Marilyn Monroe pour toujours

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TANZANIE

Marilyn pour toujours

 

La République unie de Tanzanie, dont la superficie est de 942 800 km2, est formée de deux entités géographiquement distinctes et qui conservent encore, sur le plan politique, une certaine autonomie, l’ex-Tanganyika et l’ex-sultanat de Zanzibar. Bien que l’union de ces deux États ait été proclamée le 27 avril 1964, au lendemain de la révolution survenue à Zanzibar, il serait hasardeux d’affirmer que la Tanzanie (elle reçut cette appellation le 29 octobre 1964) respecte le modèle de l’État unitaire classique. Non seulement la Tanzanie continentale (ex-Tanganyika) et la Tanzanie insulaire (ex-Zanzibar) ont conservé des institutions séparées (Zanzibar s’est au demeurant dotée d’une constitution spécifique en 1979), mais encore la vie politique est restée largement indépendante dans les deux composantes de la République «unie». Le processus d’intégration qui s’était amorcé en 1977 avec la création d’un parti unique, le Chama Cha Mapinduzi («Rassemblement de la Révolution») succédant aux deux anciens partis dominants l’un sur le continent, la Tanganyika African National Union, et l’autre dans les îles, l’Afro-Shirazi Party, semble bien lent, et nombre d’observateurs se demandent si l’accord conclu en 1964 pourra être intégralement préservé dans un contexte de crise économique aiguë et de forte tension internationale. Comment se présente cet État côtier d’Afrique orientale, entouré au nord par le Kenya et par l’Ouganda, à l’ouest par le Rwanda, le Burundi et le Zaïre, au sud par la Zambie, le Malawi et le Mozambique et disposant d’une façade maritime sur l’océan Indien? Il est constitué pour l’essentiel par un vaste plateau central dont l’altitude moyenne avoisine 1 200 m prolongé au nord par les hauts sommets d’Afrique, le prestigieux Kilimandjaro (5 895 m) et le mont Meru (4 567 m), et coupé à l’ouest par une faille qui a favorisé la formation des grands lacs (lac Tanganyika et lac Malawi) sans parler du lac Victoria, immense nappe d’eau que se partagent au nord-ouest la Tanzanie, l’Ouganda et le Kenya. Quant à la Tanzanie insulaire, elle est composée en réalité de deux îles, celle de Zanzibar (1 554 km2) qui a donné son nom à l’ensemble, et celle de Pemba (906 km2) plus au nord, l’une et l’autre séparées du continent par un bras de mer de 35 km environ. Îles pratiquement plates et largement ouvertes sur le monde extérieur et dont l’histoire a été à ce titre particulièrement riche et agitée... Le climat du pays est caractérisé par sa situation subtropicale. La zone centrale connaît d’assez longues périodes de sécheresse qui prennent occasionnellement des proportions dramatiques (famines menaçantes des années 1973-1974 ou des années 1981-1982), ce qui interdit la mise en culture de toutes les terres cultivables – cependant que la frange côtière et les îles bénéficient de précipitations abondantes et d’une température moyenne avoisinant 26 0C. Les secteurs de montagne du nord, de l’ouest ou du sud-ouest se prêtent assez bien à l’élevage ou aux cultures d’exportation telles que le café (région du Kilimandjaro). L’irrigation et la régularisation des cours d’eau font l’objet de multiples projets (par exemple celui de la Kagera Rivers Basin Organization), qui ont pris une nouvelle ampleur dans la perspective d’un «corridor» est-africain, schéma dans lequel la Tanzanie, grâce à un réseau routier, ferroviaire, fluvial et lacustre réaménagé, aiderait au désenclavement de pays comme l’Ouganda, le Rwanda, le Burundi et la Zambie.

Selon le recensement de 1988, la population était de 23 174 336 habitants (dont 640 578 pour Zanzibar et Pemba) et elle est estimée à 27 296 000 habitants pour 1994 (non compris environ 500 000 Burundais et 300 000 Rwandais réfugiés en Tanzanie). Mais le taux d’accroissement naturel est élevé (il est évalué à 26,1 p. 1 000 en 1994). La densité est relativement faible (30,9 hab./km2); la concentration urbaine, qui avait été quelque peu freinée par la politique délibérément «ruraliste» du président Nyerere, s’est accentuée avec la crise économique (population urbaine: 34,2 p. 100 en 1991). Le recensement effectué à Dar es-Salaam en 1988 donnait le chiffre de 1 360 850 habitants. Les autres villes importantes (Tanga au nord, Mwanza, au nord-ouest, Tabora, Mbeya, Zanzibar, etc.) connaissent à un degré moindre un phénomène comparable. Sur le plan ethnique, la population tanzanienne du continent est divisée en diverses communautés. La plus importante est, bien entendu, la communauté africaine, elle-même composée de plus de cent vingt tribus, la plupart d’origine bantoue, parfois d’origine nilotique ou nilo-hamitique. Aucune ethnie ne présente un caractère véritablement dominant en Tanzanie continentale, mais parmi les groupes les plus importants on peut citer ceux des Sukuma, des Chagga, des Hehe, des Haya, des Nyamwezi, des Makonde, etc. À Zanzibar, la situation est relativement plus simple: la majorité africaine est constituée pour l’essentiel de descendants des occupants originaires des îles (les Shirazi) ou des mainlanders venus du continent soit volontairement, soit en qualité d’esclaves. La minorité d’origine indopakistanaise (les Asians) se consacre en principe aux activités commerciales ou industrielles et s’efforce de préserver l’originalité de ses coutumes et de ses mœurs dans un contexte souvent hostile. Mais elle n’a pas fait l’objet de mesures de répression ouverte comme en Ouganda, pendant la dictature d’Idi Amin Dada. À Zanzibar, la minorité «arabe» qui avait reçu le pouvoir des mains des Britanniques en décembre 1963 fut en revanche la principale victime des événements sanglants qui amenèrent l’Afro-Shirazi Party et son leader S. A. Karumé au pouvoir. Quant aux Européens, ils n’avaient jamais considéré le Tanganyika ou Zanzibar comme de véritables colonies de peuplement. La décolonisation en fut, dans une certaine mesure, facilitée, et leur présence résiduelle ne semble pas constituer aujourd’hui un problème majeur. Il ne faut pas négliger l’importance du kiswahili comme langue nationale et officielle de la Tanzanie. Il a certainement contribué à renforcer la cohésion culturelle et sociale du pays. Il existe en effet une littérature swahilie riche et populaire. Sur le plan religieux, la population tanzanienne se répartit en trois groupes d’importance comparable: les animistes, les musulmans (essentiellement sur la frange côtière et dans les îles) et les chrétiens (catholiques et protestants).

1. L’édification du pays jusqu’à l’indépendance

Ce sont les Arabes et les Perses qui ont commencé à coloniser l’Afrique de l’Est au XVIIe siècle et au XVIIIe siècle, les Portugais n’ayant pris pied que sur quelques points côtiers pour l’installation de leurs comptoirs. L’intérieur est resté pratiquement inexploré jusqu’au XIXe siècle. À Zanzibar, la population shirazi fit appel aux sultans d’Oman pour chasser les Portugais qui venaient s’installer dans l’île. Le commerce des esclaves et des épices y deviendra rapidement florissant, au point que les sultans y transférèrent leur capitale en 1832 pour mieux contrôler le commerce sur l’ensemble de la côte est-africaine. Les premières expéditions commanditées le cas échéant par les compagnies commerciales ou des sociétés de colonisation européenne furent organisées sur le continent à partir de la côte. Peu à peu, ces régions devinrent l’enjeu de rivalités coloniales. Le Tanganyika et Zanzibar ont suivi pendant longtemps des destins séparés qu’il faut brièvement retracer.

