Marilyn Monroe pour toujours

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MADAGASCAR

Marilyn pour toujours

 

Par sa superficie (587 041 km2), Madagascar est la troisième île du monde, ou la quatrième si l’on prend en compte l’Australie qui est plutôt un continent. La population totale demeure faible malgré un taux de natalité toujours élevé: environ 12 millions d’habitants en 1993. Au début des années 1960, le nombre des bovidés (zébus) dépassait encore nettement celui des humains; mais à la suite de l’effondrement économique du pays et des entreprises criminelles à grande échelle de «vols de bœufs», la comparaison n’est plus de mise. Brassages séculaires et migrations intérieures ont façonné un peuple authentiquement «afro-asiatique» ainsi que l’atteste, sur un fond réel d’unité culturelle et même linguistique, l’éventail des dix-huit ethnies officiellement recensées, certaines comprenant des sous-groupes et clans particuliers. À partir de la fin du XIXe siècle, la colonisation a favorisé l’implantation durable de minorités étrangères, européenne et notamment française (les Vazaha), chinoise, indo-pakistanaise musulmane (les Karana) et comorienne; des communautés modestes en nombre d’individus (quelques dizaines de milliers au total), mais économiquement puissantes, voire dominantes. Le statut social de ces minorités actives, leur présence même sur le sol malgache ont donné lieu à de sévères critiques, au tournant des années 1970, au nom de la défense de la souveraineté nationale, de la lutte contre le néo-colonialisme et de la nécessaire «malgachisation» des cadres et des structures. Le problème reste posé en 1993. Isolée dans l’océan Indien à hauteur du Mozambique, la «Grande Île», comme on appelle volontiers Madagascar, est un monde à part aux origines encore mal connues et fortement marqué par l’insularité (et par l’insularisme sur le plan politique et culturel). L’isolement géographique a engendré une flore et une faune exceptionnelle qui sont un terrain de recherches privilégié pour les spécialistes du monde entier. La flore – plus de 10 000 espèces connues – est particulièrement riche en plantes parasitaires (orchidées, etc.), en plantes médicinales à vertu de poison (fanafody) et de contrepoison, et en espèces originales. Les botanistes recensent à Madagascar neuf variétés de baobabs, alors qu’il n’en existerait qu’une seule espèce en Afrique. La faune soulève tout autant la curiosité des scientifiques. Il n’y a jamais eu de grands fauves ni de serpents venimeux. Le seul animal dangereux est le crocodile (caïman), devenu en fait animal d’élevage tellement il a été chassé et détruit dans les fleuves, lacs et rivières; et, dit-on, une certaine araignées rouge (menavodi) dont la piqûre serait mortelle. Quant au requin, il ne constitue un véritable danger que sur la côte Est de Madagascar. En revanche, les espèces fossiles évoquent un univers animal spécifique en des temps très anciens: le veau nain, l’hippopotame nain, la tortue géante et, surtout, l’æpyornis ou «oiseau éléphant», disparu avec l’arrivée de l’homme; il était le plus gros oiseau du monde, de la taille d’une autruche pesant 500 kilogrammes et mesurant (en extension) 3,5 m de longueur. On a trouvé dans le sud de l’île des œufs d’æpyornis d’un poids de 5 à 7 kilogrammes.

À l’époque contemporaine, l’originalité de la faune malgache transparaît dans l’extrême variété des oiseaux, caméléons, papillons; et plus encore dans celle des insectes au sens large (araignées et autres arachnides) et des serpents: le petit boa malgache, parfaitement inoffensif, serait apparenté au boa d’Amérique du Sud et non pas au python africain. Il y a par-dessus tout le lémurien, ce gracieux mammifère, ancêtre du singe, qui, lui, n’a jamais existé à Madagascar. En l’état actuel des connaissances, les neuf dixièmes de l’espèce Lemur subsistant dans le monde seraient concentrés à Madagascar, où vingt-deux types de lémuriens, rescapés de la préhistoire, témoignent de l’évolution génétique. Mais la destruction à grande échelle de la forêt malgache, surtout depuis le début des années 1960 – par les cultures sur brûlis, les feux de brousse et le déboisement anarchique –, menace gravement tout l’écosystème. Les gouvernements successifs malgaches ne sont pas parvenus, même avec le support des organisations internationales, à arrêter ce désastre écologique dénoncé de plus en plus sévèrement par les différentes associations malgaches et franco-malgaches (Apars-Mad, Maki-France...). En 1993, le Mouvement écologique Madagascar (M.E.M.) sonne véritablement le tocsin: au rythme annuel de 300 000 hectares de forêt dévorés par le feu, la Grande Île sera devenue d’ici à dix ans «Île rouge» (un désert de latérite). Cette association scientifique affirme que «...depuis 1975, on assiste à la destruction par le feu d’un musée naturel irremplaçable: 90 p. 100 des espèces de mammifères et 95 p. 100 des reptiles malgaches ne se retrouvent nulle part ailleurs». Le sauvetage de la nature devient une priorité absolue. La question du peuplement de Madagascar fait toujours l’objet de recherches et de débats, mais deux points semblent aujourd’hui attestés: le sous-continent malgache n’a pas trace de préhominien, alors que l’Afrique voisine, australe et orientale, revendique avec de bons arguments paléontologiques le statut de berceau de l’humanité; par ailleurs, le peuplement originel de la Grande Île, issu de migrations d’Asie et d’Afrique, serait d’origine relativement récente (VIIIe-XIIIe s. apr. J.-C.). Les Européens, quant à eux, n’ont abordé cette contrée, bien après les navigateurs asiatiques et arabes, qu’au début du XVIe siècle. À la suite des Portugais et des Hollandais qui laissent peu d’impact viendront les Anglais et les Français dans le cadre de la compétition coloniale pour la maîtrise des îles du sud-ouest de l’océan Indien, notamment les Mascareignes. Les relations de voyage de ces découvreurs ou/et conquérants constituent les premiers éléments écrits d’une histoire de Madagascar à partir, naturellement, d’un point de vue européen (ou européocentriste comme on dit aujourd’hui) et sur la base d’observations et d’informations orales limitées. C’est l’amorce d’un corpus malgache que les travaux historiques ultérieurs viendront compléter, affiner ou remettre en cause. L’un de ces ouvrages pionniers est celui d’Étienne de Flacourt, gouverneur de l’établissement français de Fort-Dauphin au XVIIe siècle, publié en 1658 sous le titre Histoire de la Grande Isle de Madagascar. Au XIXe siècle, Alfred Grandidier – géographe et anthropologue à sa façon – parcourt l’île entre 1865 et 1870. Il en donne un premier relevé cartographique et publiera ensuite en une trentaine de volumes une masse considérable d’informations. Au même moment, le R. P. Callet, jésuite, collecte et publie en langue malgache (à partir de 1873) l’ensemble des traditions et coutumes merina sous le titre Tantara ny Andriana (Histoire des rois). Ces ouvrages, et quelques autres d’administrateurs de la première période de la colonisation française, tels ceux de G. Julien ou de voyageurs européens, constituent un fonds précieux pour la connaissance historique. Celle-ci s’est considérablement enrichie au cours de ce XXe siècle sous l’impulsion de l’Académie malgache, des recherches effectuées dans le cadre de l’O.R.S.T.O.M. et, à partir des années 1960, à l’université de Madagascar. Des synthèses sont devenues possibles (travaux de P. Boiteau, H. Deschamps, E. Ralaimihotra, par exemple). Depuis une vingtaine d’années, la revue Omaly sy Anio (Hier et aujourd’hui), publiée par le département d’histoire de l’université de Tananarive, maintient avec brio, dans des conditions matérielles et universitaires devenues très difficiles, ce travail d’analyse et de critique historique sans lequel un pays n’a pas d’histoire.

Madagascar a précisément une histoire riche et mouvementée en ce qui concerne l’époque moderne et contemporaine. Dès 1820, la Grande Île, qui doit son début d’unité politique au règne du roi Andrianampoinimerina (1787-1810), se présente en État internationalement reconnu, alors qu’en Afrique voisine la plupart des pays ne sont, du point de vue européen, que des «territoires sans maître» (res nullius). Rendue célèbre par ses reines successives, la monarchie merina, qui s’est ouverte au monde occidental et au christianisme (malgré la résistance de la reine Ranavalona Ire 1828-1861), cède finalement à la conquête coloniale française en 1896: colonie sous la IIIe République, puis territoire d’outre-mer (T.O.M.) sous la IVe République, Madagascar devient État autonome dans le cadre de la Communauté créée par la Ve République française en 1958, et obtient finalement l’indépendance en 1960. En quelque trente années, trois régimes politiques vont se succéder. C’est d’abord la Ire République malgache dirigée jusqu’en 1972 par le président Philibert Tsiranana qui ne cache pas sa fidélité aux démocraties occidentales. À la suite d’ une crise de régime, qui se poursuit dans la confusion jusqu’à la fin de l’année 1975, surgit une deuxième république qui se réclame, elle, de l’idéologie socialiste révolutionnaire. Animée par le président Didier Ratsiraka, cette République démocratique de Madagascar (R.D.M.) s’enlise progressivement dans le désordre économique et politique. Après bien des péripéties, Madagascar revient, en 1992, à un régime pluraliste et modéré dans le cadre d’une toute nouvelle IIIe République actuellement en cours d’installation. L’année 1993 ouvre donc une période politique inédite à Madagascar après une transition démocratique agitée. Les incertitudes ne sont pas levées pour autant puisqu’il s’agit en définitive de construire un nouveau contrat social dans une société qui, depuis 1972, a été profondément perturbée.

1. Histoire de la Grande Île

Si le problème des origines n’est pas complètement éclairci, la connaissance de l’histoire moderne – celle du royaume malgache et de la colonisation française – s’est considérablement enrichie depuis les années 1960 par un renouvellement des sources et de la méthode historique: dépouillement d’archives publiques et privées; étude critique de la tradition orale et des manuscrits, ainsi que du vocabulaire en usage dans l’administration coloniale (par exemple l’emploi du mot hova comme synonyme de merina!); éclairages nouveaux et souvent décisifs apportés à l’histoire événementielle, politique et militaire, par l’analyse des faits économiques et sociaux; remise à plat de certains événements ou situations considérés auparavant comme bien établis. Du coup, l’image un peu figée et (trop) «terre française» de la Grande Île donnée par les manuels d’histoire classiques, c’est-à-dire jusqu’aux alentours des années 1960, fait place à un «portrait» plus complexe et plus tourmenté. Cette analyse est sans aucun doute plus proche de la vérité historique, qu’il s’agisse des rapports de rivalité-domination entre les Merina et les autres ethnies, ou des relations collaboration-conflit entre les Malgaches et le colonisateur français. À cet égard, la «rébellion» de 1947 illustre et clôt à la fois une période historique pour Madagascar.

Le problème des origines

La question de l’origine du peuplement de Madagascar a donné lieu pendant longtemps à des débats passionnés parce qu’elle renvoyait directement à la question de la légitimité du pouvoir du «premier occupant». Vu sous cet angle, le problème est aujourd’hui dépassé, mais l’intérêt scientifique de la question demeure. À la différence d’autres îles du sud-ouest de l’océan Indien (les Mascareignes) dont on connaît l’origine et la date du premier peuplement, Madagascar retient toujours son mystère: quand apparurent et qui furent les premiers habitants – ou premiers arrivants (envahisseurs?) – que l’on appelle, faute de nom plus précis, les Proto-Malgaches? La réponse n’est pas simple. Il est vrai que la Grande Île, excentrée par rapport au reste du monde, lointaine et «unique» en son genre, a jusqu’à l’époque contemporaine suscité les affabulations, légendes et mythes: mythe littéraire d’une Lémurie paradisiaque; mythe des Vazimba, un mot qui selon le discours renvoie tantôt au monde des esprits tantôt à ces Proto-Malgaches mal identifiés (alors que ce mot «mythique» pourrait bien n’être que le résultat d’une distorsion progressive de vocabulaire); mythe encore, et toujours répandu aujourd’hui, que celui des Mikea qui seraient une race particulière de Pygmées, voire de nains vivant totalement repliés, et à la limite permanente de la survie, dans la forêt d’épineux (notamment dans le Sud-Ouest, en pays masikoro); cette population avec laquelle il est en effet très difficile d’entrer en contact reste mal connue (quelques centaines de familles?). Mais il s’agit pour l’essentiel de Malgaches dont les parents ont fui la civilisation à l’époque coloniale pour éviter l’impôt et d’autres contraintes et qui, faisant souche, ont fini par s’acculturer (?) à leur façon au point d’ignorer complètement le monde extérieur alors qu’à vol d’oiseau ils sont à quelques encablures de la modernité. Mythe encore que celui de l’Eldorado, de la Normandie australe, répandu au début de la colonisation. S’il n’est déjà pas facile d’appréhender toutes les données du peuplement contemporain – à commencer par le nombre exact de la population –, on conçoit la difficulté en ce qui concerne les origines. Toutefois, les apports récents de l’archéologie (à supposer que les datations au carbone 14 soient fiables eu égard à la durée de la période envisagée) ainsi que de l’anthropologie, de l’ethnographie et de la socio-linguistique (en particulier les travaux de Paul Ottino) permettent de mieux cerner aujourd’hui les origines du peuplement de Madagascar. Encore qu’il y ait place à l’imagination et, bien sûr, à d’autres découvertes.

Traits indonésiens, apports africains

La diversité anthropologique des Malgaches est évidente. Certains types évoquent l’Indonésie, d’autres l’Afrique ; les types mixtes sont les plus fréquents, conséquence de métissages multiples, anciens ou plus récents, entre originaires d’Asie et d’Afrique, eux-mêmes nuancés par d’autres apports asiatiques et européens. Une diversité qui éclate sur un fond incontestable d’unité et qui fait toute l’originalité de la personne et de la personnalité malgaches. Le poète Jacques Rabemananjara la résume ainsi (Présence de Madagascar, 1957): «Visiteurs malais, asiatiques, africains, européens y ont déposé ensemble ou tour à tour leurs marques et leurs types. De leur brassage séculaire s’est formé un peuple intermédiaire guère facile à déterminer et pourtant typiquement reconnaissable: le Malgache contemporain.» Pour le président Tsiranana, les Malgaches étaient «les seuls véritables Afro-Asiatiques». Plus sommairement, la distinction traditionnelle entre Merina et Côtiers renvoie aux origines lointaines: Indonésie (ou plutôt Austronésie selon la formule à la mode) pour les premiers et Afrique pour les autres. Il faudra nuancer. La langue, elle, est d’origine indonésienne (on disait naguère malayo-polynésienne). Cela confère à Madagascar un fond d’unité linguistique très réel malgré les variations dialectales et les apports de vocabulaire africain (bantou) et de termes arabes qui ont progressivement enrichi cette langue dont la transcription écrite ne sera effectuée qu’au XIXe siècle. La technologie et les coutumes anciennes, malgré des apports africains, semblent apparentées surtout au monde austronésien: culture, vitale et célébrée, du riz qui a engendré une véritable «civilisation du riz», et usage généralisé de l’angady, bêche à long manche, au lieu de la houe africaine; maisons quadrangulaires à toit pointu et, à l’est, cases sur pilotis; fourreau de fibres pour le vêtement; sagaie (sans arc); système de parentés partiellement indifférenciées et hiérarchies sociales; culte des ancêtres (tombeaux et, sur les plateaux, cérémonie du famahadina ou retournement des morts), etc. En revanche, la toge (lamba) paraît être d’origine africaine ainsi que – si l’on se réfère au vocabulaire – certains animaux domestiques et certaines pratiques d’élevage, en particulier celui du zébu (omby), quasi-objet de culte dans le Sud et l’Est où le troupeau est signe de prestige plus que source de profit. D’un point de vue économique, ce système d’«élevage contemplatif» a souvent été critiqué. Les instruments de musique et les types de danse témoignent de ces apports divers et entremêlés. L’art de la divination, en particulier par des grains (sikidy), est d’origine arabe ainsi que les divisions du temps dans un calendrier fondé sur l’astrologie. Quels que soient les progrès effectués dans la connaissance des origines, l’étude précise de nombreux traits ethnographiques reste à faire. Sur bien des points, on s’en tient à des approximations. Mais la thèse d’une «origine africaine des Malgaches» avancée au XIXe siècle par le grand malgachisant Gabriel Ferrand est depuis longtemps abandonnée. Son contemporain et rival Alfred Grandidier imaginait au contraire le peuplement par des Indonésiens mêlés de Mélanésiens, les apports africains ne lui paraissant que très secondaires et tardifs, et dus surtout à la traite des esclaves. Des hypothèses plus ou moins voisines ont été développées par d’autres auteurs non français, tels Birkeli et R. Kent (Early Kingdoms of Madagascar).

Les Proto-Malgaches: l’arrivée des navigateurs de haute mer

À moins d’imaginer l’existence et la survivance d’aborigènes africains au moment de la cassure qui sépara Madagascar du continent, la Grande Île, déserte et donc terra nullius, n’a pu être au départ peuplée que par des immigrants venus, c’est une évidence, de la mer. Mais des immigrants capables d’affronter avec succès les dangers de la haute mer. Les Africains n’étant pas considérés comme des marins de ce type et l’hypothèse de la venue de Mélanésiens étant aujourd’hui généralement écartée, ce sont des Indonésiens (Austronésiens) qui auraient donc été les premiers arrivants. On a avancé l’idée de navigateurs en pirogues à balancier venus par le sud de l’Asie et de la côte d’Afrique où un premier mélange se serait produit avant d’aborder Madagascar. On a également supposé une arrivée plus tardive d’Indonésiens disposant de plus grands bateaux et qui auraient d’abord lancé des expéditions de pillage, voire de colonisation, sur la côte africaine avant de toucher la Grande Île. La référence aux indications données par les chroniqueurs arabes du Moyen Âge n’est pas décisive, puisque les île Waq-Waq dont ils parlent peuvent désigner selon les spécialistes aussi bien Madagascar que le Mozambique... ou le Japon. À quelle date alors fixer ces «premiers» débarquements? On a supposé fort logiquement, en l’absence de toute trace d’hindouisme dans la culture traditionnelle malgache, qu’ils étaient antérieurs à l’hindouisation de l’Indonésie, c’est-à-dire au IIIe siècle après Jésus-Christ. Mais seules les îles de Bali, Java et Sumatra ont subi l’impact de l’hindouisme. Si donc les Proto-Malgaches sont originaires des îles non hindouisées de l’Indonésie ainsi qu’on l’a prétendu – îles Célèbes (Sulawesi), Bornéo (Kalimantan), îles de la Sonde –, leur départ de l’Austronésie pourrait être beaucoup plus récent, soit aux alentours du Xe siècle de notre ère. On avance aujourd’hui que ces premières circumnavigations indonésiennes, liées déjà au commerce des épices, auraient pu commencer dès le VIIIe ou le IXe siècle, de toute façon plusieurs siècles avant les débuts de la colonisation européenne. L’invasion primitive a été suivie d’autres arrivées et de nombreux voyages de navigateurs venus de l’Orient, comme l’attestent certains chroniqueurs arabes, notamment Edrissi (XIIe s.). Il est vraisemblable que ces voyages ont amené les Merina (prononcer «Merne») qui, à partir de la côte est ou sud-est de l’île, gagneront progressivement les Hautes Terres où ils se fixeront. D’autres groupes immigrés d’origine indonésienne ou africaine qui étaient, eux, islamisés ont aussi abordé la côte est. Ce sont les Rasikajy, les Zafy-Raminia et les Antemoro (prononcer Antémour). Les Rasikajy, établis dans le Nord-Est autour d’Iharana (Vohémar), ont laissé des tombeaux et de curieuses marmites à trois pieds, taillées dans une pierre tendre. Plus au sud, les Zafy-Raminia ont donné naissance à deux «tribus» actuelles, les Antambahoaka autour de Mananjary et les Antanosy vers Fort-Dauphin. Arrivés un peu plus tard, les Antemoro s’installèrent sur la rivière Matitana. Tous ces groupes plus ou moins islamisés, dont les descendants donnent aujourd’hui une certaine spécificité culturelle et politique à la région sud-est de Madagascar, possédaient ou possèdent encore des manuscrits anciens, les Sorabe, écrits en langue malgache mais utilisant les caractères arabes et relatant des traditions, des légendes et des formules magiques. Pour le reste, ni par les coutumes ni par la langue, ces arabisés, d’ailleurs peu nombreux par rapport à l’ensemble des ethnies, ne se différencient notablement des autres Malgaches.

