Marilyn Monroe pour toujours

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RUSSIE
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Marilyn pour toujours

 

La Russie est devenue un État fédéral indépendant le 25 décembre 1991, au moment de la dissolution de l’Union soviétique. La transition vers l’économie de marché a commencé dès le 2 janvier 1992 par un ensemble de mesures radicales s’apparentant à la «thérapie de choc» appliquée en Pologne en 1990. Mais, contrairement à la plupart des pays d’Europe de l’Est, la Russie n’a pas réussi à mener cette transition à bien. Une dizaine d’années après le début des réformes, la stabilisation macroéconomique n’est toujours pas acquise, la transformation structurelle demeure incomplète, et, en dehors d’un modeste sursaut en 1997, la production n’a commencé à augmenter qu’en 1999. La Russie a été secouée de crises suivies d’accalmies; elle s’est installée dans un état de chaos économique et social durable. Elle demeure cependant un grand pays avec des dotations naturelles importantes et un capital humain dont on peut encore tirer parti.

1. Une stabilisation macroéconomique inaboutie

Le premier programme économique appliqué en Russie fut l’œuvre d’Egor Gaïdar, ministre des Finances puis Premier ministre jusqu’à la fin de 1992, acquis à l’économie néoclassique. Le programme comportait les ingrédients contenus dans la plupart des programmes de stabilisation élaborés dans les pays européens en transition; il reposait sur l’idée selon laquelle le libre jeu du marché et la non-intervention de l’État pouvaient seuls restaurer les grands équilibres économiques; les organisations financières internationales (au premier rang desquelles le Fonds monétaire international) en faisaient une condition de l’aide susceptible d’être accordée à la Russie. Voici les principaux éléments de ce programme: – libéralisation immédiate des prix (sauf quelques restrictions qui devaient être de courte durée) et des échanges; – suppression des subventions et rééquilibrage du budget (le déficit était égal à 20 p. 100 du P.N.B. en 1991); – politique monétaire restrictive pour juguler l’inflation (dont le taux annuel avait été de 100 p. 100 en 1991); – libéralisation des échanges extérieurs et introduction de la convertibilité du rouble avant la fin de 1992; – introduction des premiers éléments de la transformation structurelle (annonce de la privatisation, élaboration de réformes dans les domaines de la fiscalité, de la banque, de la sécurité sociale). Ce programme est demeuré la référence des gouvernements successifs de la Russie sous la présidence de Boris Eltsine. Succédant à Egor Gaïdar en décembre 1992, Viktor Tchernomyrdine, quoique personnellement partisan d’une politique plus dirigiste favorisant la grande industrie, s’y est rallié jusqu’à son renvoi par Boris Eltsine en mars 1998. Après le bref gouvernement de Sergueï Kirienko (avril-août 1998), Evgueni Primakov, désigné en septembre 1998 pour juguler la crise d’août 1998 (dévaluation du rouble et krach boursier), continua la politique de ses prédécesseurs tout en manifestant lui aussi des volontés interventionnistes. Limogé en mai 1999, il fut remplacé par Sergueï Stepachine, qui renouvela l’attachement du gouvernement aux mêmes grandes lignes d’action. Vladimir Poutine, dernier Premier ministre d’Eltsine, nommé en août 1999, infléchit à peine les programmes précédents. Il est favorable à un capitalisme un peu plus social; en même temps son ambition est de faire revenir les investisseurs étrangers et de conduire une politique industrielle modernisatrice. Devenu le 1er janvier 2000 président par intérim de la Russie après la démission de Boris Eltsine, puis élu président le 26 mars 2000, il a confirmé ses intentions. Comment expliquer l’échec en Russie de ce qui a globalement réussi ailleurs? Pour les uns, la Russie, comme les autres États ex-soviétiques hormis les pays Baltes, avait été marquée pendant trop longtemps par l’ancien système de planification impérative pour que le passage aux lois du marché puisse être rapide et accepté par la société. Pour les autres, le programme ne tenait pas compte des spécificités de l’économie russe (grande dimension, fragmentation de l’économie selon des clivages régionaux, hypertrophie du secteur militaro-industriel et poids du secteur énergétique). Pour d’autres encore, le programme annoncé n’a tout simplement pas été appliqué, et les hommes politiques ont servi les intérêts de lobbies divers (en 1992, on parlait des «industrialistes»; plus tard, avec l’interpénétration croissante de la banque et de l’industrie, on a parlé des «oligarques» représentant les très grands groupes industriels et financiers), voire les pressions de la mafia. On peut considérer que ces diverses raisons s’additionnent.