Le Tanganyika avant l’indépendance

L’évolution des institutions

La conférence de Berlin (1884-1885), qui partagea l’Afrique en zones d’influence au profit des puissances coloniales européennes, décida d’attribuer une partie de l’Afrique de l’Est à l’Allemagne impériale pour le compte de laquelle une société de colonisation, dirigée par le professeur Karl Peters, venait de faire l’acquisition d’une vaste superficie de terrains. La gestion de ces territoires fut abandonnée d’abord à une compagnie commerciale, mais, après 1890, l’Allemagne pratiqua une politique d’administration directe dans la Deutsche Ost-Afrika. Cette politique fut rude (confiscation des terres déclarées «terres de la Couronne», répressions sanglantes des révoltes dont la plus spectaculaire fut l’insurrection Maji-Maji en 1905-1906, etc.), mais elle permit de commencer à équiper le territoire (réseau routier et portuaire) et de mettre en valeur les zones les plus fertiles (sisal, coton...). Pendant la Première Guerre mondiale, Anglais et Allemands s’affrontèrent durement au Tanganyika. La défaite de l’Empire allemand ayant entraîné la perte de ses colonies africaines, la Deutsch Ost-Afrika fut divisée en trois territoires: le Tanganyika, le Ruanda et le Burundi, tous placés sous mandat de la Société des Nations. La Grande-Bretagne fut désignée en 1919 pour administrer la Tanganyika au nom de l’organisation internationale (le Ruanda et le Burundi étant confiés à la Belgique selon le même statut). Conformément à sa politique coloniale habituelle (et au mandat qu’elle avait reçu de la Société des Nations), la Grande-Bretagne utilisa le système de l’indirect rule pour gérer cette nouvelle possession: les habitants des territoires sous mandat ne deviennent pas des sujets britanniques mais sont seulement «protégés» par la Grande-Bretagne, les clauses du mandat interdisant toute modification unilatérale du statut par la puissance mandataire. L’administration du Tanganyika, définie pour l’essentiel par le Tanganyika Order in Council, reposait sur l’institution du gouverneur, désigné par la Couronne et assisté par un Conseil exécutif (Executive Council), dont les fonctions étaient purement consultatives. Un Conseil législatif (Legislative Council) fut créé plus tard, en 1926, mais sa représentativité était faible puisqu’il ne comprenait guère à l’origine que des membres nommés et des fonctionnaires (officials) de Sa Majesté; au surplus, il était présidé par le gouverneur. Ce conseil (dont la composition a quelque peu varié dans le temps) était chargé de discuter les lois applicables à la colonie, mais ne disposait pas à proprement parler du pouvoir législatif (le gouverneur pouvait toujours opposer son veto à une loi qu’il jugeait inopportune). Sur le plan administratif, outre un secrétariat général qui assurait des fonctions de coordination, des commissaires (Commissioners) furent placés à la tête des provinces et des districts, circonscriptions administratives nouvellement créées pour tenir compte des dimensions du Tanganyika: ils dépendaient très étroitement du gouverneur. Quant aux institutions judiciaires de la colonisation, elles étaient éventuellement chargées d’appliquer le droit britannique (Haute Cour, Cour d’appel d’Afrique de l’Est). Certes, les institutions indigènes subsistaient, mais leur fonction était surtout d’assurer le contact entre l’administration coloniale et les populations locales. Les tribunaux indigènes (native courts) relevaient ainsi en appel des commissaires de district (district commissioners), puis d’une cour d’appel centrale (Central Court of Appeal).

Le système (qui présentait, selon sir Donald Cameron, des avantages certains, à la fois pour la puissance coloniale et pour les Africains) fonctionna sans modification sensible jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Lorsque l’O.N.U. succéda à la S.D.N., le «mandat» de la Grande-Bretagne fut transformé en «tutelle» sous la surveillance vigilante du Conseil de tutelle et de l’Assemblée générale (1946). La Grande-Bretagne dut s’engager à favoriser l’accès des Africains aux postes de responsabilité et à conduire le Tanganyika vers l’indépendance, dans le respect des principes démocratiques. C’est alors que Londres s’orienta vers la politique dite «multiraciale» ou «multicommunautaire» qui n’était sans doute pas exempte d’arrière-pensées. Chacune des «communautés» qui composaient la population du Tanganyika (la communauté africaine, la communauté des Asians et la communauté européenne) se voyait attribuer une représentation séparée (mais inégalitaire) dans les institutions du territoire. Le déséquilibre manifeste entre la représentation de la communauté africaine et celle des autres communautés permettait en fait à l’Angleterre de ne rien céder d’essentiel. Le Conseil exécutif se transforma progressivement en gouvernement local (il deviendra «ministère» en 1957) et s’ouvrit de manière mesurée aux représentants des communautés africaine et indopakistanaise. Le Conseil législatif, qui comprenait en 1945 vingt-neuf membres dont quinze officials, fit place également à quelques Africains (4) et Asians (3); il cessa d’être présidé par le gouverneur en 1953. Une commission constitutionnelle (commission Matthew) fut désignée en 1949 pour examiner les perspectives de l’évolution politique du Tanganyika; elle remit un rapport, jugé progressiste à l’époque, qui recommandait une accélération du processus représentatif en faveur de la majorité africaine. Une deuxième commission (commission Mackenzie), créée en 1952, préconisa un statut électif à terme de tous les membres du Conseil et une africanisation plus rapide de cette institution. Bien que ses conclusions n’aient pas été suivies immédiatement d’effet, elles contribuèrent vraisemblablement à faire adopter en 1955 le principe d’une représentation paritaire des trois communautés au sein du Conseil élu. En toute hypothèse, la Grande-Bretagne subissait la pression constante des instances compétentes de l’organisation des Nations unies. Les missions de visite se succédaient au Tanganyika et critiquaient ouvertement la politique «multicommunautaire» dont l’objectif plus ou moins avoué était de freiner les revendications nationalistes africaines. Il fallut céder du terrain. Un nouveau mécanisme électoral proposé en 1956 par une nouvelle commission constitutionnelle et adopté non sans restrictions en 1957 améliorait sensiblement la représentation de la population africaine. Aux élections de 1958-1959 (elles furent curieusement scindées en deux phases), les partisans de la politique multicommunautaire connurent un échec total. Le Tanganyika se dirigea alors à grands pas vers l’indépendance. Une des pièces majeures du système parlementaire, la responsabilité ministérielle, fut mise en place peu après: le Conseil des ministres, composé de ministres élus et dirigé par un Premier ministre «conseiller du gouverneur», devint un responsible government conformément aux recommandations du Comité constitutionnel institué en 1959. Puis la conférence constitutionnelle réunie à Londres en 1960 admit à la fois un élargissement sensible du droit de vote et une plus grande représentativité du Conseil législatif. De nouvelles élections se déroulèrent le 30 avril 1960: le leader du parti africain vainqueur devint normalement le Premier ministre du territoire. Au début de l’année 1961, la conférence constitutionnelle siégeant à Dar es-Salaam décida de remplacer le Conseil législatif par une Assemblée nationale entièrement élue, de réduire sensiblement les attributions du gouverneur et de permettre au cabinet responsable devant l’Assemblée de gérer les affaires intérieures du pays. Les mois suivants furent consacrés à la rédaction de la constitution du nouvel État dont l’indépendance fut proclamée le 9 décembre 1961. Le Tanganyika devenait un dominion dans le cadre du Commonwealth, avec un gouverneur représentant la Couronne, une Assemblée nationale représentative et un gouvernement responsable dirigé par un Premier ministre africain.

L’évolution des forces politiques

Comme dans la plupart des possessions coloniales africaines, la vie politique du Tanganyika fut lente à s’éveiller. Bien que le mouvement coopératif ait réussi à s’implanter (par exemple dans les régions productrices de coton ou de café, le Sukumaland et le Chaggaland) et que quelques syndicats se soient constitués, leurs objectifs n’étaient pas à proprement parler politiques. On notera même que, dans certaines ethnies (celle des Chagga, des Haya, des Nyamwezi, etc.) , des groupements politiques s’étaient progressivement mis en place, mais leur influence reposait sur une base tribale et se trouvait donc relativement réduite. La première organisation dont les ambitions (sociales et culturelles à l’origine) se transformèrent en aspirations politiques nationales fut sans doute la Tanganyika Africa Association (T.A.A.),créée vers 1930 et qui s’efforçait de dépasser le cadre tribal pour exprimer les revendications de la masse africaine. Son audience était sensiblement plus importante que celle de la Tanganyika Welfare and Commercial Association formée à la même époque et qui, malgré son appellation apparemment plus neutre, s’était, elle aussi, politisée. Le nouveau contexte international à l’issue de la Seconde Guerre mondiale ne pouvait que favoriser l’éclosion des mouvements nationalistes africains. La T.A.A. bénéficia incontestablement de ce changement: elle fut considérée comme un des interlocuteurs valables des missions de visite de l’O.N.U., dans la mesure où elle regroupait les élites indigènes du moment (intellectuels, commerçants, artisans, cadres administratifs,...). Lorsqu’un jeune intellectuel originaire du nord-ouest du pays, J. K. Nyerere, en prit la présidence, une refonte des statuts fut aussitôt entreprise et, en juillet 1954, la T.A.A. devenait la Tanganyika African National Union (T.A.N.U.) dont le rôle fut déterminant pour l’avenir politique du pays. Il s’agissait alors de «préparer la Tanganyika au self-government et à l’indépendance et à combattre sans relâche pour que la Tanganyika devienne autonome et indépendante». La T.A.N.U. affichait par ailleurs sa volonté de faire appel aux mouvements coopératifs et syndicaux pour soutenir son combat politique. Elle avait choisi une tactique modérée de harcèlement, sans rien céder sur les objectifs. En quelques années, malgré les efforts de la Grande-Bretagne pour réduire l’influence du mouvement ou intimider ses dirigeants, elle s’installait sur le devant de la scène et ne le quittait plus. Ses organisations annexes, notamment celle des femmes («section féminine» de la T.A.N.U.) et celle des jeunes (T.A.N.U. Youth League, ou T.Y.L.), ainsi que la Tanganyika Federation of Labour (T.F.L.), lui assuraient le contact avec les couches les plus dynamiques de la population africaine. Aucun autre parti politique ne fut jamais en mesure de lui disputer le monopole de la représentation politique des Africains. C’est en vain que Londres suscita ou soutint des partis concurrents (l’United Tanganyika Party, U.T.P., converti à la politique multicommunautaire de la Grande-Bretagne; le Tanganyika Federal Independence Party, T.F.I.P., qui préconisait un séparatisme assez flou; l’African National Congress, A.N.C., qui jugeait la politique de J. K. Nyerere trop modérée): aucune de ces formations ne réussira à s’implanter. Il était évident que la T.A.N.U. était seule en mesure de négocier l’indépendance du territoire et de prendre la responsabilité du pouvoir: après les élections du 30 août 1960, J. K. Nyerere devint logiquement Premier ministre. Le nombre des adhérents de la T.A.N.U. (il était évalué en 1958 à 175 000 environ) enfla aussitôt: en 1961, on avançait le chiffre de un million. La T.A.N.U., sous l’impulsion de J. K. Nyerere, maintint la ligne qui lui avait fort bien réussi jusqu’alors: accentuer la pression sur la Grande-Bretagne, sans recourir à la violence et sans s’aliéner le capital de sympathie qu’elle avait su acquérir auprès des instances internationales et même auprès de certaines fractions de l’électorat européen ou indopakistanais. Elle a dominé littéralement toute la vie politique du Tanganyika avant (et après) l’indépendance.