Proto-Malgaches anciens ou arrivés plus récemment ont d’abord habité la côte, vivant de pêche et de tubercules (ignames, taro). Certains, par suite de croissance démographique, de querelles familiales ou d’habitudes nomades, se déplacèrent vers l’intérieur. La culture sur brûlis (le tavy, semblable au ladang indonésien) et le renouvellement par le feu des pâturages pour les bovidés amenèrent la disparition quasi complète de la forêt primaire des plateaux, plus sèche et moins vigoureuse que celle de la côte est. La rizière inondée, technique amenée de l’Indonésie ou de l’Inde du Sud, occupa peu à peu les fonds de vallée, puis les marais et les flancs des montagnes. C’est ainsi du moins que l’on peut se représenter, faute de documents, le peuplement de l’île. Il fut longtemps très lacunaire: un archipel de petits groupes humains dispersés entre d’immenses régions vides. Des fouilles archéologiques récentes apportent une meilleure connaissance de la culture matérielle de ces Proto-Malgaches et de leur genre de vie (consommation de bovidés, usage du fer et petite métallurgie, poterie graphitée, etc.).

Les étrangers: marchands, négriers et pirates

Venus de l’Afrique voisine puis de l’Europe, ces nouveaux arrivants apparaissent effectivement comme des étrangers (race, langue, coutumes, objectifs) par rapport aux immigrants de première souche, les Proto-Malgaches (ou Vazimba?). Des brassages vont s’opérer, mais aussi des échanges et des affrontements. De la côte est d’Afrique et des Comores viennent, peut-être dès le XIIe siècle, les Antalaotra («gens de la mer»), commerçants islamisés parlant un dialecte swahili, bantou mélangé d’arabe. Ils créent sur la côte nord-ouest des établissements dont il reste quelques ruines imposantes de style arabe. Grâce aux boutres – navires massifs à mât incliné et voile latine –, ils naviguent entre la Grande Île, les Comores et le Mozambique, effectuant longtemps l’essentiel des échanges, y compris, à l’occasion, la traite entre les Malgaches devenus sédentaires et le monde extérieur. Dès le XVIe siècle, les tentatives de colonisation européenne, infructueuses jusqu’au XIXe siècle, ouvrent une nouvelle page dans l’histoire malgache. Ces tentatives de conquête et d’implantation se limitent à la côte, l’intérieur de la Grande Île demeurant largement inconnu des Européens jusqu’au début du XIXe siècle. Les Portugais, qui baptiseront île Saint-Laurent l’île découverte par eux en premier au début du XVIe siècle, ne laisseront guère de trace. Ils s’efforcent vainement de ravir le monopole commercial des Antalaotra tandis que leurs missionnaires échouent dans leur entreprise d’évangélisation sur les côtes ouest et sud-est. Ils renoncent à toute installation durable dès le début du XVIIe siècle. On leur doit toutefois une description assez précise des comptoirs établis par eux dans la partie nord-ouest de Madagascar. Les Hollandais, vers la fin du XVIe siècle, envisagent de créer dans la vaste baie d’Antongil, sur la côte est, une escale sur la route de l’île Maurice et de l’Indonésie. Ils y renoncent finalement, chassés probablement par l’insalubrité du site. Mais leur passage laisse au moins une trace culturelle intéressante, la rédaction par Frederik de Houtman du premier dictionnaire malgache-malais. Les Anglais tentent eux aussi, au XVIIe siècle, d’installer des colonies sur la côte sud-ouest, la plus sèche et la plus salubre; mais ils échouent ou sont massacrés. Ce sont en définitive les établissements français qui se révèlent les plus durables au XVIIe siècle après une tentative avortée d’installation dans la baie de Saint-Augustin (côte sud-ouest) en 1602. Durant trente ans (1642-1672), l’occupation effective de Sainte-Luce et de Fort-Dauphin dans l’extrême sud malgache autorisera le roi Louis XIV à proclamer la souveraineté française sur l’île entière appelée à cette date «île Dauphine». Souveraineté toute théorique, certes, mais dont la revendication doit être replacée dans le contexte de la compétition coloniale franco-britannique dans l’océan Indien. Le comptoir commercial français de Fort-Dauphin a été fondé en 1643 par Jacques Pronis, commis de la Compagnie des Indes orientales, sur ordre de Richelieu, en tant que point de ravitaillement et de «rafraîchissement» sur la route des Indes.

Parmi les successeurs de Pronis, Étienne de Flacourt restera le plus prestigieux des gouverneurs de l’établissement français de Fort-Dauphin. On lui doit le premier essai de description globale du pays (Histoire de la Grande Isle de Madagascar). Des crises intestines surgissent, d’autant qu’en 1664 la Compagnie des Indes décide de porter son effort commercial sur l’Inde et de créer un point de peuplement à l’île Bourbon (la Réunion), négligeant du coup le comptoir. L’entente avec la population Antanosy connaît des vicissitudes ainsi qu’en témoigne le massacre de colons français le jour de Noël 1672. Bien accueillis au départ par les Antanosy, les colons français s’en étaient fait progressivement des adversaires en raison de leur comportement esclavagiste. Les derniers colons français quittent Fort-Dauphin en 1674 pour la Réunion, non sans emmener dans leurs bagages quelques esclaves malgaches. Abandonnée pratiquement par le colonisateur, l’île devient au XVIIIe siècle un repaire de flibustiers et de pirates anglais et français qui s’affrontent sur la route des Indes. Les baies de Diégo-Suarez et d’Antongil ainsi que l’île Sainte-Marie – qui est cédée à la France en 1754 à la suite des amours célèbres de la reine Bety et du caporal gascon La Bigorne – sont les principaux centres de trafic. L’éphémère république «internationale» de Libertalia installée par le Français Misson et l’Anglais Thomas Tew, dans la baie de Diégo-Suarez, fut sans doute une (belle) utopie de ces pirates. Elle prit fin en 1730. Cependant, les îles Mascareignes (Bourbon et Maurice), devenues à cette époque des colonies françaises, se peuplant progressivement en s’enrichissant par la culture du café puis par celle de la canne à sucre, vont chercher sur la côte est malgache du riz, des bœufs et des esclaves. Une activité commerciale tous azimuts et au plus offrant se développe par tous les moyens; les comptoirs de Tamatave et de Foulpointe prennent une importance accrue. La France tente même de se rétablir sur cette côte est, une première fois (1768-1771) à Fort-Dauphin avec le comte de Modave, une seconde fois (1774-1786) dans la baie d’Antongil avec le comte de Benyowski, un aventurier extravagant – magyar d’origine, philosophe, négrier à l’occasion comme Modave, qui se proclamera même «empereur de Madagascar» – et qui laissera son nom à une rue de Tananarive jusqu’en 1973. Ces tentatives échouent rapidement. En cette fin de XVIIIe siècle, où va s’amorcer véritablement le royaume de Madagascar, les Européens présents dans l’île (quelque 4 000 Français seraient venus à Madagascar au XVIIe siècle selon H. Deschamps) sont principalement des commerçants que l’on appelle plutôt à l’époque des «traitants». Le Français Nicolas Mayeur est l’un des tout premiers à avoir circulé sur le plateau central et à l’intérieur de l’île. L’Europe commence véritablement à découvrir Madagascar.

Au temps des multiples royaumes

L’histoire des différents groupes ethniques malgaches installés dans l’île reste mal connue dans ses détails. On estime que ces groupes, sédentarisés, ont, à la suite de nombreuses migrations intérieures, occupé définitivement leur «territoire géographique» actuel dès la fin du XVe siècle. À cette date, la carte géopolitique de Madagascar serait pour l’essentiel établie. Ces groupes ethniques, improprement mais couramment appelés «tribus», forment des sociétés politiques qui sont tantôt une juxtaposition de clans souvent rivaux, tantôt des royaumes parfois unis mais souvent divisés. Cette diversité contribue, par les luttes et résistances, à forger ce fond d’unité qui apparaîtra à la fin du XVIIIe siècle.

Des rois guerriers

L’organisation monarchique n’a pas été répandue de façon uniforme, et il est certain que le morcellement géographique et les variations du relief (vastes plaines et semi-déserts, falaises et vallées, collines) ont eu leur influence sur la formation des systèmes politiques de ces communautés. Certains peuples, comme les Tsimihety, n’ont pas connu d’organisation monarchique. Chez d’autres, en particulier dans le sud de l’île, on observe plutôt une mosaïque de chefferies et de petites principautés, les mpanjaka (souverains) ne parvenant pas à unifier des régions très compartimentées. Les royaumes Antanosy du Sud-Est ont sans doute donné naissance aux dynasties des peuples Bara, Antandroy, Mahafaly et Sakalava. Si la royauté a disparu chez les Antandroy, chez les Sakalava, au contraire, le petit royaume né au début du XVIIe siècle près de la basse vallée du fleuve Mangoky s’est étendu, sous le roi Andriandahifotsy, aux plaines de l’ouest (Menabe), puis au nord-ouest (Boina). À leur apogée (XVIIIe s.), les deux royaumes sakalava du Menabe et du Boina contrôlent un tiers de la Grande Île. Le port de Majunga (Mahajanga), fondé en 1745 et peuplé de commerçants antalaotra, assurait les relations avec l’extérieur. Les Sakalava razziaient les populations du plateau. Un de leurs chefs fonda, sur la côte sud-est, le royaume Antaisaka inséré entre des royaumes d’origine islamique. De l’un de ceux-ci, le royaume Antemoro, étaient partis des nobles, les Zafy-Rambo, qui avaient fondé des royaumes dans la forêt du pays des Tanala, puis, franchissant la falaise orientale, avaient instauré les premières principautés en pays Betsileo. Il en résultera au XVIe siècle quatre petits royaumes, mais qui seront minés par les guerres intestines. Sur la côte orientale, les Zana-Malata (mulâtres), descendants des pirates, fondèrent au début du XVIIIe siècle, sous l’impulsion de l’un d’entre eux, Ratsimilaho, la confédération des Betsimisaraka («les nombreux inséparables»). Le royaume par la suite se fractionna. Des raids de pillage associant Betsimisaraka et Sakalava partaient régulièrement, sur de simples pirogues, vers les îles Comores et la côte orientale d’Afrique. D’autres groupes, quittant la plaine, pénétrèrent sur la partie nord du plateau pour donner naissance au peuple libre des Tsimihety («ceux qui ne se coupent pas les cheveux»).

Au centre des Hautes Terres, autour de la vallée marécageuse de la rivière Ikopa, les Merina ont établi leurs villages fortifiés après avoir chassé ou soumis les Vazimba. Cette ethnie, issue probablement des plus récentes vagues d’immigration austronésienne, s’était donné dès le XVIe siècle, avec Ralambo (1575-1610), un début d’organisation politique structurée. L’organisation se renforce avec les successeurs de Ralambo; l’un deux, Andrianjaka, fondera Analamanga qui deviendra, ultérieurement, la capitale Tananarive (Antananarivo, «la ville des mille»). Au XVIIe siècle, le pays – qui a pris le nom d’Imerina («pays qu’on voit de loin sous le jour») et ses habitants celui de Merina – se développe sur tous les plans, économique, démographique et politique. La maîtrise de l’hydraulique agricole (drainage) et la discipline collective permettent de transformer en rizières irriguées la plaine autrefois marécageuse de la Betsimitatatra (environs de Tananarive). Avec deux récoltes de riz par an, les paysans peuvent dégager un surplus qui induit le développement artisanal, puis urbain. C’est une véritable révolution économique qui est en cours dans cette société de type féodal. Mais au XVIIIe siècle le pays, en pleine croissance, est sérieusement affaibli par les divisions entre clans issus de l’ancêtre Ralambo et par les partages successoraux. Il est alors divisé en «quatre royaumes combattants» que des voisins belliqueux cherchent à razzier. Repliés chacun sur leur(s) colline(s), les seigneurs rivaux s’affrontent avec les moyens de l’époque et sur un espace territorial somme toute réduit. C’est là pourtant que se joue le destin politique de Madagascar. À la fin du siècle, le roi Andrianampoinimerina («le seigneur au cœur de l’Imerina») rétablit l’unité politique merina: après de longues guerres, il réussit, lui qui avait usurpé l’un des royaumes, à s’emparer des trois autres. Il transfère sa capitale d’Ambohimanga, restée colline sacrée, à Antananarivo située sur une colline distante de trente kilomètres. Le règne d’Andrianampoinimerina (1787-1810) ouvre l’ère moderne de Madagascar. Par son autorité, son intelligence et un incontestable génie d’organisation, ce nouveau souverain malgache, qui a seul droit au hasina (caractère sacré reconnu par l’offrande symbolique d’une piastre dans les grandes circonstances), crée une cohésion sans faille en utilisant habilement les institutions traditionnelles (le discours ou kabary, l’assemblée de village ou fokonolona) pour asseoir et renforcer son pouvoir. Il poursuit une politique de développement économique, stimulant les vertus du travail et des corvées collectives, encourageant les grands travaux agricoles et les marchés (tsena). Il fait habilement accepter sa suzeraineté en tissant un réseau d’alliances matrimoniales avec les princesses d’autres royaumes; stratégie qui lui permet d’étendre ses possessions vers les voisins de l’est et les royaumes du Betsileo, et d’entretenir de bonnes relations avec les royaumes côtiers. La formule célèbre et peut-être apocryphe qu’on lui prête – «la mer est la limite de ma rizière» – suggère tout un programme de conquête en vue de l’unification politique de l’île. Si Andrianampoinimerina n’est pas à l’origine d’un véritable sentiment national malgache comme on l’a écrit parfois abusivement, son règne n’en constitue pas moins une période charnière dans l’histoire de Madagascar. Très méfiant à l’égard des étrangers au point d’interdire l’accès de sa capitale aux marchands, il toléra le commerce européen pour se procurer des armes à feu en échange d’esclaves. Un type de commerce (poudre, fusils et alcool de traite) qui, tout au long de cette période des multiples royaumes, a souvent été un élément déterminant dans la conquête du pouvoir. Mais, surtout, le règne d’Andrianampoinimerina apparaît comme la première tentative sérieuse, et en partie réussie, d’institutionnalisation du pouvoir à l’échelle d’une société politique complexe, mais qui prend l’allure d’une nation.

Une civilisation originale

À la fin du XVIIIe siècle, la civilisation malgache connaît son plein épanouissement. Les ressources alimentaires sont, avant tout, le riz, mais aussi le manioc et la patate apportés vraisemblablement par les Portugais, ainsi que la banane, le taro et les pois de terre. Le bœuf (zébu) est élevé comme capital et comme animal de sacrifice. La pêche dans les rivières et les rizières (le poisson tilapia) tout comme l’élevage de la volaille constituent un complément d’appoint apprécié. La maison rectangulaire à toit pointu est en bois, plus rarement en argile. On dira, plus tard, qu’à Madagascar le bois est réservé à la maison des vivants et la pierre au tombeau des ancêtres. S’agissant de vêtement, il se compose sur les plateaux d’un pagne et d’une toge (lamba) qui, lorsqu’ils sont lourds et colorés de rouge (lambamena), sont réservés aux chefs et aux défunts. Sur la côte chaude et humide, un fourreau de nattes suffit. Le fer est extrait du sol et travaillé; les ustensiles sont faits de poteries, tant sur les plateaux que sur la côte, ou de cucurbitacées (sur la côte). Le culte des ancêtres donne lieu à des sacrifices d’animaux (bœufs, coqs), à des offrandes (alcools et cérémonie du tromba), qui varient d’une ethnie à l’autre mais appartiennent à un fond culturel commun: la conviction que les ancêtres, quelles que soient les pratiques funéraires des diverses communautés, surveillent, protègent et punissent en cas de désobéissance aux coutumes. On invoque le Créateur (Zanahary), mais ce sont les ancêtres qui jouent un rôle dans la vie quotidienne. Le devin indique les sorts par la géomancie. Un grand nombre d’interdits (fady) rythment la vie du Malgache qui sait que toute transgression retombera sur lui (concepts du tsiny et du tody). Ainsi se construit, sur un fond d’unité très réelle en dépit des variations régionales, une société typiquement malgache, stable et très hiérarchisée, où chacun se sent à sa place par croyance éprouvée et aussi par un certain sens de la fatalité. Cette culture ancestrale malgache restera très vivante malgré les bouleversements ultérieurs de la période coloniale et postcoloniale. Comme l’écrit l’un des meilleurs analystes malgaches contemporains de cette société (le jésuite Rémy Ralibera): «Le courant profond de cette culture malgache ancestrale continue à nous mener plus inconsciemment que consciemment.» La littérature orale est d’une grande richesse: contes et histoires d’animaux, proverbes innombrables à portée didactique, poésie amoureuse subtile (dont les hain-teny seront une forme moderne très élaborée), art du discours (kabary), de l’allusion, de la métaphore... et de l’humour. À l’exception de l’épopée, la littérature orale malgache s’exprime brillamment dans tous les genres. Sans oublier la musique et les danses traditionnelles qui jouent un rôle important dans les cérémonies. Sur les hauts plateaux, les troupes quasi professionnelles de chanteurs-conteurs-acteurs-danseurs, appelés mpilalao, font partie du meilleur folklore malgache. Cette civilisation malgache, qui a intégré les apports asiatiques et africains, apparaît alors dans toute son originalité. Elle saura assimiler à sa façon les apports européens. La «malgachitude» (ou malgachéité?) contemporaine est le résultat de tous ces brassages ethniques et culturels qui font la richesse, et à l’occasion les contradictions internes, de la personnalité malgache.

