqué des points. L’action du gouvernement fédéral en faveur des minorités (Affirmative Action), inscrite dans la loi sur les droits civiques de 1964, et qui avait permis l’amélioration de la situation sociale d’une partie de la population noire, est progressivement démantelée à partir de 1996, d’abord en Californie puis dans l’État de Washington.

Le XXIe siècle sera-t-il américain?

On pourrait le croire au vu d’un dynamisme économique qui tire le meilleur parti de la mondialisation. Cependant, le modèle américain, libéral, individualiste et prédateur doit trouver des réponses à des questions majeures: la dégradation de l’environnement et de la qualité de la vie, les menaces que font peser sur la vie privée les médias (presse à scandales et Internet, qui des émeutes de Los Angeles au procès du président Clinton ont tenu le haut du pavé), la montée de la violence chez les adolescents, l’exigence de plus de démocratie, la protection sociale pour les pauvres (les immigrants illégaux ou non sont les premiers visés par les mesures de restriction), et les retraites (les personnes âgées seront de plus en plus nombreuses avec le vieillissement de la génération du baby-boom). Le rejet, par le Congrès, du projet de restructuration du système de santé proposé par Bill Clinton en 1992, s’il ne préjuge pas de l’avenir, n’est à cet égard guère encourageant.

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