Zanzibar avant l’indépendance

C’est une autre histoire que celle du Zanzibar et qui n’a pas grand-chose de commun avec celle du Tanganyika. Les deux îles de Zanzibar et de Pemba étaient restées possession des sultans d’Oman jusqu’en 1890, date à laquelle la Grande-Bretagne préoccupée par la colonisation allemande du Tanganyika, décida de leur imposer son protectorat. Elle maintint les privilèges de la minorité «arabe» et les prérogatives du sultan en ce qui concerne les affaires intérieures du pays (mais l’abolition de l’esclavage en 1897 réduisit l’importance «commerciale» de Zanzibar qui se reconvertira dans la culture du girofle). Les habitants de Zanzibar n’avaient pas la qualité de citoyens britanniques, mais étaient «protégés» par la puissance coloniale, qui entendait surtout contrôler la politique extérieure du pays. La Grande-Bretagne se trouva rapidement aux prises avec les difficultés nées de l’antagonisme entre la majorité «afro-shirazie» et la minorité arabe, sans compter les rivalités au sein de la population africaine (indigènes, shirazis, descendants d’esclaves émancipés, immigrants venus du continent ou des Comores, etc.).

L’évolution des institutions

Fidèle à une méthode éprouvée, la Grande-Bretagne procéda à un aménagement progressif des institutions du protectorat. Un «Conseil de protectorat» fut créé en 1914, sous la présidence nominale du sultan, pour assister celui-ci dans ses tâches d’administration intérieure; il était composé de représentants de la puissance coloniale et de conseillers du sultan. En 1926 furent mis en place un Conseil exécutif et un Conseil législatif, mais les Africains en furent écartés jusqu’en 1945 et, au demeurant, les règles du système éducatif et économique permettaient de maintenir les privilèges de la minorité arabe, qui s’appuyait le cas échéant sur une autre minorité, celle des Asians d’origine indienne. Londres tenta, après la Seconde Guerre mondiale, d’imposer une politique multicommunautaire qui faisait place aux communautés africaine et indienne aux côtés de la minorité arabe au pouvoir (le problème de la représentation de la communauté européenne ne se posait pas dans les mêmes termes que sur le continent, compte tenu du faible nombre de résidents britanniques). C’est ainsi que deux Africains furent admis au Conseil législatif à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Divers projets furent élaborés par la suite, mais ils furent plutôt mal accueillis par les dirigeants arabes qui redoutaient l’extension de la représentation africaine ou indienne au Conseil législatif. La commission Coutts proposa une représentation élue, pour la moitié des sièges dits non official du Conseil législatif, sur la base d’un collège unique, réforme qui fut adoptée en 1956. Les élections de 1957, marquées par de graves incidents, traduisaient une poussée des forces nationalistes africaines. Les années qui précédèrent l’indépendance virent les affrontements redoubler entre Arabes et Africains. L’évolution des institutions se poursuivait toutefois selon le schéma déjà expérimenté: sur la suggestion du commissaire constitutionnel sir H. Blood, le principe d’un gouvernement responsable devant un Conseil législatif essentiellement élu fut retenu, mais aux élections de janvier 1961, aucune majorité nette ne parvint à se dessiner et il fallut procéder à de nouvelles élections pour tenter de clarifier la situation: elles se déroulèrent dans un climat de violence qui laissait mal augurer de l’avenir. La conférence constitutionnelle réunie à Londres se heurta très vite au problème de la représentativité de la chambre élue et au rôle dévolu à la minorité arabe dans le futur État de Zanzibar. L’indépendance de Zanzibar fut proclamée le 10 décembre 1963 dans une atmosphère tendue. Les événements qui suivirent montrèrent que les craintes des observateurs étaient fondées.

L’évolution des forces politiques

La vie politique, dans ces îles dont la population totale n’atteignait pas 400 000 habitants lors de l’indépendance, était particulièrement confuse, les clivages se trouvant aggravés, dans un espace aussi étroit, par des considérations historiques, idéologiques ou personnelles. Outre les Européens, les minorités arabe et indienne se heurtaient aux intérêts d’une communauté africaine majoritaire, mais elle-même profondément divisée. Les premières associations africaines qui se créèrent avant la Seconde Guerre mondiale n’avaient qu’une audience limitée: l’African Association (1934) groupait les Africains venus du continent et entretenait d’étroites relations avec la T.A.N.U. de J. K. Nyerere ; la Shirazi Association (1939) entendait exprimer les aspirations des populations shirazi notamment à Pemba. De leur côté, les Arabes et les Indiens avaient constitué des associations telles que l’Arab Association ou l’Indian Association. La naissance des partis politiques date de la décennie qui précéda l’indépendance. Le Zanzibar Nationalist Party (Z.N.P.), fondé en 1956 par des activistes arabes, s’efforçait d’entretenir la division entre les deux branches de la communauté africaine cependant que l’Afro-Shirazi Union tentait au contraire de les rassembler. Le président de l’African Association cheikh Abeid Amani Karume, devenu en 1957 président de l’Union afro-shirazi, contribua à la création d’un Parti-shirazi (Afro-Shirazi Party, A.S.P.) qui affichait à la fois son hostilité à la colonisation et son refus d’accepter le maintien des privilèges de la minorité arabe. En 1959, un nouveau parti, le Zanzibar and Pemba People’s Party (Z.P.P.P.) s’efforçait de regrouper ceux des Shirazi qui désiraient défendre les revendications autonomes et, en 1963, l’Umma Party se détachait du Zanzibar National Party dont il rejetait l’inspiration islamique, autour d’un théoricien influencé par les expériences chinoise et cubaine, Abdulrahman Mohamed cheikh dit «Babu». Trois partis se disputèrent les suffrages des électeurs en janvier 1961: le Z.N.P., l’A.S.P. et le Z.N.P.P. Si l’Afro-Shirazi Party l’emportait à Zanzibar, il était sérieusement concurrencé à Pemba par le Z.N.P.P. Quant au Z.N.P., bien qu’il eût bénéficié d’un découpage électoral favorable, il ne réussit pas à obtenir la majorité absolue. Une coalition était donc nécessaire pour constituer le gouvernement. Le Z.N.P. tenta de profiter de la rivalité de l’A.S.P. et du Z.N.P.P. pour s’allier avec cette dernière formation aux nouvelles élections de juin 1961, sans grands résultats toutefois. Le gouvernement constitué par les deux partis associés ne pouvait prétendre représenter la majorité des électeurs, et l’A.S.P., frustré de sa victoire, n’entendait pas en rester là. La situation allait devenir explosive d’autant que les élections de 1963 ne modifièrent pas sensiblement les rapports de force.

2. La vie politique après l’indépendance

Le Tanganyika et Zanzibar avaient accédé à l’indépendance à peu près en même temps, mais dans des contextes politiques très différents. Au Tanganyika, J. K. Nyerere avait réussi aisément à s’imposer comme leader politique grâce au parti (la T.A.N.U.) qu’il avait su organiser en vue de la lutte contre la puissance coloniale. Il s’agissait désormais de consolider le nouvel État et de répondre, au défi du développement: au lendemain de l’indépendance, le Premier ministre décida de démissionner spectaculairement pour se consacrer à la transformation de la T.A.N.U. en force d’appui constructive du gouvernement. Dès le début de l’année 1962, la principale instance dirigeante du parti, le Comité national exécutif, demandait l’institution de la République; quelques semaines plus tard, l’Assemblée nationale invitait le nouveau chef du gouvernement, R. Kawawa (syndicaliste et ami personnel de J. K. Nyerere), à accélérer la procédure en ce sens. Le projet de loi fut voté dès juin 1962, et une législation spéciale permit de procéder aux élections présidentielles en novembre 1962 sans attendre une modification de la Constitution. J. K. Nyerere fut élu à une majorité impressionnante (1 123 533 voix contre 21 279 voix à son challenger, le président de l’African National Congress, Ziberi Mtemvu). Le 8 décembre 1962, le Tanganyika devenait officiellement une République. La nouvelle Constitution «républicaine» (1962) conférait au président élu au suffrage universel l’essentiel du pouvoir exécutif: certes, il ne pouvait légiférer sans recourir à l’Assemblée nationale, mais il disposait d’un droit de veto législatif (limité). À ce renforcement des pouvoirs présidentiels correspondit bientôt une évolution non moins importante du rôle du parti. La T.A.N.U. était déjà, on l’a dit, la seule force politique organisée du pays, et bénéficiait de sympathies actives au sein du mouvement syndical (la Tanganyika Federation of Labour) et du mouvement coopératif (Cooperative Union of Tanganyika). Sans doute une crise ne put-elle être évitée entre le parti et la fédération syndicale, mais elle fut dénouée en 1964 avec la création d’une nouvelle organisation syndicale, la National Union of Tanganyika Workers qui devint une annexe du parti. Sans doute encore, une rébellion militaire mit-elle en péril en 1964 le gouvernement qui dut faire appel (à contrecœur) à la Grande-Bretagne pour rétablir l’ordre, mais elle permit à J. K. Nyerere soutenu par le parti d’asseoir son autorité et de mieux contrôler les forces armées. Le terrain était libre pour la transformation du parti dominant en parti unique. Depuis longtemps, le président tanzanien n’éprouvait aucun enthousiasme pour le multipartisme et estimait que la démocratie n’était pas incompatible avec le parti unique (one party democracy), à la condition que ce parti soit largement ouvert au débat d’opinion et qu’il soit en mesure d’assurer un contact étroit entre le gouvernement et le peuple. Une commission fut chargée d’étudier les modalités de l’instauration du parti unique. Après une longue enquête, elle remit son rapport au président en 1965 et les conclusions de ce rapport furent approuvées par la Constitution provisoire de 1965. Sur le plan des institutions et de la vie politique, le Tanganyika s’éloignait donc délibérément du modèle de Westminster.