Les clans, héritiers d’un même ancêtre

La cellule originelle de la société politique malgache est le foko (communauté clanique). Souvent représenté comme une petite démocratie où les problèmes sont débattus dans l’assemblée comprenant tous les hommes du clan jusqu’à obtention du consensus, le foko est en fait une structure hiérarchisée. Un conseil des anciens (chefs de famille) commande au village. Le foko est, à cette époque, d’abord et avant tout une communauté humaine unie par un même ancêtre. Les liens de famille s’établissent en ligne paternelle ou maternelle. Sur ce point, il semble bien qu’il y ait eu beaucoup de diversité, le matriarcat ayant probablement dominé dans certains clans. Le système contemporain du fokonolona, autrefois spécifique à l’Imerina mais aujourd’hui généralisé et construit à partir d’une base territoriale (le Fokontany), est l’héritier du foko originel. À partir de la fin du XVe siècle, les foko qui ont réussi à s’imposer par leur supériorité militaire ou par leur prestige religieux contrôlent des communautés plus larges qu’on appellera, plus tard, «tribus». Et quelques-uns de ces groupes forment, dans certaines régions de l’île, des royaumes. Tout royaume malgache de l’époque est donc un groupement de clans hiérarchisés. Le roi, souvent choisi par les chefs de clans roturiers, est pris dans le clan royal, parmi les fils ou les frères du roi défunt. Les cérémonies d’intronisation lui confèrent le hasina, un droit sacré; il est «dieu visible» et son pouvoir, théoriquement absolu, est limité par les coutumes des ancêtres ainsi que par les avis des chefs de clans. On parle de lui en utilisant, parfois, un vocabulaire spécial. Le roi habite une grande case de bois (lapa) dans une citadelle (rova); il dispose de gardes et d’esclaves, lève et perçoit des impôts, peut exiger la corvée et s’adresse à son peuple par des discours (kabary) qui annoncent ses intentions et confortent sa légitimité. Ses parents peuvent recevoir des fiefs. Le roi dispose aussi de «messagers» (sorte d’ambassadeurs) dotés de grands pouvoirs. Dans cette société typiquement féodale composée – sous un vocabulaire particulier – de rois, de seigneurs et de vassaux, la guerre est fréquente, occasion à la fois de sport et de pillage. Les villages sont fortifiés et, en Imerina, toujours installés en haut des collines à des fins stratégiques évidentes. La sagaie, le javelot, le bouclier constituent les armes habituelles; à partir du XVIIIe siècle s’y ajoutent les fusils d’importation. Ce qui va modifier les rapports de force dans le jeu des affrontements traditionnels. Dans les royaumes, les clans sont hiérarchisés. Ainsi à l’époque de Andrianampoinimerina la stratification sociale chez les Merina est bien établie: les nobles (andriana), les roturiers libres (hova) et les esclaves (andevo ou mainty, noirs), esclaves domestiques de naissance ou esclaves de guerre. Cette hiérarchisation comporte des catégories, voire des sous-catégories internes, bien perçues par les intéressés, qui s’accompagnent notamment d’interdits matrimoniaux. Sous des noms différents, cette hiérarchisation (abusivement qualifiée de système de castes alors qu’elle n’a pas de véritable point commun avec le système des castes de l’Inde) se retrouve avec des nuances ou des variantes dans la plupart des autres ethnies malgaches. Cela étant, la hiérarchisation sociale, très forte, n’entraînait pas nécessairement une différence très grande de condition matérielle. Il reste que l’exercice du pouvoir (fanjakana) était, de par la coutume, l’apanage de la classe (?) noble, andriana en Imerina. Pour certains analystes contemporains, la notion de «andrianité» caractériserait un phénomène sociétal et politique (au moins en Imerina) naturellement élitiste qui serait l’aboutissement d’une tradition pluri-millénaire: un pouvoir qui serait resté d’essence essentiellement religieuse et «d’un droit à l’exercice [du pouvoir] qui tient de la qualité personnelle de l’individu plus que d’un prétendu droit du sang» (J. P. Domenichini, 1987). Une analyse qui, à défaut d’être parfaitement démontrée, a le mérite de remettre à l’ordre du jour l’histoire des stratifications sociales et politiques à Madagascar, en dehors de tout présupposé idéologique.

Le royaume de Madagascar: la monarchie merina

Avec la mort en 1810 du roi-fondateur Andrianampoinimerina s’ouvre le règne de son fils Radama Ier. Intelligent, avide de nouveautés et ambitieux, le jeune monarque – qui a pris Napoléon Ier pour modèle – apparaît avec le recul du temps comme le créateur véritable de l’État malgache moderne.

Une politique d’ouverture et d’expansion

Le règne, bref mais important, de Radama Ier (1810-1828) est un tournant décisif dans l’histoire de Madagascar. L’hégémonie merina s’affirme en même temps que la société s’ouvre au monde occidental. Le titre de «roi de Madagascar» est décerné à Radama par les diplomates étrangers, à commencer par le gouverneur anglais de l’île Maurice, sir Robert Farquhar, qui appuie la monarchie merina afin d’écarter définitivement la présence française sur la côte est et d’éviter toute autre tentative de pénétration. Le traité de Paris de 1814, qui a redistribué les cartes au profit de l’Angleterre, victorieuse de la compétition coloniale franco-britannique dans l’océan Indien, est une référence non négligeable pour Radama Ier qui a des ambitions de conquête, d’unification et de modernisation. En 1817, il conclut avec l’Angleterre un traité par lequel il renonce à la traite des esclaves en contrepartie d’une assistance financière, technique et militaire: livraison d’armes et mise sur pied d’une armée de métier formée par des instructeurs anglais. Cette supériorité technique permet à Radama Ier d’entreprendre, entre 1817 et 1826, des opérations de conquête, de pacification et/ou d’alliances. Il s’ouvre la route de Tamatave dès 1817 et obtient la soumission des mpanjaka de la côte orientale, éliminant ainsi les derniers postes français – à l’exception de l’île Sainte-Marie. Ses officiers occupent ensuite les petits royaumes du Sud et du Sud-Est, et aussi bien l’extrême nord de l’île que l’extrême sud, notamment Fort-Dauphin qui n’est plus tenu que par... cinq Français. Ailleurs, des garnisons merina contrôlent les chefs locaux maintenus en fonction. Mais, malgré plusieurs expéditions (1822-1824) qui déciment ses troupes, Radama Ier ne parvient pas à soumettre définitivement les peuples du Menabe et du Boina. Une partie des Sakalava et des ethnies du Sud demeurent donc «indépendantes». Cette volonté d’hégémonie et d’expansion territoriale, encouragée certes par l’Angleterre, était aussi celle de la monarchie merina, soucieuse de «désenclaver» le royaume par un accès aux deux façades maritimes (côte est et côte ouest) afin d’échapper ainsi à l’asphyxie... et aux razzias des peuples voisins, et intéressée par le développement des relations commerciales avec l’extérieur. À la mort de Radama Ier, les limites extrêmes de la monarchie merina, avec son système de quasi-protectorats, sont pratiquement atteintes et vont se maintenir ainsi jusqu’à la fin du royaume. L’unification politique de l’île a fait un grand pas et l’on peut effectivement parler, désormais, d’un royaume malgache même si la domination merina n’est pas territorialement complète ni politiquement toujours bien acceptée. La brutalité des expéditions de conquête ou de pacification a déjà compromis l’assimilation des populations non merina. Une manière de colonisation (?) qui laissera des traces et des préjugés dans les mentalités. L’aspect novateur du règne de Radama Ier est l’ouverture à la civilisation occidentale, ouverture qui elle aussi laissera des traces profondes dans la formation sociale malgache. Soucieux de modernisation, Radama fit venir des ouvriers européens. Esprit curieux mais prudent, il n’accepta une coopération des Européens que dans des domaines qu’il délimita lui-même: création des toutes premières manufactures à Antananarivo, fixation par écrit de la langue malgache, lui-même ayant choisi, dit-on, les consonnes anglaises et les voyelles françaises pour la transcription phonétique du malgache. C’est sous le règne de Radama Ier que débarquent à Madagascar, en 1818, les premiers missionnaires protestants britanniques de la London Missionary Society dont l’impact se révélera considérable. Dans l’immédiat, ces pasteurs se bornent, si l’on peut dire, à exposer leur mode de vie chrétien sans chercher à faire du prosélytisme et des conversions. Missionnaires-artisans, particulièrement attachés à la rédaction d’un vocabulaire et d’une grammaire de la langue malgache, ils furent en somme les premiers coopérants techniques au sens contemporain de l’expression.

Du repli nationaliste au retour à l’ouverture sur l’Europe

À Radama Ier, qui meurt prématurément en 1828, succède son épouse, Ranavalona Ire, portée au pouvoir par l’oligarchie dominante, les chefs de clans andriana et surtout hova qui avaient soutenu autrefois Andrianampoinimerina. Ranavalona Ire inaugure la série des reines qui constitue l’un des traits caractéristiques du XIXe siècle à Madagascar. Son long règne (1828-1861) offre deux images contradictoires. Ainsi que l’écrit un historien contemporain (Guy Jacob), Ranavalona Ire apparaît comme «une Caligula femelle pour les traitants et les missionnaires qu’elle expulsa et pour la poignée de Malgaches convertis au christianisme qu’elle persécuta», tandis qu’à la fin du XIXe siècle «elle incarne, aux yeux des nationalistes, la fierté malgache face aux vazaha étrangers». Le portrait de cette reine, cruelle et xénophobe selon l’historiographie occidentale, mais proche du peuple malgache dont elle respecta les cultes ancestraux, est aujourd’hui beaucoup plus nuancé. Méfiante à l’égard des étrangers, elle s’opposa autant qu’elle en eut la possibilité aux tentatives d’invasion. Deux coups de main sur Tananarive des flottes française et anglaise échouèrent. Réduisant en esclavage le capitaine d’un navire de commerce français, Ranavalona Ire aurait déclaré: «Puisqu’on vend les Noirs, on peut bien vendre aussi les Blancs.» L’hostilité témoignée aux étrangers par la reine est sans doute moins l’expression d’un paganisme agressif et d’un sentiment xénophobe primaire que la conséquence d’un nationalisme merina – et plus largement malgache – qui se renforcera au cours de ces trente-trois années de règne. Ranavalona Ire veut avant tout préserver les structures de la société malgache liées au culte des ancêtres. D’où sa méfiance naturelle à l’égard des étrangers – Européens de diverses nationalités – qui, marchands ou missionnaires, peuvent (ou veulent) perturber l’ordre social issu de la tradition. Si les missionnaires sont effectivement chassés du royaume, c’est parce qu’ils procèdent à des conversions et ne s’en tiennent pas à leur fonction, très appréciée, d’instruction. Il est vrai que la fin du règne de Ranavalona Ire sera particulièrement violente, avec les premiers martyrs malgaches chrétiens et les multiples victimes accusées, à tort ou à raison, de complot ou de sorcellerie. Mais Ranavalona sait retenir dans le royaume quelques rares étrangers qui lui paraissent œuvrer au bénéfice du pays et du régime. Le principal est le célèbre Jean Laborde (mort en 1878), un Gascon qui, par son génie inventif et grâce à la main-d’œuvre des corvéables, produit à peu près tout ce que la reine souhaite, des étoffes aux canons. Les installations (fours, fonderie) de Mantasoa emploient jusqu’à dix mille ouvriers. À la mort de Ranavalona Ire, en 1861, succède pour une très courte période son fils Radama II. Esprit libéral et très francophile, utopiste, il pratique une politique d’ouverture totale. Les Européens reviennent: les missionnaires, protestants anglais et catholiques français, entrent dans une compétition – évangélique et politique – qui laissera des traces durables dans le système politique malgache. Radama II disparaît en 1863, assassiné dans des intrigues de palais. Sa veuve Rasoherina lui succède, mais la réalité du pouvoir passe rapidement au Premier ministre Rainilaiarivony, un Hova qui sera l’homme fort de la monarchie merina jusqu’à la fin du siècle et qui renforcera sa légitimité en ayant la prudence (politique) d’épouser successivement les trois reines du royaume malgache: Rasoherina (1863-1868), Ranavalona II (1868-1883) et Ranavalona III (1883-1897). Mais ce Premier ministre, d’origine roturière, doit déjouer les intrigues de l’oligarchie noble qui l’accepte mal et il est bientôt confronté aux pressions extérieures, notamment française, consécutives à l’expansion coloniale et à la rivalité des impérialismes anglais et français dans cette partie du monde.

La conversion au protestantisme, en 1869, de la reine Ranavalona II et de son mari, Premier ministre, est un événement à longue portée. Il est à la fois d’ordre culturel – le christianisme devenant la religion à la mode dans la société aristocratique merina (l’Église du Palais au grand dam des traditionalistes fidèles à l’esprit de Ranavalona Ire qui s’étaient déjà opposés à Radama II) – et d’ordre politique: l’Angleterre, par l’intermédiaire notamment de ses évangélistes, soutient le gouvernement du Premier ministre en lui imposant (outre ses cotonnades!) un modèle politique modernisé qui n’était peut-être pas le mieux adapté à la situation. Entre 1860 et 1885, le royaume de Madagascar connaît en effet une marche accélérée vers la «modernisation» (occidentalisation). L’ouverture économique donne libre jeu à l’esprit d’entreprise et aux affaires. La monarchie s’associe à des étrangers dans certaines activités, telles que les sucreries. Le Français Jean-François Lambert – que Ranavalona Ire avait expulsé – revient sous Radama II et laissera son nom à un projet d’envergure (la charte Lambert) visant à établir une compagnie à charte et un traité de commerce franco-malgache conforme aux principes du pacte colonial. Les missionnaires protestants, puis catholiques, développent écoles et hôpitaux, construisent (l’Écossais Cameron fait édifier entre 1868 et 1873 le palais de la reine sur le rova de Antananarivo), conseillent et s’efforcent d’adoucir la condition des esclaves. La modernisation se reflète dans l’adoption d’une législation partiellement écrite et de nouvelles structures administratives. Des codes sont promulgués, le plus célèbre (toujours en vigueur sur certains points) étant celui dit des «305 articles», publié en 1881, et qui sera le dernier pour le royaume de Madagascar. Tout en laissant subsister les coutumes ancestrales, on adoucit le système pénal traditionnel en amendant le type et l’échelle des peines (abolition, par exemple, de la sanglante ordalie du tanguin ou épreuve du poison); on procède aussi à d’importantes innovations: suppression de la polygamie, institution de l’état civil, du divorce. Des réformes qui s’appliquent essentiellement en Imerina et, partiellement, au Betsileo. Le Premier ministre Rainilaiarivony restructure progressivement son gouvernement sur le modèle occidental: création de ministères (huit en 1881) et d’agents locaux déconcentrés (les antily); réorganisation des tribunaux et essai de rénovation des fokonolona. Mais ce renforcement voulu du pouvoir central coexiste avec le maintien, par la force des choses, de structures de type féodal dans les lointaines provinces qui sont des provinces stratégiques: des officiers-marchands, c’est-à-dire non payés, encadrent des garnisons de soldats-colons. Les gouverneurs nommés dans ces provinces sont souvent des prédicants formés à l’Église protestante du Palais devenue source de légitimité du pouvoir, mais ils sont rarement compétents. Le royaume de Madagascar, en cette fin de XIXe siècle, se délite sous l’effet conjugué de la domination économique étrangère, de la bureaucratie parasitaire, du manque de ressources budgétaires. Du coup, la corvée, à laquelle sont en droit soumis tous les roturiers du royaume, s’alourdit et se pervertit au profit d’intérêts particuliers; elle est de plus en plus mal supportée. En quelques décennies, la monarchie merina est donc passée du Moyen Âge (la modeste case en bois du roi Andrianampoinimerina à Ambohimanga) à l’«ère victorienne» (la cour du palais des Reines à Antananarivo). Mais les intrigues permanentes et les coteries au sein de l’oligarchie qui détient le pouvoir, tout comme les difficultés d’administration et de contrôle d’un royaume qui s’étend à cette date sur plus des deux tiers de l’île, ont affaibli sérieusement le système politique. C’est un État miné de l’intérieur qui va affronter une première agression française, prélude à la véritable conquête coloniale.

La conquête de Madagascar par la France (1883-1896)

La conquête par la France s’effectue en deux temps, d’abord dans le cadre d’un protectorat, puis par l’annexion pure et simple; soit plus d’une décennie de débats diplomatiques et politiques, et d’actions militaires. En décembre 1885, la monarchie merina conclut un premier traité de protectorat avec la France qui, depuis mai 1883, pratiquait la politique de la canonnière, occupant les ports de Majunga et de Tamatave. Poussé par les notables de la Réunion relayés par les députés créoles (l’ancienne île Bourbon, qui a changé de nom sous la Révolution de 1789, traverse une crise économique profonde) et par certains milieux catholiques, le gouvernement français s’est lancé dans cette aventure coloniale en invoquant d’incertains «droits historiques». La monarchie merina a plié mais n’est pas vaincue. L’échec politique serait plutôt français. Le traité donne à la France un droit d’occupation à Diégo-Suarez et prévoit l’installation d’un résident français à Tananarive (le premier sera Le Myre de Vilers) mais qui n’aura guère de moyens effectifs d’action. Après bien des équivoques et des contestations (querelle des exequatur à propos des consuls étrangers, problèmes de la succession aux traités conclus antérieurement par l’État malgache avec l’Angleterre et les États-Unis), l’Angleterre reconnaît en 1890 ce prétendu protectorat français (le mot ne figure pas expressément dans le texte du traité). L’aggravation du malaise économique et social dans le royaume va fournir le prétexte à une seconde et décisive intervention militaire française. Le Premier ministre merina ruse et négocie pied à pied avec le résident français, mais il ne peut éviter les conséquences de l’indemnité de guerre imposée par le traité de 1885 – dix millions de francs –, somme colossale pour un modeste royaume déjà épuisé par l’effort de guerre. Pour faire face (c’est-à-dire rembourser un emprunt contracté auprès du Comptoir d’escompte de Paris), le gouvernement malgache doit étendre encore la corvée, offrir d’immenses concessions à des colons ou aventuriers français, ouvrir aux Malgaches l’exploitation jusqu’ici interdite des mines d’or. Le pouvoir monarchique se décompose, les exactions se multiplient, le désordre s’installe. Les fahavalo (bandits, hors-la-loi) sèment la terreur jusqu’au cœur de l’Imerina, menaçant la sécurité des Européens.