L’inflation récurrente

Dans tous les pays en transition, la libéralisation des prix a engendré une poussée d’inflation immédiate, puis un déclin régulier quelquefois interrompu par un rebond (par exemple, à l’occasion de l’introduction de la T.V.A.), la hausse des prix se stabilisant par la suite à un niveau tout de même élevé (compris entre 5 et 15 p. 100 en 1999) par comparaison avec les pays d’Europe de l’Ouest. En Russie, la libéralisation des prix a été suivie d’hyperinflation: en 1992, les prix ont augmenté de 2 500 p. 100. Il a fallu attendre 1995-1996 pour que la hausse mensuelle des prix se stabilise entre 2 et 3 p. 100. En 1997 et pour les premiers mois de 1998 on avoisinait un taux annuel de 11-12 p. 100. Mais la crise d’août 1998 a de nouveau précipité le pays dans l’inflation, combattue par une politique monétaire stricte qui a commencé à porter ses fruits à la fin de 1999. Pourquoi cette poussée initiale et cette persistance de l’inflation? En 1992, l’explosion des prix suivant leur libéralisation a été attisée par une politique laxiste de la Banque centrale de Russie (B.C.R.), alors responsable devant le Parlement – la Douma –, et portée à aider les entreprises par du crédit facile plutôt qu’à appliquer une politique monétaire stricte avec des taux d’intérêt réels positifs. Malgré les directives gouvernementales, la B.C.R. assouplit ses conditions de crédit en juillet 1992 pour tenter de juguler le développement rapide de l’endettement interentreprises. Une deuxième raison tient à la dépréciation rapide du rouble, lorsque le taux de change est devenu flottant en juillet 1992 et que les agents économiques ont cherché à se protéger de l’inflation attendue par des achats de dollars. Une troisième raison tient au financement monétaire du déficit public. Enfin, comme la production et la distribution demeuraient fortement monopolisées, la libéralisation des prix a permis aux monopoles d’accroître leurs profits sans augmenter leur offre. À la décharge des autorités monétaires russes, on doit mentionner un puissant facteur d’inflation, sur lequel elles ne pouvaient avoir aucun contrôle, au cours des dix-huit premiers mois de la réforme. Pendant cette période, la Russie et les autres États issus de l’U.R.S.S. regroupés au sein de la Communauté des États indépendants (C.E.I.) avaient le rouble comme monnaie commune. Seule la B.C.R. pouvait émettre des billets en roubles, mais les autres banques centrales pouvaient créer de la monnaie de crédit par leurs prêts aux entreprises et alimenter ainsi l’inflation en Russie à travers le commerce entre les républiques de la C.E.I. et la Russie. La zone rouble a été dissoute en juillet 1993.

La reprise de l’inflation est intervenue à l’occasion de crises de change, elles-mêmes accompagnées de spéculation financière et de crises de confiance. Une première et courte accélération s’est produite après le «mardi noir» (11 octobre 1994) où le rouble s’est effondré, après que la B.C.R. eut cessé de le soutenir sur la Bourse interbancaire de change. L’inflation a connu un rebond après la grande crise d’août 1998, elle aussi déclenchée par une chute du rouble, mais liée à des dysfonctionnements beaucoup plus graves de la politique économique. Pour terminer ce point sur l’inflation, il est indispensable de mentionner la circulation de moyens de paiements non monétaires. De nombreuses transactions entre les entreprises et entre celles-ci et leurs salariés sont réglées sous forme de troc (par exemple, les salariés reçoivent en paiement des produits de leur entreprise, à charge pour eux de les écouler; les entreprises s’échangent leurs produits). Les banques, les régions, les municipalités, les grandes entreprises émettent des lettres de change (vekselya) matérialisant leurs endettements croisés. L’opacité qui entoure ces succédanés de monnaie est grande, mais on estime qu’ils représentent des flux égaux à ceux de la circulation monétaire.