À Zanzibar, les choses se passèrent moins bien. Quelques jours après la célébration de l’indépendance, un mouvement insurrectionnel emportait la monarchie constitutionnelle. L’émeute était orchestrée par S. A. Karumé, leader de l’Afro-Shirazi Party, avec la complicité d’éléments extérieurs (tel le «maréchal» John Okello), à un moment où la Grande-Bretagne n’était plus habilitée à intervenir et où l’appareil policier était affaibli par le licenciement de nombreux éléments africains. Le fragile appareil gouvernemental mis en place par le Zanzibar Nationalist Party et son allié le Zanzibar and Pemba People’s Party ne résista pas longtemps et le sultan Seyyid Ben Abdullah fut mis en fuite. Un «Conseil révolutionnaire» fut établi avec des représentants de l’Afro-Shirazi Party et de l’Umma Party: il proclama aussitôt la «République populaire de Zanzibar et Pemba», sous la présidence de S. A. Karumé. Mais des dissensions apparurent rapidement entre les dirigeants de l’Umma Party et ceux de l’A.S.P.; elles entraînèrent la mise à l’écart d’Abdulrahman Mohamed cheikh («Babu») et de ses amis: l’Afro-Shirazi Party devenait parti unique, et S. A. Karumé restait seul au pouvoir. C’est alors que s’amorça un rapprochement plus étroit avec le Tanganyika. J. K. Nyerere bénéficiait déjà d’un prestige réel dans l’Afrique dite «progressiste» et son idéologie panafricaniste ne pouvait être suspectée. Le 24 avril 1964 était constituée la République du Tanganyika et de Zanzibar; elle prendra quelques mois plus tard l’appellation de République unie de Tanzanie et se dota, le 10 juillet 1965, d’une constitution provisoire (qui dura en fait jusqu’en 1977). L’évolution de la vie politique intérieure du pays a été nécessairement affectée par le nouveau cadre. En revanche, la politique extérieure du gouvernement ne paraît pas avoir été infléchie par ces péripéties.

La vie politique intérieure

Comment ont évolué les institutions et les forces politiques dans la République unie de Tanzanie après 1964?

L’évolution des institutions

Les conditions dans lesquelles le rapprochement entre le Tanganyika et le Zanzibar avait été scellé reflètent la pression des circonstances. Les deux pays n’avaient guère eu le temps d’en approfondir les conséquences – d’autant que le déséquilibre important des deux composantes de la République «unie» pouvait paraître menaçant pour nombre d’habitants de Zanzibar. C’est pourquoi la Constitution provisoire de 1965, si elle prévoyait à terme une unification totale du Tanganyika et de Zanzibar, se gardait bien de brusquer l’évolution. En fait, Zanzibar a largement vécu en marge du continent et, alors que J. K. Nyerere proclamait régulièrement sa foi dans les vertus d’un socialisme démocratique reposant sur l’élection (il a été régulièrement réélu à la présidence de la République depuis 1962, en 1965, en 1970, en 1975 et en 1980), S. A. Karumé, arrivé au pouvoir à la faveur d’un coup de force, ne se soucia guère de le légitimer selon les principes de la souveraineté populaire; aucune élection ne fut organisée à Zanzibar jusqu’à la mort du leader (il fut assassiné en 1972). Par ailleurs, Zanzibar conservait ses institutions propres (dont le célèbre Conseil révolutionnaire), son parti «unique» (l’Afro-Shirazi Party), son budget (alimenté principalement par les exportations de clous de girofle), sa justice (considérée comme plutôt expéditive): bref, l’«union» n’existait que sur le papier, mais J. K. Nyerere sut habilement éviter la rupture brutale et ménagea S. A. Karumé quand il le fallait. La création d’un nouveau parti unique pour l’ensemble du pays en 1977 et l’adoption d’une constitution définitive la même année allaient-elles marquer une nouvelle étape dans la voie de l’unité de la Tanzanie continentale et de la Tanzanie insulaire? On aurait pu l’imaginer mais d’autres signes montrent qu’on est loin de l’objectif fixé en 1964.

Deux autres observations ne sont pas inutiles:

– La première est que l’importance des textes constitutionnels doit être relativisée. En Tanzanie, le document de référence pour les pouvoirs publics a été ainsi, jusqu’à ces dernières années, la déclaration d’Arusha de janvier 1967 (élaborée par le Comité national exécutif de la T.A.N.U.), qui établit les orientations de base du socialisme tanzanien, et non la Constitution elle-même. – La seconde est qu’en toute hypothèse les décisions du parti (unique) s’imposent aux organes de l’État. Un amendement constitutionnel a été adopté en ce sens en 1975 («toute activité politique sera dirigée par le Parti ou placée sous les auspices du Parti; les fonctions de tous les organes de l’État de la République unie seront exercées sous les auspices du Parti»).

La Constitution provisoire du 10 juillet 1965

La Constitution provisoire du 10 juillet 1965 (à laquelle ont été annexés les statuts de la T.A.N.U.) n’est pas à proprement parler celle d’un État unitaire malgré l’appellation officielle de «République unie de Tanzanie». Elle emprunte quelques-uns de ses traits au fédéralisme ou à l’union d’États. Elle s’applique, il est vrai, à un État en cours de formation dont les assises politiques sont fragiles (le lien véritable a été davantage la personnalité du président Nyerere qu’une véritable volonté d’associer le destin des îles et du continent). Pour la Tanzanie comme entité, l’institution essentielle était le président de la République élu au suffrage universel (le candidat à la présidence devait être présenté par la Conférence nationale du parti). Le système électoral tanzanien, s’il n’autorise pas la multiplicité des candidatures à la présidence de la République, permet aux électeurs de refuser le candidat présenté par le parti – ce qui donne la possibilité de mesurer l’évolution de la popularité du président candidat d’une élection à l’autre (celle de Nyerere a connu un certain effritement: 97 p. 100 aux élections de 1965 et de 1970; 93 p. 100 aux élections de 1975 et de 1980). Le président élu était assisté de deux vice-présidents dont l’un était en même temps «président» de Zanzibar (et président du Conseil révolutionnaire de l’île), l’autre, nommé parmi les membres de l’Assemblée nationale, ayant compétence sur la partie continentale de l’État. Il disposait de pouvoirs importants, d’autant qu’il cumula longtemps les fonctions de chef de l’État, chef du gouvernement (ce n’est qu’en 1972 qu’un poste de Premier ministre a été créé) et de chef de parti (J. K. Nyerere a été régulièrement réélu président de la T.A.N.U., puis, après 1977, président du Chama Cha Mapinduzi, C.C.M.); il était au surplus chef des forces armées. Il appartenait au président de désigner et de révoquer les membres du gouvernement ou de dissoudre l’Assemblée nationale, le cas échéant.

Le pouvoir législatif appartenait à une Assemblée nationale unique, dont certains membres représentaient officiellement Zanzibar (qui disposait par ailleurs d’un organe législatif autonome). La composition de cette assemblée était assez complexe puisqu’elle combinait les principes de l’élection, de la nomination directe par l’exécutif, de la désignation ex officio et de la cooptation. Les députés élus, au nombre de 107, soit la majorité de l’assemblée, étaient d’abord sélectionnés par le parti qui pouvait présenter deux candidats par circonscription; il appartenait aux électeurs de départager les candidats, étant entendu que la plate-forme électorale était la même et que seules des considérations tenant aux qualités personnelles des concurrents pouvaient faire pencher la balance. Il y avait là aussi un moyen de tester la popularité des députés (ou des membres du gouvernement) en place. Le Parlement légiférait sur «les matières de l’Union», lesquelles étaient limitativement énumérées à l’article 85 de la Constitution (affaires étrangères, défense, police, état d’urgence, nationalité, immigration, commerce extérieur, transports, impôts, monnaie, postes et télécommunications, etc.). Les affaires législatives concernant Zanzibar échappaient en revanche à la compétence de l’Assemblée nationale. Quant au pouvoir judiciaire, il était représenté essentiellement par la Haute Cour de Tanzanie, présidée par le Chief Justice. Ce système fonctionna sans grande modification pendant plusieurs années. Les distorsions entre les institutions de la République et celles de Zanzibar s’accusaient toutefois à l’occasion des élections à l’Assemblée nationale (ces élections n’avaient lieu en effet que sur le continent) ou à propos du fonctionnement de la justice (celle de Zanzibar était notoirement plus expéditive que celle de la Tanzanie continentale). Mais le souci de maintenir l’unité l’a emporté sur les scrupules démocratiques. Zanzibar conservait en effet une organisation politique propre. Le chef de l’exécutif portait le titre de «président» de Zanzibar; il était assisté par un gouvernement composé de ministres et de secrétaires d’État, qu’il nommait et révoquait. Quant au législatif, il était constitué par le puissant Conseil révolutionnaire mis en place dès 1964 et présidé par le président de Zanzibar. Il avait qualité pour légiférer sur «toutes les affaires» concernant Zanzibar (art. 54 de la Constitution). Zanzibar disposait aussi d’une Haute Cour ayant juridiction sur les îles pour l’application de la législation nationale et de la législation insulaire.