En refusant, en octobre 1894, de céder à un ultimatum que le résident français a été chargé de lui présenter, Rainilaiarivony consacre la rupture avec la France. À Paris, la Chambre des députés vote les crédits nécessaires pour une expédition militaire qui, cette fois, doit marcher sur Tananarive. Les troupes débarquent à Majunga le 15 janvier 1895. Il faudra huit mois avant que des éléments avancés parviennent enfin à Tananarive, juste avant la saison des pluies. Pour les soldats français (près de 20 000, dont beaucoup de jeunes recrues), c’est une sorte d’odyssée à rebours sur cette «route» (à tracer!) de 600 kilomètres qui s’élève progressivement du niveau de la mer à presque 1 500 mètres d’altitude en traversant sur les premiers 200 kilomètres, le long du fleuve Betsiboka, une région humide et malsaine. Les «généraux» malgaches hazo et tazo (la forêt et la fièvre) sont les principaux responsables de l’hécatombe: on estime que 40 p. 100 du corps expéditionnaire a disparu sur cette «piste» aujourd’hui encore ponctuée de modestes et émouvants monuments commémoratifs et de tombes – qui font désormais partie du patrimoine national malgache. Une page importante de l’histoire moderne de Madagascar s’est en effet inscrite dans cette expédition de 1895. Une expédition dont la mémoire collective tant en France qu’à Madagascar n’a peut-être pas gardé un souvenir aussi vif (et idéalisé) que pour d’autres batailles coloniales. Les travaux des historiens contemporains malgaches et français (études publiées dans la revue Omaly sy Anio; travaux de Guy Jacob sur la période de 1880 à 1894: Aux origines d’une conquête coloniale) ont le grand mérite, à travers l’exploration systématique des archives, de donner une analyse beaucoup plus exacte de cette période d’affrontement franco-hova. Du côté français, la préparation de l’expédition s’est déroulée dans l’enthousiasme populaire entretenu par une propagande anti-merina systématique, laissant croire que la République partait «pour reconquérir une terre française depuis Louis XIV et pour libérer les populations côtières de la tyrannie merina» (G. Jacob). Mais la conduite de l’expédition sous les ordres du général Duchesne (qui a tout de même laissé son nom, ainsi que le général Voiron et l’amiral Pierre, à des rues ou à des quartiers de Tananarive) s’est révélée lamentable. Ni l’équipement vestimentaire, ni l’armement des soldats (portant fusil, pelle ou pioche et un sac de 35 kg), ni le mode initialement prévu de locomotion – les fameuses «voitures Lefebvre», lourdes charrettes en aluminium tirées par des mulets et dont aucune, semble-t-il (il y en eut 5 000!), ne parvint à Tananarive – n’étaient adaptés au relief et au climat du pays. Il est vrai qu’à l’époque (il y a à peine un siècle!) Madagascar était, pour les états-majors de l’armée française, un pays du bout du monde. Du côté malgache, toutes proportions gardées, l’effet de distance est le même. Les garnisons merina, installées dans de solides forteresses (celle d’Andriba en particulier), se sentent plus ou moins en pays étranger (sakalava). L’isolement, la démoralisation et le paludisme expliquent leur faible combativité devant l’envahisseur français. Il semble bien que les troupes merina aient, sauf exception, systématiquement décroché et déserté, signe de la déliquescence du royaume. Mais, si l’armée royale donnait l’impression de renoncer au combat, d’autres résistances se préparaient ou étaient déjà en action. Une colonne française, dite «légère», atteint finalement la capitale Tananarive le 30 septembre 1895. Aux premiers coups de canon, la reine Ranavalona III fait hisser le drapeau blanc. Elle accepte, cette fois, un second et véritable traité de protectorat (1er oct. 1895). Le vieux Premier ministre Rainilaiarivony est exilé et la reine provisoirement maintenue. L’année suivante, la «prise de possession» est consacrée non sans vifs débats au Parlement français, puis sanctionnée par le vote de la loi d’annexion du 6 août 1896: Madagascar devient une colonie française.

De la domination coloniale à l’indépendance retrouvée (1896-1960)

Sous trois statuts juridiques différents (colonie, territoire d’outre-mer, État autonome), Madagascar aura connu la dépendance coloniale directe durant un peu plus d’un demi-siècle. C’est une période très brève si on la compare avec la situation d’autres anciennes possessions françaises, mais riche en transformations et en contestations.

La période Gallieni

Pendant neuf ans (1896-1905), le général Gallieni, secondé un temps par le colonel Lyautey, imprime sa marque à la colonisation. Il se comporte en véritable proconsul de la République française, attachant définitivement son nom à l’histoire moderne de Madagascar. Jusqu’en 1972, sa statue équestre (retirée alors discrètement par les autorités françaises) ornait le square Gallieni au centre de la capitale malgache. Gallieni, général républicain, a été envoyé avec des troupes de renfort pour une reprise énergique de la situation politique et militaire. Arrivé le 16 septembre 1896, il fait abolir par divers arrêtés la monarchie, la féodalité, l’esclavage (l’arrêté du 26 septembre 1896 a été signé par son prédécesseur, le résident Laroche), et exiler (27 févr. 1897) la reine Ranavalona III, d’abord à la Réunion puis à Alger. Entre-temps, il a fait fusiller deux ministres du gouvernement Rainilaiarivony, membres de l’aristocratie, afin de mater l’oligarchie merina. Premier gouverneur en titre de la colonie malgache (on dit aussi à l’époque madécasse) et investi des pouvoirs civils et militaires, Gallieni pacifie et organise. La «pacification» consiste à rétablir l’ordre dans l’ancien royaume merina et à soumettre définitivement les peuples indépendants du Sud et de l’Ouest qui résistent farouchement de façon dispersée. Dans ces régions, la domination française est pratiquement acquise en 1899; mais des soulèvements éclateront encore en 1904-1905, puis en 1915-1917. Pendant ce temps, en Imerina, Gallieni a dû faire face au mouvement de résistance nationaliste des Menalambo (les Toges rouges), véritables partisans qui se réclament du pouvoir royal et qui profitent de la désagrégation des institutions pour s’attaquer à l’occupant étranger ainsi qu’aux Merina jugés complices. Les insurgés, refoulés dans la forêt, se rendent en juin 1897. La résistance des Menalambo – tout comme les soulèvements sporadiques de 1895 sur la côte est dirigés contre les Merina et, à travers eux, contre la présence française – témoigne d’une authentique prise de conscience nationale, même si le colonisateur français n’y voit que du banditisme (fahavalo) ou, comme on dirait aujourd’hui, du «terrorisme». Il reste que cette pacification, énergique, aura contribué à sa façon à l’unification de la Grande Île. Soumises désormais aux ordres d’un pouvoir étranger, les ethnies malgaches sont, quelle que soit leur diversité, ou même leur animosité, poussées à se retrouver.

Parallèlement, Gallieni organise le pays en appliquant, affirme-t-il, une «politique des races». En réalité, il va s’appuyer surtout sur des lettrés merina pour des raisons compréhensibles d’efficacité administrative. Il crée des cadres indigènes, entreprend un nouveau découpage administratif de l’île, organise un remarquable système d’assistance médicale gratuite avec un corps de médecins et de sages-femmes malgaches. Il instaure, à coté des écoles des missions chrétiennes, une école officielle laïque par laquelle seront formés des instituteurs malgaches. L’enseignement du français devient obligatoire, l’Académie malgache est créée en 1902, dans l’esprit «mission civilisatrice» de la IIIe République. Les premiers grands travaux (chemin de fer Tamatave-Tananarive, routes charretières) sont entrepris sous l’impulsion de Gallieni qui entend mener une politique de développement économique (dans le cadre de l’assimilation douanière qui favorise l’introduction des produits français, mais pas nécessairement le consommateur malgache...). Pour encourager la production agricole aux fins d’exportation, Gallieni reprend de façon plus méthodique le système de l’ancienne corvée qu’il remplace partiellement par une fiscalité directe accablante (la capitation), destinée à obliger les Malgaches à produire plus par eux-mêmes ou à se placer au service des colons qui paieront l’impôt à leur place. Gallieni est convaincu de l’«effet moralisateur» de l’impôt. Et le code de l’indigénat, qui donne des attributions judiciaires aux administrateurs, est un excellent adjuvant. Lorsque Gallieni – esprit républicain, laïque et par-dessus tout militaire – quitte son poste de commandement, les grands axes de la politique coloniale française à Madagascar sont tracés.

La mise en valeur de la colonie (1907-1946)

Les gouverneurs généraux successeurs de Gallieni (il y en aura dix-huit entre 1905-1946, dont certains joueront un rôle important) ont eu surtout en vue la mise en valeur de la Grande Île et son développement économique. Ce qui supposait d’abord une structuration administrative efficace. On hésitera entre le système des «petites provinces» (une vingtaine), puis celui d’un véritable régionalisme (création de six à huit régions dans les années 1930) et, finalement, le système de la «grande province» en 1946 (il y en aura six qui sont les provinces actuelles), subdivisée en circonscriptions administratives hiérarchisées (postes ou sous-préfectures, arrondissements et cantons) dans lesquelles s’exerce la réalité du pouvoir administratif colonial relayé, aux échelons inférieurs, par les cadres indigènes. Le développement des voies de communication, problème majeur dans cette île au relief tourmenté, s’accélère: chemins de fer (Tananarive-Tamatave achevé en 1913, embranchements d’Antsirabe et de Alaotra en 1923, Fianarantsoa-Manakara en 1935); routes dont le réseau passe de 2 000 à 15 000 kilomètres entre 1925 et 1935; aviation (liaison avec la métropole et lignes intérieures développées à partir de 1936); ports fluviaux et maritimes aménagés, ceux de Tamatave et de Diégo-Suarez recevant des équipements modernes. Cette politique de grands travaux caractérise surtout la période de l’entre-deux-guerres qui voit aussi le développement de l’urbanisation et de la démographie: la capitale Tananarive passe de 65 000 habitants en 1914 à 140 000 en 1940; la population malgache, bien que faible, double presque en un demi-siècle (2,5 millions en 1900 et 4 millions en 1940 selon les statistiques les plus fiables); des migrations intérieures spontanées, notamment vers le moyen Ouest sakalava, appelé aussi le «Far West», peuplent (modestement) des régions jusqu’ici vides. L’administration encourage les cultures d’exportation. Aux produits de cueillette – caoutchouc, raphia – et aux produits agricoles traditionnels – riz et manioc – sans oublier les bovidés (Madagascar ravitaille la France en viande frigorifiée et viande de conserve durant la guerre de 1914-1918) vont s’ajouter, surtout après 1920, les cultures dites «riches», celles qui contribuent à l’apport de devises. Ainsi le café, développé notamment sur la côte est, fournira plus de 40 p. 100 du total des exportations. Les autres postes principaux sont la vanille, également sur la côte est; le girofle à Sainte-Marie; le tabac Maryland, introduit avec succès en 1920 dans l’Ouest malgache; le sisal dans le Sud; le pois du Cap et la canne à sucre.

Prospecté sans grand succès au début du siècle, l’or laisse la place au graphite, au mica et à d’autres minéraux et gemmes qualifiés de «semi-précieux». Après la chute enregistrée durant la crise économique mondiale des années 1930, les exportations, aidées par un système de primes, retrouvent un volume important. En 1938, la France en absorbe 77 p. 100 et fournit 74 p. 100 des importations. Mais ce développement économique global, incontestable, s’inscrit dans le cadre d’une «mise en valeur coloniale», conformément aux doctrines impérialistes de l’époque. L’indigène, perçu par l’administration coloniale comme étant naturellement indolent et paresseux, est incité au travail par des procédures contraignantes, notamment fiscales et pénales. Celle du travail forcé, le S.M.O.T.I.G. (service de main-d’œuvre pour les travaux d’intérêt général), appliqué dans tout l’empire colonial français jusqu’en 1946, n’étant qu’un exemple parmi d’autres. Il est vrai que, parallèlement, l’administration s’efforce d’encourager la petite exploitation agricole indigène et un système de véritable salariat. Dès la fin de la Première Guerre mondiale, cette formule, destinée à favoriser les cultures d’exportation, est mise en échec par l’écart grandissant entre l’augmentation continue des prix et le quasi-plafonnement des salaires. Le paysan malgache qui n’en retire pas de profit en vient à se méfier et du travail salarié et des cultures d’exportation. Attitude de repli sur soi, en quasi-autarcie, que l’on retrouvera plus tard encore. Par ailleurs, les très vastes domaines concédés par le pouvoir colonial – la coutume et la législation de la monarchie merina qui accordaient l’usufruit à ceux qui cultivent ayant été écartées – à de grandes «compagnies» ne sont pas nécessairement source d’investissements productifs, les bénéfices immédiats de l’import-export et du commerce de traite (appuyé sur le système du «collectage» effectué par les petits commerçants de brousse chinois, indiens ou créoles) étant plus attirants. Ces grandes sociétés coloniales (Marseillaise, Lyonnaise, Rochefortaise, Emyrne, entre autres) ont, certes, contribué au développement de Madagascar en créant et en gérant des réseaux d’activités agricoles, industrielles et commerciales multiples: rizières du lac Alaotra, sucreries du Nord malgache et de Nosy Bé, exploitations forestières, plantations de coton, commerce de bovidés, etc. Mais la retombée des profits est modeste pour le producteur malgache ainsi que pour le petit colon européen ou réunionnais qui se trouve marginalisé. Les travaux contemporains d’histoire économique démontrent et démontent les mécanismes du processus. Le succès spectaculaire de quelques exportations à cette époque ne saurait masquer la réalité du problème. D’où les clivages enregistrés dans la société coloniale malgache par-delà le statut d’indigénat: problème des rapports entre colons (petits ou grands) et administration coloniale; clivage surtout entre population malgache et pouvoir colonial, qui se situe à la fois sur le plan du statut social et du statut juridique.

La revendication nationaliste malgache

La révolte des Menalambo, révolte «primaire» si l’on peut dire, avait été – à côté d’autres manifestations sporadiques de résistance au pouvoir merina ou français (xénophobie ou nationalisme populaire?) – la première illustration d’une opposition nationale au moment de la conquête coloniale. La longue et difficile «pacification» entreprise par Gallieni et Lyautey apportait un autre témoignage de la résistance à la domination étrangère, sans que l’on puisse distinguer entre ce qui relevait des rivalités ethniques traditionnelles ou de l’opposition entre «païens», fidèles aux cultes des idoles, et «convertis» malgaches au christianisme. Tout cela relève aujourd’hui de l’histoire. Une fois la colonisation française politiquement affirmée, la question nationale malgache se présente en termes nouveaux, en particulier dans la communauté merina autrefois dominante. Pour les notables merina, écartés du pouvoir par l’occupant français et parfois ruinés par l’abolition de l’esclavage en 1896, la stratégie du moment est simple: soit collaborer (officiellement) avec l’autorité coloniale pour se (re)placer socialement et économiquement juste au-dessous des Vazaha (Européens et surtout Français); soit entrer dans une opposition politique plus ou moins discrète mais effective contre ces mêmes Vazaha. L’affaire de la V.V.S. (Vy, Vato, Sakelika, fer-pierre-ramification) affole littéralement l’administration française entre 1913-1915. Cette société secrète, qui s’est développée dans le milieu intellectuel merina protestant (médecins, pasteurs, instituteurs), est liée au mouvement de renouveau culturel qui s’efforce de faire la synthèse entre la culture malgache et la modernisation dans le contexte colonial de l’époque. L’un des inspirateurs écoutés, le pasteur Ravelojaona, montre l’exemple du Japon qui s’est ouvert aux influences occidentales sans perdre son identité. L’inspiration nationaliste (on évoque la «patrie malgache») de la V.V.S. incite le colonisateur à y voir un complot. Les sanctions sont sévères. Les quarante et un condamnés, dont trente-quatre aux travaux forcés, seront finalement amnistiés en 1921. Après la Première Guerre mondiale, la revendication nationaliste s’affirme ouvertement en même temps que commence à se manifester une presse autochtone et que s’implantent, non sans tracasseries administratives, les premiers groupements politiques et syndicaux. La revendication principale est celle de l’assimilation effective, officiellement prônée par la France mais en fait refusée malgré les textes en vigueur (à peine 8 000 Malgaches ont la citoyenneté française en 1938). Il se crée une Ligue pour l’accession des indigènes à la citoyenneté française, voire pour le statut de Madagascar-département français. C’est, avant tout, la revendication de l’égalité des droits pour les Malgaches. L’instituteur betsileo Jean Ralaimongo (1884-1943), engagé volontaire en 1914-1918, devenu défenseur des paysans malgaches du nord de l’île, soutenu par la bourgeoisie commerçante tananarivienne et aussi par certains colons français, est alors la figure de proue du mouvement national malgache. Son journal L’Opinion, fondé en 1927, dénonce les abus de la colonisation. Le point culminant de la contestation est la grande manifestation du 19 mai 1929 à Tananarive, qui se déroule aux cris de «Madagascar aux Malgaches». Le refus de l’assimilation, toujours promise et toujours repoussée, a naturellement conduit au rejet de la domination coloniale. L’idée de l’indépendance commence à gagner les esprits, et plus encore après l’expérience du Front populaire (1936-1938) qui aura apporté à Madagascar comme dans d’autres colonies de grandes et brèves illusions. Cette expérience aura contribué cependant à augmenter les espaces de liberté (expression, presse) et à légaliser le syndicalisme ainsi que les partis politiques autochtones (naissance du Parti communiste malgache) promis à d’autres développements après la guerre de 1939-1945.

De la Seconde Guerre mondiale à l’insurrection de 1947

La Seconde Guerre mondiale et la défaite française vont marquer profondément Madagascar, coupée géographiquement et politiquement de la métropole. L’interruption des communications accroît l’isolement de l’île, île du bout du monde et toujours perçue comme telle dans les années 1940. On dit que Hitler avait envisagé à un certain moment d’y implanter une colonie juive. Quant au président américain F. D. Roosevelt, qui supportait mal le chef de la France libre, il suggérait à son entourage de trouver pour le général de Gaulle un poste éloigné de responsabilité, «par exemple, gouverneur de Madagascar» (sic). Dès le début du conflit, les nationalistes malgaches cessent loyalement leur propagande tandis que Madagascar, d’abord hésitante, se rallie à Vichy. Comme en métropole, les Français s’affrontent durement entre gaullistes et vichystes. Ceux-ci, largement majoritaires, reviennent aux pratiques colonialistes. Mais, en 1942, Churchill fait débarquer des troupes britanniques complétées par des contingents sud-africains qui reprennent le contrôle du territoire. En 1943, l’île est remise aux représentants de la France libre. Mais tous ces événements – le blocus économique, la remise autoritaire au travail et l’institution d’un office du riz – ont désorienté et agité les esprits. La Conférence de Brazzaville (1944), qui annonçait de nouvelles perspectives pour les relations métropole-colonies, suscite de grands espoirs chez les nationalistes malgaches qui remontent au créneau dès 1945. La revendication s’exprime d’abord dans le cadre légal de la représentation malgache aux deux Assemblées constituantes de 1945-1946. Puis elle éclate l’année suivante, à Madagascar, en insurrection populaire. Les «événements de 1947», selon l’expression pudique encore utilisée par la génération politique qui a vécu cette période, ont été pour tous les Malgaches un véritable traumatisme et ont laissé «des souvenirs hallucinants» (H. Deschamps). L’insurrection de 1947-1948 tourne définitivement une page du mouvement national malgache. Elle clôt la période proprement coloniale et ouvre en fait, par la lutte armée pour l’indépendance, la période contemporaine de la République malgache. Il ne faudra, en effet, guère plus d’une décennie (1948-1960) pour que Madagascar retrouve sur le plan international son statut d’État souverain.