Un déficit budgétaire entretenu par l’absence de réforme fiscale

Le déficit budgétaire a beaucoup baissé depuis 1992. Encore est-il difficile de s’en faire une idée précise. C’est un indicateur sensible: il est le principal indicateur conjoncturel utilisé par le F.M.I. pour déclencher ou suspendre l’attribution d’une aide. Les estimations varient du simple au double selon les sources, le ministère des Finances donnant l’estimation la plus basse. La cause directe de l’accroissement du déficit est son mode de financement. Jusqu’en 1994, il était couvert par la création de monnaie. Pour répondre aux injonctions du F.M.I., le gouvernement s’est tourné vers un mode non monétaire de financement, en principe plus sain, mais en l’occurrence désastreux. Le budget a été alimenté à partir de la fin de 1994 par l’émission de bons du Trésor (G.K.O.) et de billets à ordre (K.O.). Ces derniers constituaient un véritable tour de passe-passe qui a quelque temps abusé le F.M.I.: émis par le ministère des Finances, ils étaient utilisés par l’État pour payer ses dettes aux entreprises... qui, à leur tour, pouvaient s’en servir pour payer leurs arriérés fiscaux ou leurs dettes vis-à-vis d’autres entreprises. C’était un succédané de monnaie dont l’émission a cessé en 1996. Quant aux bons du Trésor, ils ont été proposés d’emblée à des taux d’intérêt très élevés pour les rendre attractifs. Mais, de ce fait, la dette publique interne a crû très rapidement à partir de 1994, et, en 1995, le service de cette dette représentait, à lui seul, la moitié du déficit budgétaire. Ouverte au départ aux seuls résidents, la souscription des bons du Trésor a été autorisée aux non-résidents en 1996, en partie sur l’insistance du F.M.I. Il était clair dès lors que les capitaux spéculatifs allaient affluer, attirés par la forte rémunération de ces bons, jusqu’à une crise majeure de confiance qui s’est produite en 1998, conduisant le gouvernement russe à geler le service de sa dette intérieure.

Pourquoi la Russie ne parvenait-elle pas à financer son déficit «normalement», par l’accroissement des recettes budgétaires? Il aurait fallu d’abord un retour à la croissance permettant une meilleure rentabilité des entreprises. Ensuite, il aurait fallu réformer plus tôt et plus radicalement la législation fiscale. Le Code des impôts n’a été adopté qu’en 1998, et encore dans une version incomplète. Le régime fiscal se caractérise par une grande variété d’impôts et d’exemptions et allègements. L’évasion fiscale est très forte en raison du taux élevé de la fiscalité (ce qui, par cercle vicieux, entraîne de nouvelles augmentations d’impôts). Du côté des dépenses, des mesures d’austérité ont été prises. Les premières dépenses visées ont été les dépenses en capital, l’éducation, la santé publique, ainsi que les transferts aux «sujets de la fédération» (régions et républiques), ces dernières restrictions engendrant à leur tour une baisse des versements des régions au budget fédéral. En outre, bien des dépenses inscrites au budget n’ont pas été effectuées faute de moyens, principalement le paiement de pensions et de salaires aux employés de l’État. Les arriérés de salaires et pensions ont été partiellement résorbés à la faveur de la crise de 1998, qui a permis de les rembourser à leur valeur nominale, alors que le coût de la vie avait doublé en quelques semaines. En juin 1999, la Douma a finalement accepté de voter plusieurs lois fiscales, sur l’insistance du gouvernement, pour que le F.M.I. reprenne ses versements suspendus depuis juin 1998. Le président Poutine a fait d’une réforme fiscale profonde l’une de ses priorités.

La politique du change: échec ou réussite?