La Constitution du 26 avril 1977 (modifiée en 1984)

Adoptée après la fusion des deux partis «uniques» de Tanzanie continentale et de Zanzibar, la Constitution du 26 avril 1977, modifiée en octobre 1984, sanctionne donc le processus amorcé en 1965. Le schéma initial n’a pas été pour autant bouleversé. Le président de la République unie est toujours élu au suffrage universel direct sur l’ensemble du territoire de la République. Le système de présentation des candidats est resté identique dans ses grandes lignes; mais une modification des statuts du parti, adoptée en janvier 1982, donne au Comité national exécutif (National Executive Committee) le pouvoir de proposer un candidat à la présidence, le choix définitif étant fait par la Conférence nationale du parti (la même règle a été posée pour la désignation du candidat au poste de président de Zanzibar). Le mandat présidentiel est de cinq ans, mais le président élu ne peut exercer que deux mandats successifs. Le président conserve ses fonctions de chef des forces armées et ses pouvoirs à l’égard des membres du gouvernement ou de l’Assemblée nationale. Il doit agir conformément aux directives du parti (comme tous les organes de l’État). En cas d’empêchement ou de vacance, constaté par le Comité national exécutif du parti, il appartient au premier puis au second vice-président de le remplacer jusqu’aux prochaines élections (à défaut il est fait appel à un ministre, en fonction de son ancienneté dans le gouvernement). Le nombre de vice-présidents de la République est passé de un à deux en 1984. Si le président est originaire du continent, le premier vice-président sera le président de Zanzibar et le second vice-président sera le Premier ministre. Si le président est originaire de Zanzibar, le Premier ministre sera désigné premier vice-président (mais il ne pourra être lui-même originaire de Zanzibar). Le Premier ministre bénéficie, avec la réforme de 1984, d’une certaine promotion puisque le titulaire du poste est en même temps vice-président de la République. Il est choisi parmi les membres de l’Assemblée nationale (élus ou non). La responsabilité du gouvernement devant l’Assemblée (même si elle reste théorique dans un système de parti unique) a été maintenue. Des observations analogues peuvent être faites à propos du poste de Premier ministre de Zanzibar, désigné par le président de Zanzibar pour gérer les affaires de l’île. L’Assemblée nationale, investie du pouvoir législatif, est composée de membres élus et de membres nommés (par le président ou par diverses organisations de masse proches du parti). La réforme de 1984 a accru le poids des députés de circonscription (106) par rapport aux autres membres (25 représentants des régions, 15 représentants des organisations annexes du parti, 25 commissaires régionaux, 32 représentants de Zanzibar désignés par le Conseil révolutionnaire – outre les 10 députés zanzibarites élus –, 15 députés désignés par le président). Zanzibar y bénéficie d’une certaine sur-représentation. La Chambre n’exerce en principe qu’une fonction instrumentale, de mise en forme des décisions prises par les instances compétentes du parti. Mais ses pouvoirs ont été légèrement augmentés en 1984 (elle peut désormais approuver les plans de développement économique et social et ratifier la «législation subsidiaire» émanant du gouvernement après délégation législative).

La Constitution de Zanzibar du 28 décembre 1979

Dans ce contexte, la Constitution de Zanzibar du 28 décembre 1979 apparaît comme une étrange innovation: elle correspond assez peu à l’image d’un pays qui affirme avancer vers son unité, à moins qu’elle n’annonce à terme un État fédéral. Elle fut présentée par A. Jumbe, alors président de Zanzibar, comme un moyen de renforcer l’appareil gouvernemental et la démocratie à Zanzibar. Approuvée le 12 octobre 1979 par le Conseil révolutionnaire, elle fut ratifiée le 28 décembre suivant par la Conférence nationale du C.C.M. Une de ses principales innovations est l’élection du président de Zanzibar au suffrage universel direct. Le président élu reste président du Conseil révolutionnaire et il lui appartient de former le gouvernement (ministres et secrétaires d’État) placé sous la direction d’un Chief Minister (depuis 1983). Il faut aussi noter l’institution d’une authentique chambre législative, la Chambre des représentants, dont le rôle essentiel est de légiférer sur les affaires réservées à Zanzibar par la Constitution et de contrôler l’action de l’exécutif. Zanzibar dispose par ailleurs d’un budget propre, distinct de celui de l’Union. L’organe législatif compte 60 députés élus et 55 membres nommés (selon des critères complexes); les élections sont organisées selon des modalités proches de celles des députés à l’Assemblée nationale. Le pouvoir judiciaire est en principe indépendant du pouvoir exécutif, avec un Chief Justice nommé par le président et un Conseil suprême chargé de statuer en appel sur les décisions de la Haute Cour de Zanzibar. Le Conseil révolutionnaire ne disparaît pas; il constitue même une section de la Chambre des représentants (House of Representatives). Il joue le rôle de gardien de la Constitution, mais son influence paraît aujourd’hui plus faible.

L’évolution des forces politiques

La vie politique repose depuis l’indépendance sur le parti unique: le Chama Cha Mapinduzi, créé en 1977, résulte d’une fusion entre la Tanganyika African National Union, T.A.N.U., et l’Afro-Shirazi Party, A.S.P., de Zanzibar. La personnalité de J. K. Nyerere (qui est resté président du C.C.M., après avoir abandonné la présidence de la République, en 1985) domine l’ensemble de la période. Mais il convient de faire une place particulière à Zanzibar dans le contexte, passablement confus, des relations entre les deux composantes de la République. En Tanzanie continentale, la T.A.N.U., devenue rapidement parti unique, joua un rôle décisif sous l’égide de son fondateur, J. K. Nyerere. Déjà la Constitution de 1965 (art. 3) disposait que «toute activité politique, autre que celle des organes d’État de la République unie, de l’exécutif et du législatif pour Zanzibar ou des autorités locales susceptibles d’être instituées par ou en application d’une loi de l’autorité législative compétente, sera dirigée par le parti ou placée sous sa responsabilité». En 1975, on l’a dit, un amendement à la Constitution institua la primauté du parti sur les organes de l’État. En fait, les décisions politiques les plus importantes furent d’abord des décisions du parti (déclaration d’Arusha, directives à l’usage des dirigeants ou Mwongozo, etc.). La T.A.N.U. avait mis en place tout un réseau d’organisations annexes qui lui permettaient de contrôler l’activité économique et sociale du pays: organisations pour la jeunesse (T.A.N.U. Youth League), pour les femmes (Union of Women of Tanganyika), pour les travailleurs (National Union of Tanganyikan Workers), pour les parents d’élèves (Tanganyika African Parents Association), pour les coopératives agricoles (Cooperative Union of Tanganyika). Le parti lui-même était constitué sur la base de la cellule de dix foyers (ten-houses cell), puis de la section (branch), du district, de la région et de la nation, avec, à chaque niveau, des organes de caractère délibérant et des organes d’exécution. Il fut le véritable siège du pouvoir, et le président Nyerere était vraisemblablement plus attaché à ses fonctions au sein du parti qu’à ses fonctions de chef de l’État. Les choses ont-elles changé avec l’avènement du Chama Cha Mapinduzi? Il ne le semble pas. Le nouveau parti unique a été créé à la suite de longues et difficiles négociations entre la T.A.N.U. et l’A.S.P. de Zanzibar. Le remplacement de S. A. Karumé par A. Jumbe a certainement facilité le rapprochement entre les deux institutions. Le président de la République, A. H. Mwinyi, élu en 1985 après le retrait de J. K. Nyerere, a été non seulement président de Zanzibar (il avait remplacé A. Jumbe, lui-même démissionnaire en janvier 1984), mais aussi ministre, à Zanzibar, chargé des affaires de l’Union. Son attachement à la République unie et ses liens avec J. K. Nyerere, président du parti, rendent peu probable un retour à la situation antérieure, où chaque composante de la République disposait de son parti unique. Il est d’ailleurs lui-même vice-président du parti.