2. Une île tropicale vaste et variée

Avec près de 590 000 kilomètres carrés, Madagascar n’apparaît pas seulement comme une des plus grandes îles du monde: véritable petit continent, son territoire s’étend sur plus de 1 500 kilomètres du nord au sud, et 580 de l’ouest à l’est dans sa plus grande largeur. C’est aussi un monde à part, différent de l’Afrique pourtant très proche puisque le canal de Mozambique, mer peu profonde, a moins de 400 kilomètres dans sa partie la plus étroite. Si certains éléments géologiques se retrouvent sur le continent voisin, les mêmes caractères existent également en Inde et en Australie: arguments qui plaident en faveur de l’hypothèse d’un rattachement ancien de Madagascar aux autres continents; toutefois, la séparation est suffisamment ancienne pour que la flore et la faune possèdent des caractères propres.

Pays tropical dans son ensemble, l’île présente cependant une grande variété d’aspects.

Les aspects généraux

En plus de sa dissymétrie est-ouest et des contrastes topographiques entre Hautes Terres centrales et zones basses périphériques, Madagascar se révèle être avant tout un pays au relief très accidenté.

Diversité des formes du relief

Bien que consacrée par l’usage, l’expression de «hauts plateaux» est incorrecte; en effet, hormis quelques secteurs particuliers comme les tampoketsa au nord-ouest d’Antananarivo (anc. Tananarive), les Hautes Terres centrales constituent un ensemble morcelé et très complexe, juxtaposant les formes de relief les plus variées. Charles Robequain écrit à juste titre que les routes s’y déroulent à travers un dédale «de hautes plaines d’alluvions, de collines monotones empâtées de latérite, massifs compacts, grands dômes isolés, crêtes aiguës et dentelées, relief en pains de sucre, buttes au sommet tabulaire...» Il est utile de préciser en outre que plaines et vallées alluviales se terminent généralement en aval par des seuils rocheux que les rivières dévalent de manière impétueuse, comme l’Ikopa à Farahantsana en aval des plaines d’Antananarivo; que parmi les collines s’opposent reliefs granitiques, aux versants encombrés de rochers, et tanety formées dans les gneiss altérés sur de grandes épaisseurs, et fréquemment éventrées de lavaka (profonds ravinements). À une échelle plus grande, les massifs présentent une égale diversité entre reliefs granitiques (Andringitra), quartzitiques (Itremo) ou volcaniques (Ankaratra), sans compter la variété des cônes, coulées ou cratères qu’offrent les régions volcaniques de l’Itasy ou d’Antsirabe-Betafo. En direction de l’est, les Hautes Terres se terminent par un escarpement dont l’Angavo, à la latitude d’Antananarivo, ne constitue qu’un des éléments les plus beaux avec le site grandiose de la Mandraka. Mais, ailleurs, cet escarpement se révèle discontinu, généralement suivi d’une série de chaînons liés à des failles: de telle sorte que le voyageur venant de la côte est a plus l’impression de traverser une zone montagneuse que de franchir un simple abrupt. Seul le secteur Alaotra-Mangoro constitue un palier intermédiaire dans cet ensemble très accidenté. Les régions orientales, en arrière d’une côte rectiligne, présentent également une remarquable diversité. Pas de grande plaine côtière: contrairement à l’impression que donnent les cartes à grande échelle, les rivages de l’océan Indien sont généralement suivis, immédiatement en arrière d’un cordon littoral, de lagunes ou de marais périodiquement inondés, puis par un système confus de basses collines, passant rapidement vers l’intérieur à des collines plus élevées encore, puis à de véritables chaînes montagneuses. Au nord de Mananara, et surtout autour de la presqu’île de Masoala, ces montagnes parviennent même jusqu’à la mer. Ailleurs, de petites plaines littorales peuvent exister, construites par les alluvions des fleuves, mais séparées par des reliefs de basses collines sableuses: c’est à travers ces formations que les hommes ont creusé les «pangalanes» pour relier entre elles les lagunes utilisées par les pirogues des paysans betsimisaraka ou, de Mahanoro à Taomasina (anc. Tamatave), par de petits chalands métalliques. Par opposition aux Hautes Terres et à cet ensemble oriental, l’ouest de Madagascar est un pays de plaines et de plateaux appartenant à deux grands bassins sédimentaires.

En arrière de Mahajanga (anc. Majunga), le Boina présente le relief le plus adouci. Séparé des Hautes Terres par une grande dépression périphérique de Maevatanana à Boriziny (anc. Port-Bergé), cet ensemble n’est compartimenté que par de petits escarpements qui, de loin en loin, correspondent à des cuestas liées aux formations géologiques les plus résistantes. Tel est le cas des calcaires qui, par ailleurs, sont responsables de l’existence de vastes plateaux karstiques comme l’Ankara au nord d’Ambilobe et le Kelifely au sud-ouest de Mahajanga. Centré sur Morondava, le Menabe offre une topographie plus différenciée. Les cuestas, dont les revers correspondent toujours à des plateaux, se terminent vers l’est par des escarpements plus vigoureux: tel est le cas du Bemaraha calcaire dominant la dépression du Betsiriry de part et d’autre de Miandrivazo. En outre, l’accès aux Hautes Terres n’est possible qu’après avoir franchi un nouvel abrupt qui prend toute son ampleur avec le Bongolava à l’est du Betsiriry. Conséquence de ce relief, les fleuves, à l’exemple du Manambolo ou de la Tsiribihina, traversent les plateaux en gorges avant de parvenir au canal de Mozambique. En outre, le littoral du Menabe est une côte à deltas, alors que, plus au nord, le Boina présente de grandes baies dont celle de Bombetoka, devant Mahajanga, n’est qu’un exemple parmi bien d’autres. Plus que dans la topographie, l’originalité du Sud malgache réside dans les particularités climatiques. Le Sud-Ouest se distingue toutefois de l’ensemble occidental sédimentaire par la disparition des reliefs de cuestas au sud de l’Onilahy. Quant au Sud-Est, en partie cristallin ou volcanique, il est nettement séparé des Hautes Terres par l’escarpement du rebord Manambien qui domine de près de 1 000 mètres les surfaces généralement ondulées de l’Androy. Sud-Ouest et Sud-Est s’opposent en outre par un littoral où dominent, dans le premier cas, les côtes basses, tandis que dans le second les côtes rocheuses s’élèvent souvent à une cinquantaine de mètres et plus, en particulier dans le secteur du cap Sainte-Marie où les falaises atteignant 150 mètres constituent des sites d’une sauvage grandeur face à l’immensité de l’océan. Enfin, l’extrême Nord, au-delà du seuil de Mandritsara ou de l’Androna, constitue l’ensemble le plus contrasté de Madagascar. Autour du massif complexe du Tsaratanana, avec le point culminant de l’île (2 876 mètres), se juxtaposent des massifs cristallins comme le Marojezy (réserve naturelle), des bassins alluviaux comme l’Ankaibe ou cuvette d’Andapa, des plateaux calcaires comme celui de l’Ankara aux grottes remarquables, de hautes vallées alluviales comme dans l’Ankaizina, des reliefs volcaniques comme la montagne d’Ambre au sud d’Antsiranana (anc. Diégo-Suarez) ou dans la partie occidentale de Nosy Be (anc. Nossi-Bé), des deltas enfin comme celui du Sambirano ou de la Mahavavy du Nord. À ces multiples aspects du relief continental s’ajoute la variété des fonds sous-marins, caractérisés par l’extension remarquable des récifs coralliens. Madagascar est en effet baignée de mers chaudes; et ce fait, lié à la position géographique de l’île située de part et d’autre du tropique, explique bien des particularités climatiques.

Les différences climatiques

Si Madagascar est caractérisée, sur l’ensemble de son territoire, par des climats tropicaux à saisons nettement tranchées, il convient de rappeler que ceux-ci présentent de nombreuses nuances régionales: leur seul point commun étant, contrairement aux climats tempérés, d’offrir au cours de l’année des différences de températures relativement faibles en comparaison des contrastes saisonniers de la répartition des pluies. Les températures s’expliquent avant tout par la latitude. Seul le Nord, plus proche de l’équateur, connaît deux maximums par an, au début et à la fin de la saison des pluies. Partout ailleurs, le régime thermique est à deux temps: les maximums s’étendant d’octobre à avril (avec des moyennes souvent supérieures à 25 0C), les minimums allant de juin à septembre. Mais, hormis les régions d’altitude, ces minimums sont peu marqués: les températures moyennes restent supérieures à 20 0C et l’amplitude annuelle est toujours faible (moins de 5,5 0C à Taomasina entre les mois de janvier et de juillet). L’allongement de l’île sur plus de 1 500 kilomètres n’est pas suffisant pour provoquer des différences notables entre le Nord et le Sud: entre Antsiranana et Taolagnaro (anc. Fort-Dauphin), la moyenne ne s’abaisse que de 4 0C. L’altitude, par contre, fait baisser les températures moyennes du mois de juillet à 13,3 0C pour Antananarivo et à 12,4 0C pour Antsirabe. En été, les maximums sont également moins élevés. De plus, les amplitudes annuelles sont plus marquées, l’amplitude diurne pouvant par ailleurs être assez forte: en octobre, Antananarivo peut déjà enregistrer des maximums diurnes proches de 23 0C et connaître des chutes de températures supérieures à 10 0C (minimum diurne 12,2 0C). De même, la continentalité peut jouer un rôle non négligeable. Les régions les plus chaudes de Madagascar se trouvent dans les zones de faible altitude situées à l’abri des influences maritimes: ainsi Maevatanana a une température moyenne de 27,4 0C (avec des maximums supérieurs à 39 0C) tandis qu’à Mahajanga les mêmes données sont respectivement de 26,9 0C et de 37,5 0C. Encore faut-il préciser que le canal de Mozambique étant, du fait de sa faible profondeur, une mer chaude à caractère continental, la côte occidentale de Madagascar est, à latitude égale, plus chaude que la côte est. Enfin, il convient de rappeler que la pluviosité ne manque pas d’avoir une influence sur les températures: il peut faire plus chaud à Antananarivo par une belle journée ensoleillée qu’à Taomasina à l’heure d’une grosse averse, lorsque le ciel est couvert et que souffle le vent du large. Selon les régions, la saison chaude et pluvieuse peut durer entre quatre et dix mois. La zone orientale est la plus humide: à telle enseigne que, pendant le mois d’octobre qui correspond à la période la moins arrosée de l’année, Taomasina connaît encore en moyenne quinze jours de pluie, et Maroantsetra reçoit pratiquement autant de précipitations que Toliara (anc. Tuléar) au mois de février (plus de 60 mm).

Ces caractères sont dus à plusieurs facteurs.

Si, durant la saison chaude, Madagascar se trouve sous la menace de cyclones successifs, pendant toute l’année, les régions orientales sont frappées de plein fouet par l’alizé du sud-est. Cet air, issu de l’anticyclone du sud-ouest de l’océan Indien, est fortement chargé d’humidité en toutes saisons et apporte des pluies, surtout sur la côte orientale et les reliefs de l’intérieur. En été, il apparaît en outre très instable et présente une forte tendance à des mouvements ascendants: les pluies sont alors très importantes sur le versant est ainsi que sur les Hautes Terres; par contre, l’alizé perd progressivement son humidité en descendant au-dessus des régions occidentales. Toutefois, vers le nord-ouest, la rencontre avec l’air tropical assimilé à la mousson provoque la formation d’un «front» dit front intertropical responsable de précipitations parfois considérables. De même, au contact des masses d’air formant la dépression permanente du canal de Mozambique, l’alizé provoque des pluies sur l’ouest de l’île, principalement entre décembre et mars. Ainsi, sans entrer davantage dans le détail des mouvements des masses d’air, s’expliquent à la fois la persistance des pluies pendant presque toute l’année sur le versant oriental, leur concentration saisonnière sur le versant occidental, leur rareté et leur irrégularité sur l’extrême Sud.

Les paysages végétaux

Les différences régionales sont suffisantes pour faire de Madagascar un ensemble où se juxtaposent des paysages végétaux très dissemblables. Le versant oriental correspond au domaine de la forêt dense à feuilles persistantes. Le versant occidental, au contraire, correspond au domaine de la forêt claire à feuilles caduques. Le Sud-Ouest, enfin, est caractérisé par une brousse adaptée à la sécheresse. De multiples arguments concourent à prouver que Madagascar a été autrefois largement recouverte de forêts. En réalité, à l’heure actuelle, les forêts primitives ont disparu sur de très grandes surfaces. S’il reste d’importants massifs forestiers sur les versants orientaux, ceux-ci ont néanmoins perdu beaucoup de place au profit de formations secondaires de type savoka constituées par des associations de petits arbres ou arbustes qui vivent à l’état naturel en bordure des ruisseaux et à la lumière. Tel est le cas des savoka à bambou, ou encore des savoka à ravinala – communément appelé arbre du voyageur – dont les graines se conservent très longtemps. Toutefois, les défrichements et les feux répétés conduisent au remplacement de ces savanes par des formations de graminées, qui occupent de grandes surfaces, en particulier sur les collines de la côte sud-est. Sur les Hautes Terres du centre, la déforestation a été plus poussée encore. S’il reste quelques témoins de la forêt primaire en montagne (comme dans l’Ankaratra), les massifs forestiers actuels sont le résultat d’une politique suivie du service des Eaux et Forêts en faveur du reboisement. Outre les pins, les Hautes Terres centrales présentent ainsi des bois d’eucalyptus et des formations subspontanées de mimosas. Mais on n’y trouve pas de savoka: la forêt primitive, plus fragile que dans l’est, paraît avoir été remplacée directement par une lande à bruyères géantes (dont la région de Mantasoa offre un exemple) ou plus généralement par une steppe où dominent les graminées les plus rustiques adaptées au régime des feux: le bozaka. Seule analogie entre les deux zones, les marais, généralement colonisés par des peuplements serrés de cypéracées (parmi lesquelles le zozoro: Cyperus madagascariensis). Les immensités de l’Ouest ne présentent, elles aussi, que les restes d’une forêt claire à feuilles caduques autrefois beaucoup plus étendue. Les formations dégradées ont de ce fait une importance relative, et cela malgré l’importance des peuplements de roseaux (bararata) dans les secteurs de marais, et de palétuviers (mangrove) sur les vasières des estuaires ou du littoral. Les formations secondaires sont ici des savanes, associant un tapis de graminées à un semis d’arbres plus ou moins espacés: parmi ceux-ci, un palmier, le satrana, domine dans le bassin de Mahajanga, pour laisser la place au baobab dans la région de Morondava, et plus au sud, près de Morombe, à des épineux qui annoncent déjà les paysages situés au-delà du Capricorne. Paradoxalement, cette végétation des régions les plus défavorisées au point de vue de l’humidité est la mieux conservée. Dans tout le Sud, la rareté et l’irrégularité des pluies limitent les défrichements en vue d’une extension des cultures. La prédominance des plantes grasses (dont beaucoup d’endémiques, comme l’extraordinaire fantsiholitra) et surtout l’absence de tapis de graminées ne favorisent pas la pénétration des feux de brousse: de sorte que la forêt claire de l’Ouest a beaucoup plus souffert de l’action directe ou indirecte de populations pourtant moins denses que celles de l’Androy ou du pays Mahafaly.

Les hommes et leur répartition

Les modalités de la mise en place des populations de l’île font encore l’objet de recherches minutieuses. Aux migrations malayo-polynésiennes qui ont pu s’effectuer au cours des siècles entourant le début de l’ère chrétienne se sont ajoutés des apports africains à travers l’étroit canal de Mozambique, arabes (dont les Antaimoro du Sud-Est reçurent l’écriture) et européens. Mais, pendant une longue période, les groupes d’immigrants transplantés dans un monde vaste et divers ont fini par acquérir des originalités qui les font se distinguer les uns des autres; ainsi se seraient formés les différents groupes ethniques, longtemps improprement appelés autrefois races ou tribus. La population actuelle, en accroissement rapide, avoisinait 12 millions d’habitants en 1990. Elle demeure néanmoins très inégalement répartie, l’axe des Hautes Terres et la côte est rassemblant les plus fortes densités tandis que l’Ouest, où les densités inférieures à 5 habitants au kilomètre carré sont fréquentes, reste vide en dehors de quelques secteurs privilégiés. Ces contrastes dans la géographie humaine, alliés à la diversité du milieu naturel, contribuent à faire de Madagascar un pays juxtaposant des régions très dissemblables, mais économiquement complémentaires.

Les contrastes régionaux

Du fait de cette diversité, le découpage régional de Madagascar présente une grande complexité.

Les Hautes Terres centrales

Limitées par le seuil de l’Androna au nord et celui de Ranotsara au sud, par les escarpements de l’Angavo à l’est et du Bongolava à l’ouest, les Hautes Terres centrales offrent une grande diversité de formes de relief. Au point de vue humain, elles se partagent entre Imerina, centrée sur Antananarivo au nord, et Betsileo au sud, le Vakinankaratra formant un secteur intermédiaire. Malgré cette diversité, l’ensemble présente une grande originalité. Pays de montagnes, il bénéficie grâce à l’altitude d’un climat tempéré en comparaison des bas pays environnants. Il correspond à un axe de population dense, essentiellement orientée vers la production rizicole. Si la place du riz dans l’espace cultivé varie au point d’être exclusive dans les plaines d’Antananarivo, et limitée aux fonds de vallons et à la partie basse des versants aménagés en terrasses dans le Betsileo, il s’agit partout d’une riziculture très élaborée, avec un contrôle minutieux de l’eau. Cette production est complétée par des cultures sèches traditionnelles (maïs, manioc, patate, etc.) auxquelles s’ajoutent légumes et fruits de la zone tempérée. Les surfaces non cultivées ou en jachère sont laissées en pâture extensive aux troupeaux. Mais l’élevage des Hautes Terres n’est pas seulement juxtaposé à l’agriculture: en beaucoup d’endroits, il s’y associe, dans la mesure où les zébus sont utilisés pour le travail des rizières et le fumier de parc recueilli comme engrais. Bien que participant très peu aux courants commerciaux d’exportation, cette agriculture élaborée a servi de support au développement d’une vie urbaine relativement importante. Les villes rassemblent en effet près d’un million d’habitants, soit plus du quart de la population totale. Antananarivo, capitale politique, administrative, intellectuelle et commerciale, possède en outre de nombreuses activités industrielles. En cours d’expansion rapide, l’agglomération comptait plus de 800 000 habitants en 1990, et s’étend de plus en plus dans les plaines ceinturant le rocher qui porte la ville haute. Reliée à la capitale par route goudronnée et par chemins de fer, Antsirabe (dont l’agglomération dépasse 80 000 habitants) n’est plus seulement une ville thermale, mais également un centre industriel grâce à son usine cotonnière, sa brasserie et ses manufactures de tabac et cigarettes. Plus au sud, Ambositra (plus de 20 000 habitants) et surtout Fianarantsoa (124 500) sont les principaux centres régionaux du Betsileo, situés chacun dans un petit bassin essentiellement rizicole et densément peuplé. Contrastant avec cet axe où l’activité économique est intense, les marges occidentales, encore vides, constituent des zones d’élevage extensif: seuls quelques secteurs d’immigration comme la Sakay à l’ouest d’Antananarivo constituent des exemples de mise en valeur intensive. De même, les escarpements forestiers qui limitent les Hautes Terres à l’est ne sont exploités que par des populations peu denses, pour lesquelles les cultures sur tavy (brûlis de forêt) restent la principale occupation avec le travail du bois. Seule la région du lac Alaotra, située sur un palier intermédiaire entre les Hautes Terres et la côte est, a fait l’objet de grands aménagements hydrauliques et constitue de ce fait un véritable grenier à riz.