Le rouble est-il convertible? Il l’est, de fait, depuis juillet 1992, pour les transactions courantes en tout cas, et pour les mouvements de capitaux dans une large mesure. Il a fallu attendre la crise d’août 1998 pour que soient introduites des mesures de contrôle des changes. S’est-il gravement déprécié? En termes nominaux certes; mais en termes réels, il n’a cessé de s’apprécier vis-à-vis du dollar. La crise de 1998 a marqué un point d’arrêt, mais, en 1999, le rouble avait retrouvé une remarquable stabilité. Comment expliquer cette bonne tenue de la monnaie nationale? Une première raison tient au taux élevé d’inflation, toujours supérieur au taux de dépréciation du rouble, sauf exceptions de courte durée. Face à cette appréciation, les autorités ont modulé le régime de change: flottement «administré» (avec interventions de la Banque centrale) jusqu’en 1994, introduction en 1995 d’un taux fixe (à l’intérieur d’un «corridor» fixé entre 4 300 et 4 900 roubles pour un dollar), taux de change «à crémaillère» à partir de la seconde moitié de 1996; flottement à nouveau après la crise de 1998, assorti de contrôles de change pour éviter les sorties de devises. Les réserves en devises ont naturellement fléchi après la crise de 1998 (de 40 p. 100, passant de 13 à 7,8 milliards de dollars entre mi-1998 et mi-1999). Mais il faut tenir compte des réserves en dollars de la population, qui ont effectivement contribué à raffermir le rouble après la crise; en effet, les ménages disposant de réserves en dollars, et confrontés à une chute de leur revenu réel en raison de la dévaluation et de l’inflation, ont vendu des dollars. Surtout, il ne faut pas oublier l’évasion des capitaux qui atteignait, à la fin de 1998 (en montant cumulé depuis 1992), dans l’estimation la plus conservatrice, 150 milliards de dollars, soit l’équivalent de toute la dette extérieure russe.

La crise russe de 1998: une perte durable de crédibilité

Le bilan de la stabilisation macroéconomique présenté ci-dessus n’est pas totalement négatif. Certes avec des à-coups, la stabilisation se met en place. Mais les mesures prises en août 1998 en accompagnement de la dévaluation du rouble ont pour longtemps miné la confiance des prêteurs et des investisseurs. Le gouvernement a déclaré un défaut sur la dette intérieure russe (dont un tiers était détenu à cette date par des non-résidents, pour un montant équivalent à 17 milliards de dollars). Certes, cette dette fut partiellement restructurée, mais selon des modalités assimilables à une confiscation de la plus grande partie du capital. Peut-être ne doit-on pas plaindre des prêteurs appâtés par des taux d’intérêt manifestement intenables. Mais une partie de la dette en devises fut touchée aussi, par un moratoire de quatre-vingt-dix jours imposé sur le remboursement des emprunts à plus de six mois contractés par les banques et entreprises russes. La dette russe s’élevait, à la fin de 1998, à 150 milliards de dollars (dont près des deux tiers sont un héritage de l’Union soviétique et pourraient être en grande partie annulés par la communauté internationale). Depuis août 1998, la Russie a plusieurs fois fait défaut sur le service de sa dette, qui représentait, pour 1999, 17,5 milliards de dollars au total, soit environ 9 p. 100 du P.I.B. de cette année, ou encore l’équivalent de toutes les recettes budgétaires escomptées. Le déblocage des crédits du F.M.I. en juillet 1999 devait couvrir uniquement le service de la dette à l’égard de cette institution et avant tout permettre l’ouverture de négociations avec les gouvernements créanciers de la Russie (Club de Paris) et les banques créancières (Club de Londres) pour le rééchelonnement ultérieur de la dette russe. Les crédits du F.M.I. ont été à nouveau suspendus en septembre 1999, notamment en raison des informations selon lesquelles les crédits antérieurs du F.M.I. avaient été détournés et transférés à l’étranger, arrêtant par là même les négociations avec les banques et les gouvernements. Cependant, les discussions avec le Club de Londres ont repris en décembre 1999 sur la partie de la dette russe héritée de l’U.R.S.S., aboutissant en février 2000 à un accord par lequel 36,5 p. 100 de celle-ci, soit 10 milliards de dollars, étaient annulés, et le reste rééchelonné sur trente ans. Un accord similaire est attendu au cours de l’année 2000 avec le Club de Paris. Ainsi, l’accès aux marchés monétaires et financiers internationaux, qui s’était fermé totalement pour la Russie après la crise de 1998, pourrait être rouvert, selon les pronostics d’experts, en 2001. Quant aux investissements étrangers qui avaient chuté pour atteindre, en 1998, 30 p. 100 de leur niveau de 1997, ils ont retrouvé ce niveau en 1999.