Le C.C.M. se présente comme un parti de masse (le nombre de ses adhérents était évalué en 1978 à 1 500 000). La base en est toujours la cellule (cellule de dix maisons ou cellule d’atelier). Les instances partisanes les plus importantes restent le Comité national exécutif, le Comité central (chargé de la gestion quotidienne des affaires du parti) et la Conférence nationale (qui est en théorie l’autorité suprême, mais qui se réunit peu). Le président du parti est élu sur la proposition du Comité national exécutif, au scrutin secret (depuis 1982), par la Conférence nationale. Il est assisté par un vice-président et par un secrétaire général. Les organisations de masse affiliées au C.C.M. sont les mêmes, avec des appellations différentes: Youth Organisation, Union of Tanganyika Women, Union of Tanganyika Workers, Union of Cooperative Societies, Tanganyika Parents Association. Il est certain par ailleurs que la continuité de la ligne politique est assurée par J. K. Nyerere lui-même. Dans ce contexte, les événements politiques dans les années quatre-vingt ne révèlent pas de rupture profonde mais mettent à jour des tensions qui, auparavant, restaient cachées. Après le décès accidentel du Premier ministre E. M. Sokoine en avril 1984, son remplacement par  A. Salim, ex-représentant de la Tanzanie à l’O.N.U., les élections présidentielle et législatives d’octobre 1985, la formation d’un nouveau cabinet dirigé par J. Warioba, ex-ministre de la Justice, et le remaniement du gouvernement en décembre 1986 ont été contrôlés par le C.C.M. Et le troisième congrès du parti, en octobre 1987, a montré que le C.C.M. entendait maintenir sa politique «socialiste» traditionnelle (il est probable que la réélection de Nyerere en tant que président du C.C.M. n’est pas étrangère à ce souci de préserver l’orthodoxie) et lutter par là même contre les tendances libérales qui se manifestaient au sein même du gouvernement (le nouveau président, A. H. Mwinyi, n’y serait pas défavorable). En mars 1988, le Comité national exécutif du C.C.M. réitérait les objectifs de self-reliance et soulignait sa volonté d’en surveiller la réalisation. Il se pourrait ainsi que des fractures apparaissent entre le gouvernement, le parti et la présidence, dessinant ainsi un jeu de relations plus subtil qu’auparavant. Mais le système du parti unique ne paraît pas menacé. Si le président J. K. Nyerere a exprimé quelques doutes sur le fonctionnement concret du one-party system au cours d’un voyage en Zambie et au Zimbabwe, l’institution du multipartisme en Tanzanie n’est pas à l’ordre du jour. Il est vrai que les forces d’opposition ne se manifestent guère. De temps à autre, des arrestations politiques (pour «complot», «sabotage», etc.) témoignent des résistances rencontrées dans la mise en œuvre d’une politique aux résultats controversés. Des textes d’exception (la loi sur la détention préventive de 1962, la loi sur le contrôle des crimes économiques organisés de 1984), le loyalisme de l’armée, la faiblesse des groupes d’opposants (les épisodes les plus notables furent l’exil volontaire à Londres de l’ancien secrétaire général de la T.A.N.U., O. Kambona, qui créa un «mouvement pour une démocratie libre et populaire» et la découverte d’un complot contre J. K. Nyerere, qui donna lieu à un long procès et à des condamnations relativement modérées) expliquent cette relative apathie, au moins en Tanzanie continentale. C’est en effet plutôt à Zanzibar que la tension persiste. Les tendances sécessionnistes n’y ont pas disparu. Les événements de janvier 1984 (démission d’A. Jumbe, remplacé par A. H. Mwinyi, élu en avril 1984) traduisaient déjà une profonde insatisfaction des insulaires. À la crise économique (déclin des cours du clou de girofle, principale ressource des îles) s’ajoutaient la crainte d’une perte progressive d’autonomie et les rivalités entre Pemba et Unguja (nom de l’île principale, dont la capitale est Zanzibar). Le président Jumbe avait été en fait sanctionné pour n’avoir pas contrôlé la montée du séparatisme. Son successeur s’efforça de calmer le jeu. Sa désignation par le C.C.M. comme candidat unique à la présidence de la République en 1985 avait également pour objet de renforcer l’union et de réduire les appréhensions de certains milieux zanzibarites. Aux élections présidentielle et législatives qui eurent lieu à Zanzibar le 13 octobre 1985, le candidat officiel, A. Wakil, n’avait été désigné que de justesse par le Comité exécutif national du parti. Il nomma son principal concurrent, S. S. Hamad, originaire de Pemba et partisan d’un certain libéralisme économique, au poste de Premier ministre, mais ne désarma pas pour autant les opposants. Au début de l’année 1988, le nouveau président suspendait le gouvernement et le Conseil révolutionnaire puis prenait le contrôle des Forces révolutionnaires spéciales de Zanzibar. Le Chief Minister S. S. Hamad, accusé de complot, était démis de ses fonctions. Une poussée de fièvre à Zanzibar (manifestation islamiste, à la suite d’une déclaration jugée provocante de la représentante de l’Union des femmes tanzaniennes, S. Kawawa, qui condamnait la polygamie) entraîna l’intervention des forces de sécurité. La perspective d’un «retour des Arabes» (originaires des sultanats d’Oman et de Dubaï, avec lesquels les liens commerciaux restaient étroits) suscitait l’appréhension des autorités. En mars 1989, J. K. Nyerere mettait en garde les agitateurs et les partisans de la sécession, rappelant que l’Union ne serait pas remise en cause. Le problème n’est donc pas réglé.

La politique extérieure

Dans la mesure où il s’agit d’une «matière de l’Union», elle dépendait plus étroitement de Dar es-Salaam. L’idéologie du président Nyerere et de la T.A.N.U. a contribué à lui conférer une certaine continuité d’inspiration, qui n’exclut pas, à l’occasion, le réalisme.

Les thèmes de base

Quelques thèmes de base animent cette politique. Ils ont été maintes fois développés par J. K. Nyerere dans ses écrits ou ses discours, notamment dans une intervention à la tribune des Nations unies le 14 décembre 1961: le rejet du colonialisme, la recherche de l’unité africaine, le non-alignement.

Le rejet du colonialisme

Le rejet du colonialisme est une des constantes de la politique extérieure tanzanienne. Il est sans cesse réaffirmé au nom du respect et de la dignité de l’homme et des grands principes de liberté et d’égalité. Il est mentionné dans les statuts de la T.A.N.U, dans la déclaration d’Arusha, etc. La Tanzanie a apporté un soutien sans faille à tous les partis politiques et à tous les mouvements de libération engagés dans la lutte contre les puissances coloniales. Qu’il s’agisse du Mozambique, de l’ex-Rhodésie (Zimbabwe), de la Namibie ou de l’Afrique du Sud, Dar es-Salaam n’a jamais manqué à ce que le président Nyerere considère comme un devoir moral autant que politique. La plupart des dirigeants des jeunes États d’Afrique australe devenus indépendants ont trouvé en Tanzanie les refuges et les appuis (voire les bases) qui les ont aidés à continuer le combat. Ce facteur n’est pas sans expliquer les relations privilégiées que la République tanzanienne entretient avec Maputo, Harare et bien d’autres capitales africaines. Au demeurant, le Comité de décolonisation de l’O.U.A. avait son siège à Dar es-Salaam depuis sa création en 1965. J. K. Nyerere est un des inspirateurs de la célèbre Ligne de front (Front-Line), qui réunit la Tanzanie, la Zambie, le Mozambique, le Zimbabwe, le Bostwana et l’Angola contre Pretoria. Le leader tanzanien récuse systématiquement l’analyse qui tente de présenter la lutte anticoloniale comme un des aspects de l’opposition entre communisme et capitalisme: l’Afrique ne peut tolérer l’humiliation du colonialisme et ce facteur «prime tout le reste» déclarera-t-il le 6 avril 1977 devant le Congrès des États-Unis. La majorité africaine de Namibie et d’Afrique du Sud ne trouvera de solution globale à ses problèmes que dans l’indépendance quels que soient la durée du combat et les sacrifices qu’il impose.

Le panafricanisme et la nostalgie de l’unité africaine

Le panafricanisme et la nostalgie de l’unité africaine sont une autre dimension permanente de la politique étrangère de la Tanzanie. Ce n’est pas là figure de rhétorique ou instrument de propagande. Le thème de l’unité de l’Afrique était déjà celui que le jeune leader de la T.A.N.U. défendait avant l’indépendance au sein de mouvements tels que le Panafrican Movement for East and Central Africa (Pafmeca) ou du Panafrican Freedom Movement of East, Central and Southern Africa (Pafmecsa) qui lui succédera. Le Tanganyika indépendant joua un rôle non négligeable en 1963 au sein de la conférence préparatoire des ministres des Affaires étrangères ou de la réunion des chefs d’État qui rédigèrent et adoptèrent la charte de l’Organisation de l’unité africaine. Cette quête de l’unité africaine est naturellement associée à l’anticolonialisme, dans la mesure où les divisions artificielles de l’Afrique contemporaine sont l’œuvre de puissances coloniales. Aussi bien cette unité se forgera-t-elle d’abord dans l’adversité avant de se nourrir d’arguments rationnels ou économiques. L’absence d’unité est au contraire porteuse de lourdes menaces pour l’Afrique tout entière, qui se trouvera inévitablement affaiblie devant les manœuvres néocolonialistes ou impérialistes de tout genre. La balkanisation du continent, génératrice de luttes fratricides sous l’œil intéressé des grandes puissances, favorisera au surplus une compétition absurde entre les jeunes États tous héritiers d’un modèle de développement imposé par l’extérieur et incapables de maîtriser les échanges internationaux inégaux dont ils se bornent à enregistrer les fluctuations. L’objectif final est bien, aux yeux du président tanzanien, de créer des «États unis d’Afrique», au-delà des idéologies politiques et même s’il doit y avoir de la part des États membres cession partielle de souveraineté.