L’Ouest

L’Ouest, où le relief est caractérisé par l’extension des plaines et des bas plateaux, et le climat chaud par une sécheresse saisonnière accusée, est beaucoup moins peuplé. Malgré l’immigration merina ou betsileo, les aménagements hydrauliques sont encore peu étendus, et les secteurs cultivés ne forment encore que des taches diffuses au milieu des savanes livrées par les Sakalava à un élevage bovin très extensif. Grâce à l’étendue des deltas et des terres alluviales périodiquement inondées (baiboho) encore inexploitées, l’ouest de Madagascar est incontestablement une région d’avenir où la riziculture (développée par les Betsileo et les Antaisaka immigrés) et les plantations modernes (tabac, coton) sont susceptibles de grands développements. Dans la partie septentrionale, la vie régionale s’organise autour d’Antsohihy, desservie par les boutres et caboteurs remontant l’estuaire de la Loza, et surtout autour de Mahajanga (122 000 habitants en 1990), deuxième port de Madagascar, possédant quelques industries alimentaires ou textiles (coton, paka) mais surtout centre de commerce et chef-lieu d’une province très étendue. Analalava, malgré un site admirable, ne conserve aujourd’hui qu’un rôle économique limité. Ancienne capitale du royaume sakalava, Marovoay retient l’attention par la station agricole de Tsararano, véritable laboratoire de la riziculture malgache, et l’aménagement de 30 000 hectares de rizières dans la plaine environnante. À l’ouest de la baie de Bombetoka, le delta de la Mahavavy du Sud a également fait l’objet de travaux récents de mise en valeur: plus de 2 000 hectares consacrés à la canne en font l’une des quatre grandes régions productrices de sucre de Madagascar. Dans la partie méridionale, la vie économique et urbaine se concentre à Maintirano, Morombe et surtout Morondava (plus de 20 000 habitants), villes malheureusement difficiles d’accès par la route, surtout en saison des pluies. À l’exception de Mahabo, reliée par route goudronnée à Morondava, les centres de l’intérieur sont plus isolés encore. Pourtant, les sujets d’intérêt économique sont nombreux: Miandrivazo est le centre des plantations de tabac et de coton du Betsiriry, Manja celui d’une zone productrice d’arachides, Ankazoabo celui d’un secteur cotonnier. Mais les réalisations les plus spectaculaires demeurent, malgré les dégâts infligés par les inondations périodiques, les aménagements de la basse vallée du Mangoky dont la traditionnelle production de pois du Cap (exportée par le port de Morombe) est aujourd’hui dépassée par le riz et le coton, produits sur les milliers d’hectares irrigués par la Samangoky en aval de Tanandava. Sur la côte proprement dite, les villages Vezo se consacrent essentiellement à la pêche, mais sont généralement très mal desservis par les moyens de communications modernes.

Paradoxalement, malgré une côte beaucoup moins hospitalière, la façade indienne apparaît plus ouverte.

La façade orientale

Zone forestière à l’origine, la côte est, chaude et humide, est devenue une zone de plantations et de champs vivriers, alimentant une population nombreuse mais inégalement répartie. Le peuplement se concentre en effet dans les principales vallées et, en bordure du littoral, à proximité des anciens marais aménagés en rizières. Ainsi, même en dehors des tavy, le riz occupe encore une place appréciable. Mais les cultures d’exportation sont ici essentielles: girofle au nord de Fenoarivo (anc. Fénérive) et à Nosy Boraha (anc. Sainte-Marie), bananes près de Taomasina, canne à sucre autour d’Ampasimanolotra (anc. Brickaville) et surtout café, cultivé partout, parfois en association avec le poivre. Tout le secteur situé au nord du bas Mangoro, en contrebas des régions occupées par les Sihanaka et les Bezanozano, correspond au pays betsimisaraka. Le secteur méridional au contraire est beaucoup plus varié au point de vue ethnique: aux Tanala des reliefs forestiers de l’intérieur se succèdent le long de la côte Antambahoaka, Antaimoro, Antaifasy et Antaisaka, respectivement installés autour de Mananjary, Vohipeno, Farafangana et Vangaindrano. Le long de cette bande étirée sur plus de 1 000 kilomètres du nord au sud, il n’y a pas de centre unique, mais une série de petites villes ayant conservé une activité portuaire. Celle-ci est cependant en voie de concentration: déjà le port de Farafangana a été fermé et le trafic se concentre à Mananjary reliée par route bitumée aux Hautes Terres, à Manakara (terminus du chemin de fer de Fianarantsoa à la côte est) et surtout Taomasina (près de 100 000 habitants), port d’Antananarivo et centre industriel (raffinerie de pétrole, travail de la tôle), dont le trafic dépasse un million de tonnes par an.

L’extrême Nord

Malgré un site incomparable, Antsiranana ne possède qu’un trafic portuaire dix fois moins important.

L’extrême Nord de Madagascar, de position excentrique, est encore mal relié au reste de l’île. Il s’agit pourtant d’un ensemble extrêmement varié, juxtaposant des aptitudes souvent complémentaires. La vie rurale traditionnelle, adaptée aux conditions naturelles, présente de ce fait plusieurs aspects. Dans le secteur nord-est, plus sec, l’élevage domine, secondé par des cultures de maïs et d’arachide. Il en est un peu de même dans les régions montagneuses de l’intérieur où l’altitude, le relief, l’eau, et les problèmes de desserte limitent l’extension des cultures: l’Ankaizina, malgré l’étendue de ses hautes plaines alluviales, est surtout une région d’élevage rassemblant plus de 200 000 zébus. Les pays plus humides sont au contraire des secteurs où les cultures prennent une plus grande importance. Si les domaines forestiers sont encore caractérisés par la pratique de l’agriculture itinérante sur brûlis (tavy), la riziculture prend une place importante chez les Tsimihety. L’économie rurale est par ailleurs également basée sur les cultures de plantation. L’Est associe principalement la vanille (précocement introduite par des planteurs réunionnais au XIXe siècle) et le café, essentiellement produit dans le cadre de petites exploitations familiales. À l’ouest, au contraire, de grands domaines s’étendent à Nosy Be (canne à sucre, café, poivre, plantes à parfum) et surtout dans le delta de la Mahavavy du Nord où la Société sucrière de la Mahavavy (Sosumav, aujourd’hui nationalisée) a mis en valeur plus de 10 000 hectares et traité annuellement près de 500 000 tonnes de cannes. Le Sambirano, voisin autrefois producteur de sucre, concentre actuellement la production malgache de cacao, remarquable non par sa quantité mais par sa qualité. En face du Sambirano, Nosy Be développe les activités liées au tourisme. Au nord de cet ensemble de pays aux aptitudes diverses, Antsiranana (plus de 50 000 habitants) est une capitale régionale vivant plus de ses fonctions administratives et militaires que du commerce et de l’industrie. Toutefois, son arsenal constitue la plus importante entreprise de Madagascar au point de vue du nombre d’ouvriers (plus de 2 000).

Le Sud

À l’autre extrémité de l’île, au sud du Capricorne, les paysages n’ont rien de commun avec ceux des autres régions. Non seulement le relief s’y organise de façon différente, mais la végétation présente une remarquable originalité. Peu de rizières dans ce pays sec: les principales cultures de l’Androy ou du pays mahafaly sont le maïs et le sorgho. À ces cultures se juxtapose un élevage très extensif de bovins dont les bucranes ornent les tombeaux surmontés d’aloalo (poteau funéraire en bois sculpté) et de chèvres mohair (dont la laine, utilisée pour la fabrication de tapis, fait le renom de la petite ville d’Ampanihy). De ce fait, le paysage rural s’organise de manière originale avec ses champs enclos à l’intérieur de haies d’épineux, d’agaves ou de raketa (cactus commun du sud de Madagascar) tandis que les villages se concentrent à proximité des points d’eau. Seule forme importante d’économie moderne: les plantations de sisal de la basse vallée du Mandrare. En plus de la ville d’Amboasary, centre économique et administratif de cette petite région, la production de fibres anime Tolanaro (24 000 habitants), ancien établissement français du XVIIe siècle. Mais déjà Tolanaro ne fait plus franchement partie du Sud: au passage des chaînes anosyiennes, le climat se modifie de façon brutale et l’aridité fait place aux influences océaniques. Les multiples plages des environs sont toutes plus belles les unes que les autres, et les activités industrielles sont le clivage du mica, la filature et le tissage du sisal. Toliara (58 000 habitants) demeure la capitale incontestée du Sud. Principale ville de ce vaste ensemble, elle étend très loin son influence commerciale, mais son port, reflétant l’économie de l’arrière-pays, n’a encore qu’un trafic limité (65 000 tonnes). Ainsi Madagascar apparaît comme un pays rempli de contrastes. Si l’intérêt économique général veut que certains écarts entre les différentes régions soient rapidement comblés, en particulier en ce qui concerne les niveaux de vie, il apparaît aussi que la diversité des sites et des climats constitue un remarquable potentiel touristique jusqu’ici encore peu exploité.

3. La République malgache

Trois Républiques se sont succédé à Madagascar depuis l’indépendance, entrecoupées par la fracture historique de 1972-1975 puis par le difficile régime de transition démocratique de 1990-1992. Ces régimes ne se comprennent bien que par référence à l’impact de la présence française dans la Grande Île, surtout à partir de 1945.

Préludes à l’indépendance

La proclamation de l’indépendance, le 26 juin 1960, met fin juridiquement à quatre-vingts années de domination française exercée sous des formes diverses (protectorat, colonie, territoire d’outre-mer, État autonome). Cette présence française a laissé des traces profondes dans l’organisation administrative et économique ainsi que dans les mentalités, tant par le mouvement d’acculturation qu’elle a engendré que par les phénomènes de rejet pacifique ou violent qu’elle a suscités. Les années 1945-1960, grosses d’innovations et de tensions, portent en germe les contradictions futures. L’insurrection de 1947 sonne l’ouverture de la période politique moderne de Madagascar, même si (ou parce que) la «rébellion» est définitivement écrasée en décembre 1948 après vingt mois de sanglants affrontements. L’insurrection avait éclaté dans la nuit du 29 au 30 mars 1947. Elle s’est développée surtout dans la région orientale alors qu’elle avait été programmée, semble-t-il, pour enflammer l’île entière. Complot de sociétés secrètes merina (certaines s’étaient réjouies de la victoire du IIIe Reich nazi sur la France) ou vaste jacquerie provoquée par les contraintes coloniales et les ruptures de la Seconde Guerre mondiale? Sans doute l’un et l’autre. L’affaire n’est toujours pas complètement éclaircie; elle reste tabou jusqu’à ce jour dans les familles malgaches concernées par les «événements»; elle a été occultée par le pouvoir colonial qui a manipulé l’information (le «J’accuse» du journaliste R. Stéphane dans le journal Combat des 3-4 août 1947 n’a jamais été démenti). Les conséquences vont peser lourd dans les rapports avec la métropole et dans les rapports inter-ethniques malgaches en raison des suspicions réciproques, des atrocités commises de part et d’autre, et de la violence de la répression. Du côté des forces de l’«ordre», il y aurait eu, selon les chiffres officiels, environ deux mille soldats tués (dont 1 646 malgaches); du côté des «rebelles», le nombre des victimes (morts au combat et surtout en forêt par misère physiologique) le plus fréquemment avancé est environ 80 000 (les estimations de l’époque oscillant entre 11 000 et 100 000). Quel que soit le compte réel, l’opinion métropolitaine ne saura presque rien de l’étendue de ce désastre humain. Le gouvernement – qui aurait été prévenu de l’imminence de la révolte armée – en fait immédiatement porter la responsabilité au parti M.D.R.M. (Mouvement démocratique de la rénovation malgache), créé en 1946. Les parlementaires leaders du Mouvement sont, avec d’autres accusés, condamnés par la cour criminelle de Tananarive, en octobre 1948, au cours d’un procès resté célèbre dans les annales malgaches en raison des conditions de régularité très douteuses de son déroulement, ainsi que l’écrira l’un des avocats métropolitains (P. Stibbe, Justice pour les Malgaches, Paris, 1954). Des condamnations à mort sont prononcées, commuées ensuite en déportation puis en exil en métropole. Parmi ces condamnés, il y a trois grandes figures du nationalisme malgache qui ne reviendront à Madagascar qu’en 1960... dans l’avion de Tsiranana. Ce sont: Joseph Ravoahangy, médecin et ancien lieutenant de Ralaimongo, puis ministre sous la Ire République (et décoré de la Légion d’honneur par la France en 1969); Joseph Raseta, nationaliste et opposant à tout crin qui se retrouvera bien plus tard adversaire malheureux de Tsiranana à l’élection présidentielle; enfin Jacques Rabemananjara, ministre sous la Ire République et surtout poète (il a obtenu en 1988 le grand prix de littérature de la francophonie) et qui se retrouve en exil (volontaire) en France depuis 1972. Ainsi étaient très sévèrement condamnés par la France, sans preuve précise, les tout premiers élus malgaches aux Assemblées représentatives (constituante et législative) de la IVe République qui venait pourtant de lancer, avec la création de l’Union française, une idée neuve.

Contre le M.D.R.M., à dominante merina, l’administration coloniale française s’efforce de favoriser désormais l’épanouissement d’un autre mouvement politique, le Padesm (Parti des déshérités de Madagascar) à clientèle principalement côtière et catholique. Ainsi resurgit, renouvelé, le clivage politique entre protestants et catholiques qui existait déjà sous la monarchie merina. La balance penche cette fois en faveur des côtiers avec, chez certains, un esprit de revanche. En 1968, le président Tsiranana déclarait: «Si les côtiers refusaient l’indépendance en 1947 (revendiquée par le M.D.R.M.), c’est qu’ils n’étaient pas prêts, qu’ils n’avaient pas assez de cadres.» En 1958, ils se sentent prêts et votent massivement en faveur de la Communauté instaurée par la Constitution de la Ve République française, la quasi-totalité du «non» (30 p. 100 des suffrages exprimés) émanant des hauts plateaux, populations merina et betsileo. L’ancien Padesm, transformé à partir de 1956 en Parti social démocrate (P.S.D.) sous la houlette de Philibert Tsiranana – et très proche de la S.F.I.O. française – s’apprête à «cueillir en douceur» (Tsiranana) l’indépendance politique, qui sera consacrée et consolidée par les accords de coopération franco-malgaches d’avril-juin 1960. Pendant douze ans, la Ire République s’efforcera, grâce à une stabilité institutionnelle qui pouvait surprendre par comparaison avec les convulsions politiques qui à la même époque secouaient l’Afrique francophone, de matérialiser un projet de société malgache modernisée s’inscrivant dans l’héritage idéologique et le modèle économique de l’ancienne métropole. Née difficilement en 1975, la IIe République, elle, avait un projet de société tout à fait différent ainsi que l’indique son nom officiel: République démocratique de Madagascar (R.D.M.). Pour ses fondateurs, la R.D.M. était l’acte de naissance de la véritable indépendance, l’indépendance acquise (et non conquise) en 1960 n’ayant été qu’une indépendance formelle, octroyée dans un système néo-colonial bien organisé. Au socialisme pragmatique de Tsiranana – qui, par l’aide internationale et surtout française, réalise des progrès considérables dans le domaine des infrastructures et de l’industrialisation (pratiquement inexistante en 1960) mais laisse l’essentiel des bénéfices aux Français et étrangers associés à l’État malgache –, la R.D.M. va opposer un socialisme révolutionnaire pur et dur: «Madagascar ne s’agenouille pas», proclame le Livre rouge. Mais l’échec de la R.D.M. provoquera en 1992 un revirement politique presque complet dans le cadre d’une toute nouvelle IIIe République.

La Ire République malgache (1960-1972)

Animée par la débonnaire mais forte personnalité de Philibert Tsiranana (décédé en avril 1978), la Ire République a pu donner l’impression, à l’extérieur, d’un conformisme et d’un alignement inconditionnel sur la France. L’appréciation mériterait d’être plus nuancée d’autant que les Malgaches redécouvrent aujourd’hui certaines vertus d’un système politique qui n’avait pas que des défauts. La Constitution du 29 avril 1959, révisée en 1960 puis en juin 1962 (en matière d’élection du chef de l’État au suffrage universel direct, Madagascar devance ainsi la France), instaurait un régime en partie original mais très inspiré de la Ve République française. Le chef de l’État est en même temps chef du gouvernement; élu pour sept ans au suffrage universel direct, il est rééligible indéfiniment. Le président détient la fonction exécutive, le vice-président du gouvernement n’ayant qu’un rôle très effacé. Élu en mai 1959 à la tête de l’État par un collège parlementaire unanime, Tsiranana sera reconduit en 1965 et en janvier 1972 par le peuple à une écrasante majorité. Le Parlement est bicaméral, situation exceptionnelle à l’époque en Afrique francophone. L’Assemblée nationale (107 députés élus pour cinq ans) a priorité sur le Sénat (54 membres), partiellement nommé, qui joue aussi le rôle de Conseil économique et social et qui reflète par sa composition (six sénateurs élus par province) des particularismes locaux vivaces et une orientation fédéraliste embryonnaire. Le contrôle de la constitutionnalité des lois, demeuré très formel, est confié à un Conseil supérieur des institutions imité du Conseil constitutionnel français. Bien que d’inspiration parlementaire (le mécanisme de la motion de censure étant un bon exemple de parlementarisme rationalisé), le régime relevait plutôt d’un présidentialisme modéré malgré des accès d’autoritarisme dans sa dernière phase. La stabilité institutionnelle donnait l’image idéalisée d’un pays calme et heureux. Cela a changé. Sur le plan de l’organisation administrative, la République s’est rapidement alignée (réformes de 1962) sur le modèle français de déconcentration et de décentralisation. Depuis 1946, les six provinces (Tananarive, Tamatave, Diégo-Suarez, Majunga, Fianarantsoa et Tuléar) sont administrées, à l’instar d’un département français, par un Conseil général élu et par un chef de province nommé par le pouvoir central. En 1962, elles sont subdivisées en préfectures (18 au total), elles-mêmes découpées en sous-préfectures (ex-districts), arrondissements et cantons, toutes circonscriptions créées au cours de la colonisation. La préfecture devient la cellule privilégiée de l’action administrative et économique. Parallèlement est systématisée l’organisation municipale à travers un réseau de communes urbaines et de communes rurales étendu à l’ensemble du pays alors que la puissance coloniale s’était montrée en la matière très hésitante, n’accordant le statut communal de plein exercice, entre 1897 et 1956, qu’à quelques centres urbains. L’existence de ces 750 communes rurales posait d’ailleurs des problèmes d’articulation avec la communauté traditionnelle du fokonolona que le pouvoir entendait également revivifier après la sclérose enregistrée sous la période coloniale. Cette armature administrative moderne exigeait la formation d’une fonction publique opérationnelle dont l’École nationale d’administration malgache (E.N.A.M.) et l’Université étaient les pourvoyeurs attitrés. Tout ce système administratif sera complètement remis en cause après 1972.