2.  Une récession persistante

Les indicateurs réels de l’économie russe se sont dégradés depuis le début de la transition, plus fortement qu’en Europe de l’Est. Alors qu’un début de reprise de la production s’esquissait en 1997, la crise a provoqué un nouveau déclin du P.I.B. L’investissement s’est effondré plus fortement encore, ce qui compromet toute reprise future dans de nombreux secteurs. Les revenus réels de la population ont chuté de 50 p. 100 entre 1991 et 1997. La crise les a fait tomber de 43 p. 100 entre août 1998 et mars 1999. La remontée observée depuis lors se fait à partir d’un niveau très bas: le salaire moyen mensuel en dollars était, à cette dernière date, de peu supérieur à 50 dollars (avec toutes les réserves d’une telle indication si l’on utilise le taux de change du marché; mais, même en se référant à la parité du pouvoir d’achat rouble-dollar, on n’obtiendrait pas plus de 120 à 150 dollars). Cette baisse de revenus réels s’accompagne d’une paupérisation croissante de la population. Au premier trimestre de 1999, 38 p. 100 de la population vivait au-dessous du seuil de subsistance estimé à l’équivalent de 30 dollars mensuels. En même temps, l’inégalité de revenus n’a cessé de s’accentuer en Russie, faisant suite à l’égalisation (voire au nivellement) des revenus de la période communiste. Si, en 1993, les 10 p. 100 des ménages les plus aisés percevaient un peu plus de 20 p. 100 des revenus, cette proportion était montée à plus de 40 p. 100 en 1999. On aurait pu s’attendre à un niveau de chômage très élevé accompagnant ces indicateurs réels. Or le taux de chômage est demeuré longtemps très faible en Russie. De 1,8 p. 100 en janvier 1993, il a certes atteint 14,2 p. 100 en décembre 1999, mais, compte tenu du déclin de la production, il aurait dû être sensiblement plus élevé. Cela tient à une préférence, héritée de la période communiste, des directeurs de grandes entreprises et des autorités locales: le maintien des effectifs, fût-ce à un niveau réduit d’activité, plutôt que les licenciements massifs, ce qui va de pair avec une réduction des salaires effectivement payés, voire avec le non-paiement des salaires. Cela permet de garantir une certaine paix sociale, laquelle est néanmoins troublée par des grèves occasionnelles lorsque des groupes socialement influents de salariés ne sont pas payés pendant longtemps (mineurs, cheminots, médecins en 1997-1998).

Quel crédit accorder à ces chiffres sur l’économie réelle? Les appréciations divergent. Pour les uns, les données chiffrées expriment la réalité catastrophique de l’économie russe: si celle-ci ne s’est pas encore totalement effondrée, c’est parce qu’elle est parvenue à maintenir un excédent commercial dû aux recettes d’exportation des matières premières énergétiques (pétrole et gaz) essentiellement – et ce, malgré la crise et malgré la baisse des prix internationaux du pétrole des années 1997-1998. Pour les autres, le déclin est plus apparent que réel. Comme on l’a vu, une grande partie des activités économiques échappent à l’enregistrement statistique, en raison du poids du secteur informel (estimé à 30-40 p. 100 du P.I.B. enregistré), de la démonétisation croissante des échanges (troc, paiements en nature, usage de succédanés de monnaie, qui, pris ensemble, représentent plus de 50 p. 100 des transactions dans l’économie), et de la fraude ou de l’évasion fiscales. Force est de demeurer dans l’incertitude.

3. Une transformation structurelle incomplète

La transformation structurelle a pour principale composante la privatisation. Celle-ci est entendue à la fois comme création d’un secteur privé à partir de législations autorisant la libre entreprise, et comme transfert de la propriété d’État entre des mains privées. Elle comprend aussi la mise en place d’un système bancaire et financier nouveau. Enfin, un nouveau système de sécurité sociale, remplaçant la prise en charge totale de l’individu par l’État qui caractérisait l’ancien régime, devrait être institué, mais cet aspect théoriquement indispensable de la transition en demeure le maillon le plus faible.