Comme on le sait, le panafricanisme militant de J. K. Nyerere s’est heurté à de nombreux obstacles. Certes, il s’est trouvé conforté avec l’union réalisée en 1964 entre le Tanganyika et Zanzibar. Mais il a connu aussi des déboires notamment avec l’échec de la Communauté est-africaine constituée en 1967 entre la Tanzanie, le Kenya et l’Ouganda. Le traité de coopération est-africain avait été signé, il est vrai (le 6 juin 1967) alors que la Tanzanie venait de choisir quelques mois auparavant une orientation socialiste originale qui la mettait en porte à faux à l’égard de ses partenaires. Les relations se durcirent avec l’Ouganda (surtout avec l’avènement, en 1971, d’Idi Amin Dada avec lequel J. K. Nyerere refusa toujours d’entrer en relation) et avec le Kenya (suspecté de ne pas jouer correctement le jeu et de profiter de l’avance acquise lors de la période coloniale pour utiliser le marché commun à son profit exclusif). L’éclatement de la Communauté en 1976-1977 fut durement ressenti en Tanzanie non seulement parce qu’elle était contrainte de mettre sur pied des services nationaux exigeant des infrastructures lourdes (transports aériens, maritimes ou ferroviaires, postes, télécommunications, etc.), mais aussi parce qu’elle y voyait le recul d’un idéal. Avec l’O.U.A., les relations ne furent pas toujours non plus au beau fixe. Le président tanzanien estimait que l’organisation aurait dû être capable de condamner les coups d’État et les violations des droits de l’homme dont les hommes politiques africains ou leurs États se rendaient trop souvent coupables. Il refusait de considérer que l’O.U.A. puisse servir de paravent à ceux qui donnaient de l’Afrique une image peu digne, et il fut ulcéré par l’attitude de certains membres de l’organisation lorsque le maréchal Amin Dada envahit le nord-ouest de la Tanzanie ou lorsque la Tanzanie décida de rendre coup pour coup et de poursuivre le combat sur le sol ougandais. Mais il ne coupa jamais les ponts et s’inquiéta du double échec du sommet de Tripoli en 1982.

Le non-alignement

Le non-alignement est un troisième principe explicatif de la politique extérieure tanzanienne. Pour J. K. Nyerere, «le non-alignement est la seule base sur laquelle un pays petit et faible comme le nôtre peut préserver son indépendance politique» (discours devant l’Assemblée nationale le 22 juin 1980). Sa conception du non-alignement entend maintenir la Tanzanie à égale distance entre les deux blocs sans s’inféoder à aucun. Il le rappelait dans un discours à La Havane, en 1979, en termes fort nets: «Si ce mouvement tentait de devenir un autre bloc, ou de s’aligner sur un des blocs en présence, il cesserait d’exister et il ne pourrait plus œuvrer pour la paix dans le monde.» Cela dit, la Tanzanie s’est toujours sentie moins directement menacée par le bloc communiste que par le bloc occidental: elle admet mal sa dépendance économique à l’égard de la Communauté européenne, et son action militante contre le colonialisme ou le racisme s’est naturellement tournée contre l’Occident. Si l’intervention soviétique en Afghanistan a été condamnée, ce ne fut pas avec éclat (la Tanzanie s’est abstenue dans le vote de l’Assemblée générale de l’O.N.U. sur ce thème). De même, la «militarisation» de l’océan Indien, qui lui paraît menacer la sécurité des États riverains, met en cause davantage les États-Unis, la Grande-Bretagne ou la France que l’Union soviétique.Avec les États voisins, la Tanzanie entretient des relations plutôt cordiales: avec la Zambie (allié traditionnel), avec l’Ouganda (malgré un certain refroidissement qui suivit l’arrivée au pouvoir de Y. Museveni), avec le Mozambique (qu’elle reconnaît aider militairement dans sa lutte contre le mouvement du Renamo, mouvement national de résistance, soutenu par l’Afrique du Sud), avec le Kenya (non sans quelques avatars), avec le Rwanda et le Burundi. Des accords économiques, financiers, culturels ou frontaliers sont conclus ou renouvelés. La Tanzanie fait également partie de la Southern African Development Coordination Conference (S.A.D.C.C.) dont l’objectif est de réduire la dépendance économique des États membres et de favoriser l’intégration régionale, de la Preferential Trade Area for East and Southern Africa (P.T.A.), qui s’efforce de faciliter les transactions dans cette partie de l’Afrique et de créer les conditions d’un marché commun, et de la Kagera Basin Organisation (K.B.O.), qui se propose de développer le bassin de la Kagera, au nord du pays. Des relations déjà anciennes se sont instituées avec divers États d’Europe (notamment les États scandinaves), d’Amérique (Canada), de l’Est (République démocratique allemande, Cuba) ou avec des pays non alignés (Inde). La Tanzanie avait noué des liens assez étroits avec la république populaire de Chine (qui l’a aidée à construire le célèbre chemin de fer Tanzanie-Zambie, destiné à désenclaver la Zambie), mais elle a évité de heurter de front l’Union soviétique. Ses relations avec la Grande-Bretagne et avec l’Allemagne fédérale sont également bonnes, malgré le double passé colonial du pays. Une politique extérieure relativement équilibrée et qui entend préserver l’indépendance du pays sans céder sur les principes de base, telle est l’image que la Tanzanie a réussi à imposer, non sans difficulté, et qui lui vaut une audience particulière en Afrique et dans le Tiers Monde.

3. Le développement économique et social depuis l’indépendance

Le Tanganyika figurait lors de l’indépendance parmi les pays les plus pauvres du monde; son économie reposait sur l’agriculture de subsistance, sans infrastructure industrielle, sans ressources énergétiques et sans main-d’œuvre qualifiée. La Grande-Bretagne n’avait guère mis en valeur le pays si l’on excepte quelques grands domaines (cultures du sisal notamment) dans les régions côtières. Zanzibar, qui bénéficiait de facteurs climatiques plus favorables, était un peu mieux loti (girofle, épices, etc.).

Les premières années

Au cours des premières années qui suivirent l’indépendance, la politique économique pratiquée par le gouvernement de J. K. Nyerere fut analogue à celle que pratiquaient la plupart des jeunes États africains: elle prenait en considération les lois du marché, avait fixé des objectifs de croissance sous forme d’augmentation du revenu par habitant et s’efforçait de former la main-d’œuvre nationale nécessaire à son développement. Des investissements importants avaient été consentis dans le secteur agricole à des projets pilotes (les Villages Settlement Schemes) dont on attendait un effet d’entraînement pour la paysannerie traditionnelle.

La déclaration d’Arusha

Avec la déclaration d’Arusha (janv. 1967) on assiste à un changement à vue: le pays s’oriente délibérément vers une voie socialiste, récusant le mode de croissance capitaliste inspiré par l’extérieur et s’efforçant de compter d’abord sur ses propres forces (self-reliance). L’accent était mis sur l’agriculture, sur le travail collectif des populations rurales, sur l’éducation, avec cette dimension supplémentaire que conférait la recherche de valeurs sociales propres à la société africaine (entraide, égalité, soutien des plus faibles, etc.), et sans perdre de vue le développement industriel qui, à terme, devait permettre au pays de ne pas se couper du monde moderne. Dans le contexte du socialisme «Ujamaa» étaient exclues l’appropriation privée des moyens de production importants et l’exploitation des hommes ou des groupes sociaux, au profit d’autres relations humaines fondées sur la démocratie, la juste répartition des biens, la coopération, etc. Les instruments du changement, devait être le parti (devenu parti unique quelques années auparavant) et l’État, au service des décisions du parti. L’aide étrangère ne serait acceptée que dans la mesure où elle ne serait pas aliénante et laisserait au pays la maîtrise de son propre destin. Sur ces bases, un vaste programme fut mis en application. Des nationalisations successives permirent au gouvernement de contrôler l’appareil productif, dans le secteur industriel, agricole, commercial ou bancaire. Des organismes publics (les «parastatals») furent chargés de prendre la relève. Le système éducatif fut profondément réformé pour s’adapter aux nouveaux objectifs. La politique dite «de décentralisation» (1972) devait assurer l’adéquation de ces objectifs aux réalités locales. Une vaste campagne de mobilisation fut entreprise par les soins du parti sur l’ensemble du territoire. L’effort le plus spectaculaire fut sans aucun doute accompli dans le secteur rural avec la multiplication des villages communautaires ou villages Ujamaa. Il s’agissait à la fois de grouper les paysans (ils vivaient généralement dans des fermes dispersées) pour faciliter la mise en place des services sociaux les plus importants (éducation, santé...) et de les amener à pratiquer un socialisme rural authentique (travail collectif sur les terrains communautaires, répartition des produits en fonction de la participation de chacun). Accessoirement, la réussite de l’expérience devait freiner l’exode rural et éviter l’exploitation des campagnes par les villes souvent dénoncée par le chef de l’État. Les villages les plus avancés deviendraient à la fois des coopératives de production et des coopératives de commercialisation. Dans une première phase, l’opération Ujamaa Vijijini démarra prudemment. Les regroupements étaient encouragés mais non imposés. À la suite de sécheresses catastrophiques en 1973-1974, le gouvernement et le parti décidèrent d’accélérer la «villagisation» (quitte à admettre que tous les «villages de développement» ne pratiqueraient pas immédiatement un mode de vie socialiste). Les chiffres sont en effet éloquents: en 1970, 1956 villages, 531 000 personnes regroupées; en 1974, 5 010 villages, 2 560 000 personnes regroupées; en 1977, 7 684 villages, 13 000 000 de personnes regroupées. On estime que 9 000 villages environ encadrent près de 85 p. 100 de la population rurale; seules quelques zones ont été épargnées, en raison de pratiques culturales spécifiques, par ces migrations forcées.