La politique économique s’inspirait d’un néo-libéralisme nuancé associant l’encouragement de l’initiative privée, nationale et étrangère, le souci d’un développement de type communautaire (coopératives, animation rurale) et la nécessité de l’interventionnisme étatique dans les secteurs clefs ou pilotes (sociétés d’économie mixte et d’aménagement du territoire, fermes d’État, syndicats économiques préfectoraux, etc.). Toute une gamme diversifiée de techniques, y compris celle des «travaux au ras du sol» demandés en priorité au Fokonolona, visait donc à provoquer le décollage économique d’un vaste pays sous-développé et peu peuplé, essentiellement rural et potentiellement riche en ressources agricoles malgré des handicaps certains (état des sols, moyens de communication, problème de l’eau et de l’énergie), et très attaché à la petite propriété privée (surface moyenne de un hectare). Même compte tenu des vastes concessions détenues par des sociétés françaises d’import-export et des concessions privées de planteurs européens (café, tabac), Madagascar n’était pas un pays de latifundiaires. Les efforts entrepris, trop dispersés peut-être malgré l’aide publique apportée notamment par le F.A.C. (Fonds d’aide et de coopération français) et par le F.E.D. (Fonds européen de développement), n’ont pas réussi à hausser sensiblement le revenu national moyen, toujours très inégalement réparti selon les catégories sociales et les régions. Le premier plan quinquennal (1964-1969) n’a pas atteint ses objectifs; le second plan, beaucoup plus ambitieux et axé en priorité sur l’agriculture, était toujours à l’étude en 1970. Du moins admet-on volontiers aujourd’hui que le pays, malgré les périodes de soudure parfois difficiles, ne connaissait ni les ruptures prolongées d’approvisionnement ni la pénurie. Hostile à la socialisation des moyens de production («La nationalisation c’est le vol», disait Tsiranana), le régime l’était également à toute forme, même larvée, de communisme. La politique étrangère privilégie alors les rapports diplomatiques et commerciaux avec l’Occident (États-Unis, Israël, Taiwan, pays de la Communauté économique européenne) et par-dessus tout avec la France quasi omniprésente par la diplomatie, l’assistance technique et les équipes de conseillers en place dans les instances dirigeantes. Madagascar prône la modération et le réalisme dans les instances internationales (O.N.U., O.U.A., O.C.A.M.). L’ouverture d’un dialogue avec l’Afrique du Sud est présentée comme un moyen supplémentaire de développement et, accessoirement, comme un exemple de leçon démocratique adressée aux dirigeants de Pretoria. Du côté des pays de l’Est, les premiers et modestes accords de commerce conclus à partir de 1970 sont restés sans portée. Tout cela pouvait donner l’image d’une inféodation complète à l’Ouest et de l’acceptation volontaire d’un néo-colonialisme envahissant alors que le pragmatisme calculateur de Tsiranana, par-delà ses convictions pro-occidentales bien établies, était de tirer le maximum de profit pour son pays soumis à des contraintes objectives qu’il estimait insurmontables par d’autres voies. Sur ce point aussi le renversement sera total après 1972.

La vie politique intérieure est restée diversifiée en dépit des apparences, la Constitution de 1959 garantissant le pluralisme et les grands principes de la démocratie libérale. À une première période de multipartisme atomisé succède, depuis 1963, une sorte de bipolarisation (très inégale) qui oppose le parti gouvernemental P.S.D. fondé par Tsiranana au parti de l’indépendance A.K.F.M. qui prône le «socialisme scientifique» et l’amitié prioritaire avec l’U.R.S.S. Né en 1958 de la fusion de plusieurs partis de gauche, hostile à l’idée de Communauté, l’A.K.F.M. est alors solidement implanté, sous la présidence du pasteur R. Andriamanjato, dans la région tananarivienne et dans les milieux intellectuels. Les autres partis d’opposition, notamment le Monima de Monja Jaona qui milite vigoureusement pour la cause du Sud malgache très pauvre, n’ont qu’une audience limitée. Sur le plan national et parlementaire, le P.S.D. apparaît tout puissant avec 104 députés sur 107 à l’Assemblée nationale et une majorité presque aussi forte au Sénat, d’autant que l’A.K.F.M. se déclare à l’occasion «d’accord à 80 p. 100» avec sa politique économique. Mais dans cette société où tout est nuance et démarche feutrée, la sécheresse des statistiques électorales masque la variété des opinions et des attitudes politiques qu’il faut savoir déchiffrer à travers les formes subtiles du langage et du discours (kabary). Plusieurs courants traversent en permanence les partis, à commencer par le P.S.D. qui a sa droite et sa gauche, et ses clans ethniques (clan Tsimihety en particulier). D’autres forces sous-tendent ou divisent les partis: les Églises protestante et catholique, dont le cheminement a pu surprendre parfois; les diverses centrales syndicales politiquement actives dans les centres urbains; les nombreuses associations, notamment étudiantes et féminines, qui s’expriment très librement; les divers groupes de pression nationaux et étrangers, sans oublier la pugnacité de la presse politique malgache forte d’une existence plus que centenaire (le premier journal Teny Soa a été imprimé en 1862) et qui anime en permanence le débat. Trop souvent assimilée à l’Afrique, Madagascar, qui se différencie du continent par bien des aspects, a été et demeure politiquement aussi un monde à part. Il reste qu’au tournant de l’année 1970 la République malgache apparaît usée. Bien que discrète, la contestation est réelle. L’opinion est plus sensible à l’immobilisme qu’aux promesses réitérées d’un développement garanti. Divers incidents sont les signes avant-coureurs de la crise de régime: réformes institutionnelles précipitées en octobre 1970 (création de quatre vice-présidences hiérarchisées dans un gouvernement pléthorique qui se pose sans l’avouer le problème de la succession); «jacquerie» dans le Sud malgache fomentée ou appuyée par le Monima et très durement réprimée par la gendarmerie en avril 1971; première grève à l’Université déclenchée à la même période par la Fédération des associations d’étudiants de Madagascar (F.A.E.M.); puis arrestation-surprise, en juin 1971, du ministre de l’Intérieur André Résampa, dauphin annoncé et leader de la gauche P.S.D., pour complot contre l’État ourdi avec l’appui... des États-Unis, accusation dont Tsiranana reconnaîtra plus tard l’inanité. En réalité, Tsiranana, éloigné du pouvoir durant plusieurs mois par un grave accident de santé, a perdu sa verve et sa capacité de rassembleur. Sa réélection plébiscite en janvier 1972 (99 p. 100 des suffrages) pour un troisième septennat masque, sans tromper personne, un vide politique grandissant. L’«île heureuse», comme on appelait volontiers Madagascar, qui avait traversé sereinement la première décennie de son indépendance, s’apprête à affronter une crise de société dont les conséquences seront beaucoup plus profondes que ne le pensaient les contestataires du pouvoir en place.

La crise de 1972 et la IIe République malgache

À Madagascar, l’histoire s’accélère brusquement en 1972. Sans coup d’État ni révolution au sens propre du terme, la Grande Île passe d’une social-démocratie prudente à un socialisme révolutionnaire très militant. La contestation étudiante qui se généralise à partir d’avril 1972 s’alimentait d’objectifs politiques, mais pour l’essentiel elle avait l’allure d’une révolution culturelle (exigeant la «malgachisation» et par conséquent la révision des accords de coopération de 1960) qui ne visait pas fondamentalement à renverser le régime. Le gouvernement, par sa maladresse ou son impuissance à saisir la portée du mouvement, contribue à sa propre déstabilisation. Les journées fiévreuses du «Mai malgache» – celle du 13 mai en particulier, meurtrière dans la capitale – enclenchent un processus dont personne à l’époque n’imaginait sérieusement l’aboutissement.

Une transition mouvementée

Il faudra trois ans (1972-1975) avant que Madagascar ne retrouve une relative stabilité à défaut de la sérénité.

La Ire République disparaît en fait le 18 mai 1972 lorsque Tsiranana, manifestement dépassé par l’événement, «donne» les pleins pouvoirs à son chef d’état-major, le général Gabriel Ramanantsoa, en espérant récupérer ses attributions une fois la crise apaisée. Mais il est définitivement éliminé, en douceur peut-on dire, par le référendum d’octobre 1972 qui, court-circuitant les initiatives de mouvements gauchistes, instaure par la loi constitutionnelle du 7 novembre 1972 un régime provisoire pour une durée maximale de cinq ans. Délai considéré comme nécessaire pour «rénover» la société malgache et consolider les bases d’une nouvelle République dont la philosophie générale, déterminée par la Constitution provisoire, restait fidèle au libéralisme. Le général Ramanantsoa gouverne durant vingt-huit mois avec des pouvoirs considérables qui contrastent avec l’affaiblissement constant de son autorité personnelle. L’apolitisme (mise à l’écart des partis du jeu politique) est la doctrine de ce gouvernement transitoire habilement dosé entre militaires et civils, entre côtiers et merina, mais qui subit l’assaut permanent d’idéologies opposées, de groupes de pression multiformes, de rivalités de clans et de personnes. Son programme économique, novateur, est paralysé. L’ancien P.S.D. reconverti en P.S.M. (Parti socialiste malgache) est encore partie prenante au débat et réclame un gouvernement de coalition pour sortir d’une crise apparemment sans issue. L’année 1975, ponctuée d’événements tumultueux qui sont autant de surprises pour la population, met un terme à une situation fort complexe. Le général Ramanantsoa qui n’avait jamais sollicité le pouvoir démissionne brusquement et sans explication, écœuré sans doute (il meurt en 1979). Son ministre de l’Intérieur et successeur désigné par lui, le colonel de gendarmerie Ratsimandrava, est assassiné (11 février 1975) une semaine après son intronisation. On n’a jamais connu, et l’on ne connaîtra sans doute jamais, les circonstances exactes de cet assassinat politique (événement inédit à Madagascar depuis le XIXe siècle) malgré un «procès du siècle» qui innocente, sauf de rares lampistes, les trois cents inculpés, dont Tsiranana. Le vide politique est comblé par la formation immédiate d’un Directoire militaire de 18 membres conduit par le général Andriamahazo qui s’attache avec succès au maintien de l’ordre et fonde sa légitimité par référence à la loi constitutionnelle du 7 novembre 1972. C’est la seule période où Madagascar ait connu un véritable régime militaire et collégial. Le directoire, en proie à des dissensions internes, se saborde en juin 1975 au profit d’un autre organisme, le Conseil suprême de la révolution (C.S.R.): à sa tête, le capitaine de frégate Didier Ratsiraka, brillant ministre des Affaires étrangères de Ramanantsoa et personnalité la plus remarquée de la période de transition avec le colonel Ratsimandrava, son rival dans la course au pouvoir. Avec Ratsiraka une ère nouvelle commence: le mot révolution remplace désormais celui de rénovation.

La «République démocratique de Madagascar»

En décembre 1975, le peuple malgache approuve par référendum, par 96 p. 100 des voix et en un seul vote, la nouvelle Constitution (promulguée le 31 décembre), l’élection à la présidence de l’unique candidat D. Ratsiraka et la Charte nationale de la révolution malagasy, communément appelée le Livre rouge (Boky Mena). Ce document idéologique, élaboré par le président lui-même assisté de quelques intimes, justifie le choix du socialisme révolutionnaire pour lutter contre l’impérialisme et le colonialisme et expose une stratégie à long terme en vue d’instaurer le pouvoir populaire à tous les niveaux et «le socialisme des pauvres». Le discours est résolument de tonalité marxiste même si le régime ne se réclame pas expressément de cette philosophie. L’écart entre la théorie et la pratique se creusera avec le temps. Au niveau central, l’appareil d’État reproduit le schéma organisationnel des démocraties populaires (souveraineté populaire, hiérarchie des structures, rôle exclusif du Front, principe du centralisme démocratique) tout en conservant des mécanismes constitutionnels de nature parlementaire et présidentielle. La Constitution de 1959 est applicable au titre de loi ordinaire dans ses dispositions non contraires au nouveau texte. L’Assemblée nationale populaire (137 députés élus pour cinq ans au suffrage universel) est en principe l’organe suprême du pouvoir d’État. Une Haute Cour constitutionnelle succède à l’ancien C.S.I. L’exécutif est apparemment plus complexe avec ses quatre organes distincts: président de la République «assisté» du Conseil suprême de la Révolution; gouvernement dirigé par un Premier ministre politiquement responsable devant l’Assemblée; et le Conseil militaire pour le développement au rôle consultatif. Le pouvoir est en fait détenu par le chef de l’État, élu pour sept ans au suffrage universel direct et rééligible indéfiniment, qui nomme quasi librement les membres (une vingtaine) du C.S.R. où les militaires ne constituent guère qu’un tiers de l’ensemble. Conçu primitivement comme organe moteur d’un régime qui se voulait collégial, le C.S.R., affaibli par les dissensions partisanes, perd progressivement de sa signification au profit d’une monocratie présidentielle, beaucoup plus marquée en définitive que dans la période antérieure.

Un socialisme révolutionnaire

L’idéologie nouvelle qui fait de Madagascar l’un des leaders du «non-alignement actif» dans le Tiers Monde s’articule autour de trois axes principaux.

D’abord une politique étrangère dite «tous azimuts» qui, dès 1972, s’ouvre en priorité sur les pays de l’Est et se radicalise dans les instances internationales (O.N.U., O.U.A., Groupe des 77, etc.). La sortie en 1973 de la zone franc, la coopération militaire (limitée) avec l’U.R.S.S. et l’engouement idéologique pour la Corée du Nord et l’Allemagne de l’Est sont le signe le plus visible de changement. Les rapports avec l’Ouest, notamment la C.E.E., ne sont pas rompus pour autant, ils ont même tendance à se (re)développer: reprise diplomatique en 1981 avec les États-Unis après une décennie de rupture; redéploiement de l’aide française après la difficile négociation de nouveaux accords de coopération en 1973 et la froideur des relations bilatérales jusqu’en 1980. Reste entre la France, premier partenaire commercial de Madagascar, et la R.D.M. le délicat contentieux des «îles éparses» (Glorieuses, Europa, Juan de Nova, Bassas da India, voire Tromelin) dont Tananarive revendique non sans arguments la souveraineté. Cette diplomatie conduite personnellement par le président Ratsiraka, dont les prestations remarquées à l’extérieur flattent la fierté nationale, n’a pas de résultats très probants en termes de développement. Le thème «océan Indien zone de paix» n’est plus porteur; alors que la rupture avec l’Afrique du Sud profite commercialement à des pays voisins, la coopération Sud-Sud et inter-îles marque le pas malgré la création en 1984 de la Commission de l’océan Indien qui cherche encore ses marques. Enfin, l’amitié privilégiée avec l’U.R.S.S. et la Corée du Nord n’a pas entraîné une dynamique de développement particulièrement remarquée (à moins qu’on considère comme telle la construction «coréenne», dans une discrétion sourcilleuse, du nouveau palais présidentiel sis à courte distance de Antananarivo (à Iavoloha) et, géomancie aidant, dans la perspective géométrique de l’historique palais des Reines construit au XIXe siècle...). Sans renier son militantisme tiers-mondiste, la R.D.M. est revenue progressivement à une diplomatie plus soucieuse d’intérêts immédiats. La refonte totale de l’organisation administrative et la création d’un système d’économie socialiste sont alors les deux autres axes de la révolution malgache. À partir de la communauté Fokonolona conçue désormais comme la cellule socialiste et démocratique de base et l’outil privilégié pour la «maîtrise populaire du développement», une pyramide ascendante de quatre collectivités est en place depuis 1977: fokontany (territoire du Fokonolona), firaisampokontany, fivondronampokontany et faritany. Les limites territoriales reproduisent sensiblement, à partir du second niveau, celles des anciennes circonscriptions, mais l’esprit est fondamentalement différent. Les fokontany (environ 11 000 au total) fonctionnent en démocratie directe par adoption de règlements appelés dinam-pokonolona, les autres collectivités ont des conseils populaires et des comités exécutifs élus appliquant le principe du centralisme démocratique. Cette décentralisation au maximum du pouvoir d’État, que son initiateur le colonel Ratsimandrava (ordonnance du 24 août 1973) voulait à finalité autogestionnaire, a subi des altérations avec le rétablissement progressif de la tutelle du pouvoir central. Cette expérience historique audacieuse, qui transforme littéralement la notion traditionnelle de Fokonolona, connaît des contradictions et des difficultés inévitables de fonctionnement. Le premier renouvellement global en mars-mai 1983 des différents organes des collectivités décentralisées a permis de tester la nouvelle «idéologie Fokonolona», qui se veut à la fois retour aux sources et moyen d’accès à une démocratie réelle. Sur la lancée des initiatives prises dès 1973 par le gouvernement Ramanantsoa, l’État malgache, qui contrôlait déjà plus de 60 p. 100 de l’économie en 1977, a créé un vaste et complexe secteur public aux côtés d’un secteur privé, circonscrit et surveillé, dont les autorités attendent néanmoins un dynamisme accru. Les formules juridiques d’intervention se sont multipliées: nationalisations des secteurs clefs (banques, assurances, industries stratégiques et autres) avec ou sans indemnisation selon le cas, les grandes compagnies commerciales étrangères, surtout françaises (Marseillaise de Madagascar, Emyrne, Coroi, etc.), ayant été les premières concernées; sociétés d’économie mixte, sociétés d’intérêt national, sociétés d’État, établissements publics et autres offices (O.M.N.I.S., O.M.I.P.R.A.) au sein desquels l’État est majoritaire et, en tout cas, contrôleur. À terme, conformément au Livre rouge, toutes les entreprises publiques devraient se transformer en «entreprises socialistes» (charte du 1er mai 1978) et les coopératives en «coopératives socialistes», ce qui signifie d’abord la prise du pouvoir par les travailleurs. Malgré l’incitation officielle, pressante, la socialisation ne se fera pas.