La privatisation

En 1999, la contribution du secteur privé à la formation du P.I.B. était de 70 p. 100, ce qui place la Russie parmi les pays les plus avancés dans la transition vers le marché, de ce point de vue. Dès janvier 1992, toutes les activités de commerce non soumises à des réglementations spéciales d’ordre public étaient autorisées. La «grande privatisation» commença le 1er octobre 1992 avec la distribution à l’ensemble de la population, soit 148 millions de résidents, de bons ou vouchers (le terme est passé tout droit en russe) non nominatifs à valeur faciale de 10 000 roubles soit, à cette date, un peu moins de 50 dollars. La distribution de ces bons prit fin en janvier 1993. Ces bons étaient immédiatement négociables, contrairement aux procédures retenues en Europe de l’Est, et leur valeur décrut de 50 p. 100 en quelques mois, car les citoyens russes ont préféré s’en débarrasser pour acquérir des biens de consommation. Le programme russe de privatisation fut très expéditif. Il ne fut précédé d’aucune restructuration des entreprises et il s’est appuyé sur des intermédiaires financiers souvent douteux. L’évaluation comptable des entreprises a été des plus sommaires, ce qui a permis à certains agents d’acquérir de grandes entreprises pour quelques dizaines de dollars. Sa particularité la plus marquante a été de donner un rôle éminent aux initiés, c’est-à-dire aux salariés et aux cadres des entreprises d’État privatisées. En effet, sur les trois options offertes aux entreprises à privatiser, celle qui fut massivement choisie permettait aux employés, réunis en collectif, d’acheter 51 p. 100 du capital de leur entreprise (estimé à 1,7 fois sa valeur au 1er janvier 1992, soit un cadeau en période d’inflation galopante), en payant en vouchers ou en espèces; 70 p. 100 des grandes entreprises avaient ainsi été privatisées à la fin de juin 1994. Une seconde vague de privatisations devait suivre, fondée cette fois sur la vente des entreprises à des investisseurs nationaux ou étrangers. Les scandales liés à la première vague, ainsi que les énormes enjeux de la seconde (il s’agissait entre autres de privatiser le secteur énergétique et les télécommunications), ont conduit, en raison de la crise asiatique de 1997 puis de la crise russe de 1998, à repousser les échéances, avec quelques opérations symboliques telles que la vente de 2,5 p. 100 des actions du monopole du gaz, Gazprom. Les investisseurs étrangers demeurent sur les rangs pour participer à la privatisation des sociétés d’État du pétrole, du gaz et des télécommunications, en attendant plus de stabilité et plus de clarté sur les procédures. Qui possède aujourd’hui la Russie? Le terme le plus fréquemment utilisé est celui d’oligarques, les grands barons de l’industrie et de la finance, dont certains passent pour tenir entre leurs mains le pouvoir politique à travers leurs liens personnels avec la famille de Boris Eltsine. Beaucoup d’observateurs occidentaux, qui avaient annoncé le déclin de leur influence après la crise d’août 1998, ont noté leur retour sur la scène économique et politique en mai 1999 après la chute du gouvernement Primakov. Les informations sur leurs activités et leur richesse relèvent d’une presse douteuse, néanmoins très lue (en Russie et à l’Ouest). Il est en effet vraisemblable que des fortunes considérables et occultes ont pu s’amasser à la faveur d’une privatisation expéditive, de positions fortes dans le secteur énergétique, et des opportunités liées à la fuite des capitaux.

Bien que la plupart des entreprises russes ne soient pas rentables et produisent très en deçà de leur capacité, il y a peu de faillites. Une nouvelle loi sur la faillite a été adoptée en 1998, celle de 1993 ayant été inopérante. Mais cette loi privilégie la restructuration contre la liquidation effective de l’entreprise, donne peu de droits aux créanciers privés et trop de pouvoirs aux autorités locales, et, depuis la crise d’août 1998, son application est mise en sourdine. La gestion des entreprises est dominée par les insiders, actionnaires majoritaires issus de l’ancien encadrement, et les droits des actionnaires minoritaires sont très mal protégés, ce qui justifie l’appellation de «capitalisme de copains» donnée au système russe. La privatisation de la terre demeure un problème non résolu. Depuis le début, la question fut un objet de controverses entre la présidence de la Russie et la Douma, celle-ci étant très opposée à la privatisation généralisée des terrains agricoles. Les autorités locales ont généralement soutenu la Douma et, malgré une profusion de décrets présidentiels, les anciennes exploitations coopératives (kolkhoz) sont demeurées en place, avec des statuts réformés (de type sociétaire ou associatif). Bien que la propriété privée sur la terre (dont les étrangers demeurent exclus) ait été instituée à la fin de 1993, la Douma a refusé à plusieurs reprises d’adopter le Code foncier qui devrait instaurer un véritable marché pour les terrains agricoles. Cette indétermination juridique explique dans une large mesure l’effondrement de l’agriculture russe. Les ex-kolkhoz n’ont plus de moyens; les paysans individuels n’ont pas de garantie de pouvoir transférer leur propriété et ne disposent ni de matériel ou d’engrais, ni de crédits pour en acheter. De ce fait, l’agriculture russe est devenue une agriculture de subsistance, qui d’ailleurs attire beaucoup de citadins, puisque ceux-ci ont désormais le droit non seulement de cultiver pour eux-mêmes leur lopin de terre mais d’en commercialiser les excédents. Néanmoins, il n’y a aujourd’hui aucune perspective pour une agriculture moderne et capitaliste à hauts rendements.