Que de tels transferts aient pu avoir lieu sans révolte généralisée témoigne au moins de la puissance des moyens d’incitation ou de contrôle mis en œuvre par le parti et le gouvernement. Les villages communautaires, dont les structures administratives ont été d’abord très souples, obéissent aujourd’hui à des règles plus précises fixées par le Villages and Ujamaa Villages Act du 22 août 1975 (avec un conseil de village, un manager, etc.). Le gouvernement voulut également supprimer certains intermédiaires traditionnels tels que les sociétés coopératives de commercialisation (marketing cooperatives) dont les dirigeants ne partageaient pas toujours le point de vue des pouvoirs publics; après leur disparition (en 1975-1976), il fut décidé que les achats et les ventes de produits agricoles passeraient par des sociétés étatiques de commercialisation (Tanzania Cotton Authority, Tanzania Sisal Authority, Tanzania Tobacco Authority, etc.), le commerce de gros étant contrôlé par les regional trading corporations.

Un certain désenchantement

Lorsque la Tanzanie se lança en 1967 dans une expérience socialiste originale, elle avait vraisemblablement sous-estimé les obstacles qu’elle trouverait sur sa route: déficit en produits énergétiques et en ressources naturelles, absence quasi totale de cadres, environnement international peu favorable à des actions à long terme, éclatement de l’ex-Communauté Est-africaine, nécessité de recourir à des emprunts extérieurs massifs au risque de tomber sous la coupe des organismes ou des États bailleurs de fonds (les démêlés entre le gouvernement de Dar es-Salaam et le Fonds monétaire international sont restés célèbres), croissance démographique insuffisamment maîtrisée, sans compter les événements imprévus tels que la guerre qu’elle dut engager contre l’Ouganda et le maintien dispendieux de ses troupes sur le territoire de l’État voisin. Ces handicaps, combinés ou successifs, ont partiellement compromis les efforts des dirigeants et du parti. Le bilan, lucide, des désillusions a été dressé lors du vingtième anniversaire de la déclaration d’Arusha en 1987. En 1989, quelques signes encourageants doivent être notés. Malgré les perturbations considérables entraînées par l’application de la déclaration d’Arusha et les premières mesures de nationalisation, les indicateurs d’ensemble ne furent pas systématiquement défavorables. On évaluait à 4,4 p. 100 en moyenne la progression du produit national brut entre 1966 et 1973, et le taux d’investissement moyen annuel était de l’ordre de 20 p. 100. Mais les premiers symptômes d’une grave crise ne tardèrent pas à apparaître: déficit structurel du commerce extérieur, poids croissant de la dette nationale, épuisement des réserves de devises, impatience corrélative des prêteurs, désorganisation du secteur rural, dévaluations successives du shilling, faiblesse de la production industrielle. De 1976 à 1988, le pays se débat dans des difficultés qu’il ne tente pas de dissimuler (en 1981, le gouvernement lançait un «programme national de survie économique», et les rapports alarmistes se sont multipliés: Guidelines for the 4 th. Five-Year Plan 1981-1986; National Food Strategy, 1982; Structural Adjustment Program, 1982; The Tanzanian National Agricultural Policy, Interim Report, 1982; The Agricultural Policy of Tanzania, 1983; etc.). Certaines des causes de la crise sont extérieures à la Tanzanie et frappent indistinctement les pays en voie de développement qui n’ont pas de ressources énergétiques propres: les «chocs» pétroliers de 1974 et de 1979, la hausse brutale des prix des produits manufacturés, les fluctuations des prix des produits agricoles d’exportation (la Tanzanie exporte essentiellement du coton, du café, du sisal, du thé, du tabac, des clous de girofle, du pyrèthre, des noix de cajou), les périodes de sécheresse, etc. Mais on incrimine aussi de plus en plus ouvertement la politique (ujamaa et self-reliance) suivie par les pouvoirs publics dans la ligne de la déclaration d’Arusha.

Dans le domaine de l’agriculture (qui comptait pour près de 50 p. 100 du produit national brut en 1986), la stratégie des villages communautaires a connu de sérieux revers. D’abord, l’idéologie du socialisme ujamaa qui la justifiait initialement a été souvent abandonnée au profit d’une politique de «villagisation» dont le mérite essentiel était de faciliter l’installation des services de base (eau potable, écoles, dispensaires). Ensuite, alors que 63 p. 100 des terres sont cultivables, les transferts forcés de population ont suscité des réactions de rejet. L’insuffisance de l’encadrement technique et des équipements ruraux (notamment d’irrigation dans les zones traditionnellement frappées par la sécheresse), la difficulté des transports, les pratiques culturales anti-économiques, la faiblesse du crédit rural, le coût excessif des engrais ou des semences importés ont aggravé la situation. Les prix trop bas payés aux agriculteurs ont encouragé le marché noir et la contrebande aux frontières. Les sociétés étatiques chargées de la commercialisation des produits agricoles, après la suppression des coopératives (jugées d’inspiration trop capitaliste), se sont avérées de piètres gestionnaires et il a fallu rétablir les coopératives en 1982. Quant à la nationalisation des vastes domaines étrangers consacrés aux cultures d’exportation, elle est aujourd’hui jugée inconsidérée faute de relais adéquats. Des réformes ont été entreprises à partir de 1983 (moyens financiers supplémentaires, revalorisation des prix des produits agricoles, implication directe des commissaires de région dans la fourniture des engrais, des insecticides, des semences, etc.); d’autres mesures, correspondant au programme établi par le Fonds monétaire international, ont été prises en 1986. Elles commencent tout juste à produire leurs effets. L’industrie ne se porte guère mieux. Elle souffre des maux classiques (médiocrité de l’encadrement, mauvaise utilisation d’un matériel souvent coûteux, incohérence des programmations, etc.), auxquels s’ajoutent des déficiences propres: les nationalisations des années 1970 ont provoqué la multiplication d’entreprises publiques ou semi-publiques (les «parastatals») dont la plupart sont déficitaires. Malgré le vote d’une loi contre le «sabotage économique» en 1983, la gestion des parastatals est souvent dénoncée comme une source inépuisable de gabegie et de corruption. Le capital privé est soumis à de curieuses fluctuations. Tantôt il est vilipendé, dans le contexte d’une politique «socialiste» rigoureuse, tantôt il est invité à s’investir dans certains secteurs. La dualité des discours économiques ne peut que désorienter les partenaires privés, nationaux ou étrangers. On ne s’étonnera pas que la monnaie ait été soumise à de fortes pressions. Le shilling a connu des dévaluations successives, qui sont le reflet du mauvais état général de l’économie tanzanienne.

Le tableau n’est cependant pas uniformément pessimiste. Il faut mettre à l’actif du gouvernement tanzanien les progrès considérables accomplis dans le domaine de l’éducation ou de la santé. L’infrastructure rurale du service de santé a fait ainsi en quelques années un véritable bond en avant (99 centres de santé en 1972, 2 800 en 1980). Alors que le nombre de médecins ne dépassait pas la douzaine au lendemain de l’indépendance, plus de 8 000 d’entre eux ont été formés sur place ou à l’étranger. La progression est du même ordre en ce qui concerne les sages-femmes, les agents médicaux ruraux, etc. Dans le domaine de l’éducation, la Tanzanie se prévaut du taux d’alphabétisation le plus élevé en Afrique (on rappellera que le surnom donné habituellement à J. K. Nyerere est celui de «Mwalimu», professeur). Le pays enregistre également des progrès substantiels au niveau de l’enseignement primaire (73 p. 100 des enfants sont scolarisés à ce stade), de l’enseignement secondaire (40 000 élèves ont été enregistrés en 1986), de l’enseignement supérieur (les universités de Dar es-Salaam et de Morogoro ont formé 10 000 étudiants) et de l’éducation pour adultes (le taux était de 62 p. 100 en 1981, un des plus élevés d’Afrique). L’aspect quantitatif n’est d’ailleurs pas le seul à prendre en considération. Le contenu même de l’enseignement a été repensé pour l’adapter aux réalités économiques du pays et aux besoins prévisibles en main-d’œuvre. Un programme de redressement économique (Economic Recovery Program) a été adopté en 1986, sous l’égide du Fonds monétaire international. Malgré de fortes résistances idéologiques, notamment au sein du parti et chez J. K. Nyerere qui y voyait une nouvelle menace pour l’autonomie du pays, des mesures d’austérité, comportant une réduction sensible des dépenses publiques, un contrôle plus sévère de la masse monétaire, une augmentation des prix payés aux producteurs agricoles et une amélioration des exportations, ont été inscrites au budget national. Une aide substantielle des organismes internationaux (Banque mondiale, F.M.I., etc.) a accompagné ce nouvel effort qui commence à porter ses fruits. En 1988, le taux de croissance du produit national brut était évalué à plus de 4 p. 100, les exportations auraient atteint les objectifs fixés et l’inflation aurait été stabilisée (autour de 30 p. 100). Mais il faudra attendre pour savoir si la Tanzanie est enfin sortie de l’état de crise.

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