Les réformes bancaires et financières

Comme en matière de privatisation des entreprises, la Russie a voulu aller très vite dans le développement de son système bancaire, à partir d’une situation où, sous le régime communiste, il n’existait qu’une «monobanque», la Banque d’État, qui cumulait de nombreuses fonctions: institut d’émission, Trésor public, crédit planifié aux entreprises. Durant la perestroïka lancée par Mikhaïl Gorbatchev, la Banque d’État avait abandonné sa fonction de crédit à quelques grandes banques commerciales d’État constituées à partir de son propre démembrement, et spécialisées par secteur (industrie, agriculture, investissement, consommation-épargne). Mais, dès 1992, on comptait en Russie 1 700 banques commerciales, y compris un certain nombre de banques étrangères; le nombre des banques devait culminer à plus de 2 600 en 1996, pour revenir à un peu moins de 1 400 en 1999, après la crise, en raison de cessations d’activité ou de fusions. Statistiquement, la privatisation bancaire est un succès puisqu’en 1997, l’État n’était plus l’actionnaire majoritaire que de 30 p. 100 des banques. La Banque centrale elle-même, à l’origine subordonnée au Parlement, est devenue indépendante en 1995. Les banques russes ont peu de choses en commun avec leurs homologues des pays occidentaux et même des pays en transition d’Europe de l’Est. Les particuliers s’en méfient et ne leur confient pas leurs dépôts. Comme les déposants ont perdu environ les deux tiers de leurs avoirs durant la crise de 1998, parce que les banques ont été incapables de satisfaire les demandes de retraits, cette méfiance n’a guère de chance de s’atténuer dans le proche avenir. Les entreprises ne déposent dans les banques que le strict minimum et, en particulier, y effectuent leurs paiements fiscaux: le sous-développement du nouveau Trésor public russe (cette institution n’existait pas dans le système soviétique) explique que la fonction de collecte des impôts ait été confiée à un certain nombre de banques agréées. Les grandes entreprises préfèrent transférer leurs avoirs à l’étranger; elles n’empruntent pas non plus aux banques russes, en raison des taux d’intérêt très élevés, et le financement de leur activité passe plus souvent par le crédit interentreprises. Que font donc les banques? Jusqu’à la crise de 1998, elles ont largement spéculé tant sur le marché russe que sur les marchés internationaux de capitaux, mettant à l’abri des sommes colossales dans des structures bancaires off-shore. L’exemple était d’ailleurs donné par la Banque centrale de Russie qui, selon des révélations officielles du procureur général de la Russie Iouri Skouratov, en février 1999, aurait placé environ 50 milliards de dollars dans un établissement financier de Jersey. La crise a eu deux conséquences. En premier lieu, il a fallu sauver les banques d’un effondrement total en injectant de la monnaie dans le système bancaire. En second lieu, un plan d’assainissement a été lancé. Bien que 500 banques au moins fussent considérées comme insolvables, seules 110 licences ont été retirées entre août 1998 et mai 1999, dont, symboliquement, à quelques très grandes banques – mais celles-ci avaient eu le temps de mettre leurs actifs à l’abri dans des banques nouvelles qu’elles avaient créées, ne laissant que des dettes dans l’établissement bancaire liquidé... La Russie s’est très vite dotée de Bourses. La Bourse de Moscou et son indice R.T.S. (Russian Trading System Index) ont connu un véritable engouement international en 1996-1997 (jusqu’au déclenchement de la crise asiatique), après avoir dans un premier temps attiré un grand nombre de spéculateurs russes alléchés par les rendements fabuleux que promettaient une multitude de sociétés financières de type «pyramides» (on paie les intérêts échus grâce aux nouveaux placements, jusqu’à l’inévitable crise de confiance). L’internationalisation de la Bourse de Moscou a été favorisée par l’émission de bons du Trésor russe qui, en 1996, garantissaient aux souscripteurs des rendements annuels de 200 p. 100, bien supérieurs au taux de dépréciation du rouble: les investissements de portefeuille sont passés de 10 milliards de dollars en 1996 à 45 milliards en 1997, pour retomber en 1998 à 7 milliards. En 1998 en effet, les émissions nouvelles se sont ralenties, pour être totalement stoppées par la crise, avec un début de reprise en 1999. Mais en mars 1999, la Russie était classée cent soixante et unième, par ordre croissant de risque pour les investisseurs, des cent quatre-vingts pays retenus dans le classement.

La réforme du filet de protection sociale

L’État soviétique assurait à tous ses citoyens une protection sociale généralisée (garantie du plein-emploi, prise en charge des dépenses d’éducation et de santé, quasi-gratuité du logement et des transports collectifs, financement des loisirs populaires). Ce système s’est effondré parce que les dépenses sociales ont été les premières touchées par la politique d’austérité budgétaire. Les pensions de retraite, au demeurant très modestes, au niveau du minimum de subsistance, ne sont bien souvent pas payées, ou le sont avec de grands retards. Le déclin de la santé publique se traduit par la hausse des indicateurs de morbidité et la baisse de l’espérance de vie à la naissance (qui, pour les hommes, a baissé de dix ans depuis 1985, passant en 1995 sous la barre des soixante ans). Il existe bien un Fonds de pensions de la fédération de Russie, placé en 1993 sous la tutelle du gouvernement et alimenté par des cotisations des employeurs et des salariés. Ce système est très déficient, d’abord parce que les cotisants se soustraient au paiement des cotisations, et ensuite parce que l’État utilise les ressources du Fonds pour financer sa trésorerie; de ce fait, le Fonds est chroniquement incapable de servir les pensions. L’introduction d’une réforme en profondeur, avec un système associant répartition et capitalisation pour le financement de la sécurité sociale, est envisagé. La faiblesse du secteur de l’assurance, la crise des marchés financiers et le manque de ressources à tous les niveaux (salariés, entreprises, État) bloquent toute avancée en ce domaine.

4. Un potentiel de développement encore important

Le potentiel de l’économie russe repose d’abord sur la richesse du pays en ressources naturelles, notamment énergétiques (pétrole et gaz), dont la Russie détient le tiers des réserves mondiales. Au-delà de considérations conjoncturelles (le prix mondial du pétrole a triplé en 1999), la reprise passe ici par un retour de confiance des investisseurs étrangers. Les amendements apportés à la fin de 1998 à la loi sur le partage de production (production sharing) entre sociétés russes et étrangères ont ramené en 1999 des groupes étrangers sur le marché russe (par exemple le français Total), mais ces opérations ne se développeront qu’une fois le climat général des investissements étrangers amélioré. Ensuite, la crise a provoqué une reprise de la production industrielle dans certains secteurs qui avaient très largement disparu du marché russe, évincés par les importations (en 1998, avant la crise, l’importation alimentait environ 50 p. 100 de la consommation des ménages). Ainsi, dès le dernier trimestre de 1998, on a assisté à une hausse de la production dans le textile, la confection, les chaussures, l’automobile, l’agroalimentaire, les produits électroménagers. Il s’y est ajouté une poussée des exportations, stimulées par la dévaluation, pour les produits sidérurgiques, la chimie de base, les dérivés du bois. Le grand obstacle à une consolidation de cette tendance est le manque d’investissements; même si les capacités actuelles de production sont sous-utilisées, une croissance durable n’est possible que si elles sont modernisées. Enfin, un potentiel mal connu mais incontestable existe dans les régions, dont certaines ont bien su s’adapter à la crise. La diversité des situations n’autorise pas de généralisations. Mais, qu’il s’agisse de dotations naturelles, de capital humain (valorisé sous le régime communiste par la priorité aux formations scientifiques et techniques), ou de reconversion du potentiel industriel hérité de l’Union soviétique, les régions ont des atouts variés. Cependant, sur ces trois points, il ne s’agit que de possibilités. Aucun prévisionniste sérieux ne pourrait aller plus loin que ces hypothèses. La Russie aborde le IIIe millénaire dans une situation qu’on peut dénommer au choix: chaos, dépression endémique, capitalisme démago-populiste, économie mafieuse, etc. Ce que la transition a appris aux Russes, c’est que, pour survivre, on ne peut compter que sur soi.

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