L’échec de la République démocratique de Madagascar

L’idéologie et la pratique (praxis) socialiste révolutionnaire n’ont pas apporté au peuple malgache ce progrès matériel et ce bonheur promis par le Livre rouge et que le plan intérimaire 1978-1980, présenté officiellement comme le «premier maillon décisif» d’une stratégie socialiste de développement, annonçait pour la «société malgache en l’an 2000». C’était une belle utopie! Après dix-sept années de fonctionnement effectif (1975-1992), la R.D.M. a enregistré un échec sur tous les plans: social, économique et politique. L’équilibre social qui, malgré sa fragilité, reflétait un fond de cohésion et de solidarité s’est rompu, surtout dans les générations d’après 1972. Les valeurs traditionnelles sont remises en cause: le fihavanana – ce lien sociétal de «bonnes relations» qui, avec les concepts de tsiny et de tody, le respect des anciens (Ray amandreny) et le culte des ancêtres, constitue le ciment de la civilisation malgache – n’est plus ce qu’il était. Les différences ou oppositions ethniques, que l’idéologie officielle analyse uniquement (et donc abusivement) en termes de luttes de classes, ressurgissent localement avec violence, souvent à partir d’incidents mineurs. Des tensions «provinciales» subsistent ou même se développent avec une revendication fédéraliste, alors que le caractère unitaire de l’État malgache est confirmé dans la Constitution de 1975. Les minorités étrangères, qui se considéraient à tort ou à raison comme «parties» (tribus?) de la société malgache depuis la colonisation, se sentent et sont désormais marginalisées, d’autant plus que la formation malgache dans son ensemble éprouve à regret un sentiment d’éclatement, et de chacun pour soi. La communauté indienne musulmane (karana) à dominante chiite (bohra et ismaéliens) qui a l’esprit d’entreprise et l’esprit de famille – et vit très repliée sur elle-même– est la mal-aimée du régime révolutionnaire et servira souvent de bouc émissaire, victime de graves exactions matérielles lors des émeutes populaires. Pour sa part, la communauté comorienne musulmane (sunnite) installée de très longue date à Madagascar, et principalement concentrée sur la côte ouest, a subi de rudes épreuves lors des massacres de Majunga (déc. 1976). Quant à la minorité française (vazaha), diminuée de moitié après 1972 (soit quelque 18 000 résidents en 1993), elle oscille entre la nostalgie de la «belle époque» et l’adaptation à la nouvelle donne idéologique. Les agriculteurs réunionnais immigrés, qui avaient été les acteurs d’une expérience de colonat au sens propre du terme lancée par la France dans le Moyen Ouest malgache semi-désertique (expérience pilote de la Sakay), seront brutalement renvoyés par le nouveau régime révolutionnaire, incapable d’assumer la succession.

Tous ces conflits et ruptures dans et entre groupes sociaux provoqués par le changement de régime politique sont aggravés par la crise économique, elle-même accentuée par une forte croissance démographique (de l’ordre de 3,2 p. 100). Malgré ses objectifs – et ses efforts –, la R.D.M. ne réussit pas à surmonter la crise de société qu’elle a suscitée par sa propre philosophie politique. Elle laisse sur ce plan un lourd héritage au régime successeur. Le bilan économique depuis la révolution de 1972 est globalement négatif. C’est l’analyse que font les adversaires déclarés du système (L. Ramanandraibe, Le Livre vert de l’espérance, 1987) et, aussi bien, des partisans ou sympathisants déçus et plus ou moins résignés... à survivre. Victime sans doute de l’environnement international (choc pétrolier de 1973, récession mondiale, «lois du marché», inégalités des rapports Nord-Sud), le socialisme malgache est tout autant victime de ses propres méthodes à la fois utopiques et bureaucratiques, ainsi que de l’effondrement général du sens civique (sauf de courageuses exceptions), à commencer par les élites qui substituent à la notion de service public – fondamentale et vertueuse dans un régime socialiste – celle de profit(s) personnel(s)... D’où les graves et permanents dysfonctionnements constatés dans l’administration (le fanjakana) et la crise profonde que connaissent la justice et l’Université, deux piliers essentiels dans une République démocratique. Les initiatives gouvernementales n’ont pourtant pas manqué, de 1973 à 1980 notamment, dans le cadre officiel d’une «politique d’investissements à outrance» mobilisant tous les acteurs de l’économie: nationalisations, création d’entreprises publiques et de complexes industriels, extension des surfaces rizicoles, promotion de cultures d’exportation, recherche pétrolière, infrastructures routières et transports, etc. Il n’y a guère que le secteur du tourisme qui n’ait pas bénéficié vraiment de la sollicitude de l’État malgache, peut-être par souci de ne pas encourager l’invasion de touristes internationaux «bourgeois» mais, en tout cas, pour la plus grande satisfaction des voisins intéressés par cette source de devises (Maurice et Seychelles au tout premier rang). Politique économique mal conçue, mal conduite? Le résultat après la première décennie (1972-1982) révolutionnaire est là brutal: un désastre économique et social. L’État, déjà très endetté, est contraint de procéder à des importations massives de riz (alors qu’il était autrefois exportateur) pour faire face à une pénurie chronique. Le monde rural (toujours environ 85 p. 100 de la population malgache), désorganisé et échaudé par les procédures autoritaires appliquées à la production et à la collecte des produits, se replie sur lui-même en une sorte d’autarcie antiproductiviste. La désorganisation complète du marché traditionnel et lucratif des bovidés à Madagascar, à la suite de l’extension considérable (et «supervisée») des vols de bœufs, entretient un climat d’insécurité (dû au brigandage auquel se livrent les dahalo) peu propice à la relance économique; d’autant plus que les trafics en tout genre et les exportations clandestines dont on connaît presque toujours les acteurs, les circuits (affaires de la langouste, de la vanille, des minéraux) et les protections n’incitent pas le citoyen malgache moyen ou petit (le madinika) à se dévouer pour le bien public. La paupérisation croissante des «masses laborieuses», dont le Livre rouge entendait faire le bonheur et qu’il souhaitait voir devenir le fer de lance de la révolution, est la dramatique illustration de cet échec économique avec son cortège de misères sociales et sanitaires poussées à un degré jamais connu auparavant. La capitale Antananarivo, qui approche le million d’habitants, a désormais son lumpenprolétariat; la malnutrition et la menace de disette grave dans certaines régions de l’île, surtout dans le Sud frappé par la sécheresse et la désertification, sont devenues au cours des années 1980 une réalité, évidemment désagréable à constater pour les gouvernants, mais appuyée sur des statistiques globalement fiables, nationales et internationales. Ainsi l’ordonnance malgache du 1er septembre 1988 relative à la politique d’exportation enregistrait une chute considérable en volume: 780 000 tonnes de produits exportés en 1970 et seulement 350 000 tonnes en 1987. Autres chiffres officiels attestant l’appauvrissement général du pays: de 1973 à 1985, le produit national brut (P.N.B.) par habitant est tombé à – 3,5 p. 100; en 1986, d’après les statistiques de l’O.N.U., Madagascar était classé 186e sur 204 États et territoires de la planète, c’est-à-dire dans le bas de la liste des P.M.A. (pays les moins avancés) établie par la Banque mondiale à cette date. Parmi les îles du sud-ouest de l’océan Indien (mise à part la Réunion) associées dans la Commission de l’océan Indien (C.O.I.) fondée en 1984, la Grande Île – pourtant riche en moyens, en ressources et en potentialités – fait pâle figure du point de vue économique en 1991-1992. Madagascar est au dernier rang, un peu après les Comores, mais très loin derrière Maurice et les Seychelles, en ce qui concerne le produit intérieur brut (P.I.B.) par habitant, soit 210 dollars contre 470 aux Comores, et entre 2 700 et 5 700 pour les deux autres pays. Quant au nouvel indicateur adopté au P.N.U.D. des Nations unies depuis 1990 pour situer les États dans le monde du point de vue économique et social – le I.D.H. ou indicateur de développement humain qui prend en compte trois variables (espérance de vie, taux d’alphabétisation et P.I.B. par habitant) dont la résultante est un pourcentage global figurant sur une échelle de 0 à 1 –, Madagascar est bien mal placé (0,325), juste devant, cette fois, les Comores (0,269) et toujours très loin derrière Maurice et les Seychelles qui approchent 0,800.

Pour Madagascar donc, en quelque vingt années, la chute a été verticale.

La transition des années 1989-1991

Les événements internationaux qui ont secoué le monde en 1989-1991 (effondrement du communisme en Europe, fin de la guerre froide et transformation des données de la géopolitique) ont évidemment eu des répercussions en République démocratique de Madagascar. Mais la transition politique a été plus difficile que la transition économique. Sur le plan de la politique économique, en effet, un changement – nécessité fait loi – a été amorcé dès 1982 avec un retour à une certaine libéralisation de l’économie, et donc à l’économie de marché dans les domaines de la production et de la commercialisation, celle du riz en priorité. Le mouvement s’amplifie en 1987 et 1988 lorsque la R.D.M., après hésitations et résistances, accepte les conditions rigoureuses imposées par le Fonds monétaire international pour relancer l’économie nationale dans le cadre du libéralisme et d’un secteur privé, national et international, (re)devenu concurrentiel. Le gouvernement multiplie les «dérogations» à la charte des entreprises socialistes (1978) officiellement maintenue, l’injection d’une bonne dose de «privatisation» dans le secteur public étant présentée comme une autre façon d’atteindre les objectifs du Livre rouge. L’idéologie «ratsirakiste» (?) est donc sauve, mais en fait elle n’est plus ce qu’elle était, et le Livre rouge n’est désormais qu’une référence formelle. Le «coût social» très élevé payé par la partie la plus pauvre de la population (hausse des prix, etc.) accentue une «situation de classe» que Ratsiraka s’était promis d’extirper, et accroît dans une société déboussolée les antagonismes et les contradictions. Le constat est sévère même si l’année 1989 apparaît, avec le recul du temps, comme un tournant dans la révolution malagasy. Dans ce pays, où les experts estiment que le revenu par habitant était en 1987 inférieur de 25 p. 100 à celui de l’année 1980, le débat politique ne peut être que relancé avec vigueur, et sans complaisance, dans un système incontestablement sclérosé. L’implosion du Front de défense de la révolution se confirme en l’année électorale 1989, avec la création d’une Alliance démocratique malgache, qui regroupe des opposants au sein du Front, et l’éclatement en deux formations distinctes du vieux parti oppositionnel marxiste A.K.F.M., son fondateur le pasteur Richard Andriamanjato créant, sous le nom A.K.F.M.-Renouveau, un nouveau parti marxiste face au A.K.F.M.-K.D.R.S.M. Tout cela témoigne, pour le moins, d’un début de recomposition du paysage politique et... idéologique.

Les résultats des élections générales de l’année 1989, troisième grande année électorale de la R.D.M. après celles de 1977 et de 1982, confirment l’affaiblissement du régime et du parti ratsirakiste. Le parti présidentiel Arema gagne très largement les élections à l’Assemblée nationale populaire (67 p. 100 des suffrages et 85 p. 100 des sièges) et ne laisse que 16 sièges sur 137 aux six autres composantes révolutionnaires du Front, mais on relève un taux d’abstention encore plus élevé qu’à l’élection présidentielle de mars 1989. Le président Ratsiraka a, en effet, été réélu pour un troisième septennat – contre trois candidats du Front qu’il dirige en droit –, mais avec seulement 62 p. 100 des voix (et beaucoup de protestations sur la régularité du scrutin). C’est un signe manifeste de désaffection si l’on se rappelle qu’en 1982 Ratsiraka avait été reconduit pour un second septennat avec 80 p. 100 des voix (et 20 p. 100 d’abstention) contre un seul adversaire, Monja Jaona, leader du parti révolutionnaire Monima K. M. et doyen du Front à l’époque. Cette poussée de fièvre contestataire avait suscité des espérances de renouvellement politique dans l’opinion, mais le système était rapidement revenu à son rythme de croisière bureaucratique: quelque rotaka occasionnels (anti-karana) dans les centres urbains en signe de protestation sociale, et tout juste un changement de Premier ministre en 1987 (le troisième en dix ans). En définitive, l’année électorale 1989 aura été le tournant dans la révolution inaugurée par la R.D.M. en 1975 puisque, par des procédures et pressions diverses développées en 1990-1991 dans la foulée de ces consultations, va surgir la IIIe République malgache.

La IIIe République malgache

Adoptée par référendum en août 1992, la nouvelle Constitution créant une IIIe République n’est pas un texte «octroyé» comme l’avait été, en définitive, la Constitution de 1975 élaborée par un petit groupe de militants dans une discrétion remarquée. Celle-ci, au contraire, est le fruit de nombreux projets et débats organisés d’abord dans des forums régionaux puis, pour la synthèse, dans un Forum national. En somme, ce fut la première application très correcte (mais post mortem!) du principe du centralisme démocratique, évacué du système politique malgache en même temps que le Front à la fin de l’année 1990 par le retour au multipartisme. L’aboutissement a été laborieux. Il aura fallu presque deux années (1990-1992) de transition démocratique officieuse – puisque la Constitution (révisée) de la R.D.M. est alors toujours en vigueur et son président régnant – pour effectuer la traversée dans des conditions délicates, voire périlleuses, sous le signe de la contestation et, à l’occasion, de l’improvisation. Pendant presque toute l’année 1991, le gouvernement légal est «doublé» (et plus ou moins paralysé) par un gouvernement parallèle (la Haute Autorité de l’État, H.A.E., court-circuitant le président de la R.D.M.), né de et dans la rue à Antananarivo sous le nom de Forces vives, opposées au parti présidentiel Arema et décidées à changer de régime politique. Le rituel des manifestations quotidiennes sur la place du 13-Mai, pacifiques et bien encadrées, se déroulera durant plusieurs mois sans trouble majeur. Mais la marche populaire sur le palais présidentiel à Iavoloha, le 10 août 1991, s’achève par une répression sanglante (on ne connaîtra jamais le nombre exact des victimes) de la garde présidentielle. L’image du président Ratsiraka, quelles qu’aient été les circonstances exactes du drame, est désormais ternie, d’autant plus qu’il a semblé à plusieurs reprises encourager (ou ne pas décourager) certaines aspirations fédéralistes, c’est-à-dire des forces centrifuges et par conséquent anti-Merina, notamment dans les faritany (provinces) de Tuléar (Toliary), de Tamatave (Toamasina) et de Diégo-Suarez (Antsiranana). La pression contestataire ira en s’accentuant jusqu’au référendum constitutionnel de 1992. Cette IIIe République n’opère pas un retour pur et simple à la Ire République, même si l’on y retrouve certaines structures et une philosophie libérale et chrétienne, mais elle rompt totalement avec le système socialiste révolutionnaire de la R.D.M. qui, probablement, restera une parenthèse, et peut-être une belle utopie dans l’histoire moderne de Madagascar. L’analyse de la nouvelle constitution reflète plusieurs influences intellectuelles dont la complémentarité se vérifiera ou non avec le temps. L’influence principale – qui recoupe d’ailleurs les secteurs religieux, laïcs, politiques et autres de la société malgache – a été celle du F.F.K.M., le Congrès des Églises chrétiennes protestantes et catholique de Madagascar. Sur le plan politique, il y a eu, en effet, une sorte d’œcuménisme religieux pour rappeler avec vigueur aux gouvernants de la R.D.M. (dont certains étaient adhérents du F.F.K.M.) le respect des valeurs fondamentales de la civilisation malgache et de la morale chrétienne. Les résolutions adoptées en août 1982, au premier congrès F.F.K.M. d’Antsirabé, sonnaient déjà comme une mise en demeure pour le pouvoir révolutionnaire. Dix ans plus tard, la naissance de la IIIe République apparaît un peu comme la victoire du F.F.K.M. en tant que contre-pouvoir (mais pas du tout comme pouvoir théocratique). Autres influences? Celles des différents partis constituant le Front national de défense de la révolution malagasy de 1976 à 1990, qui n’ont pas fusionné progressivement pour former un parti unique, mais se sont divisés sur le plan idéologique. Par-delà les péripéties et les scissions qui ont affecté tour à tour les sept partis révolutionnaires membres du Front – notamment le Monima de Monja Jaona, l’A.K.F.M. de R. Andriamanjato et aussi le V.O.N.J.Y. proche de l’ancien P.S.D. de la Ire République –, il y a eu le retournement complet du parti M.F.M., de Manandafy Rakotonirainy, passé de porte-parole des exploités (les madinika) au nom d’une extrême gauche prolétarienne en 1972 au rôle de défenseur du libéralisme économique vingt ans après. De fait, les élections récentes le démontrent, le citoyen-électeur malgache n’a pas bien compris, ou apprécié, ce revirement idéologique.

Il faut souligner enfin – cela mérite attention dans l’histoire politique contemporaine agitée du continent africain et des îles de l’océan Indien – que le pouvoir militaire (armée et gendarmerie) s’est interdit d’intervenir dans ce délicat débat sur l’avenir du régime politique malagasy. Un bon test, en période troublée, de confiance au système de la démocratie libérale. Les institutions de la IIIe République, nationales et locales, devraient être mises en place à la fin de l’année 1994, terme prévu de la période transitoire. Le nouveau schéma constitutionnel de type parlementaire se caractérise par trois points: le retour au bicamérisme avec Assemblée nationale et Sénat; l’importance reconnue au pouvoir judiciaire, qui a été effectivement très malmené et politisé sous le R.D.M. et qui a besoin de retrouver sa légitimité et son indépendance; enfin et surtout, le rôle politique et juridique principal désormais dévolu au Premier ministre élu et investi par le Parlement, alors que le président de la République, chef de l’État – élu au suffrage universel direct pour un mandat de cinq ans renouvelable une fois –, n’a plus qu’un pouvoir d’influence, au mieux d’arbitrage, dans la société politique. Il y a là, en germe, un problème de coopération/cohabitation au sein de l’exécutif que la pratique constitutionnelle aura vraisemblablement à résoudre. La première phase de l’opération IIIe République s’est déroulée en février-mars 1993 dans la tension, mais finalement dans le calme malgré quelques incidents mineurs. Il s’agissait, en effet, d’une opération à la fois politique et symbolique: une nouvelle élection présidentielle au suffrage universel direct (après celle de 1989 qui avait reconduit Didier Ratsiraka pour un troisième septennat) à laquelle se représentait, après avoir été menacé d’exclusion, le président Ratsiraka parmi huit autres candidats. La très large victoire au second tour du président de la H.A.E. et candidat des Forces vives Rasalama, le médecin Albert Zafy, inaugure donc une nouvelle page de l’histoire politique de Madagascar. Didier Ratsiraka a eu l’élégance d’admettre sa défaite, tout en annonçant la création d’un nouveau parti (Ares) fidèle à ses idées parmi les dizaines de partis surgis de l’ouverture de 1990. Le choix du Premier ministre à l’issue des élections législatives de juin 1993 sera donc déterminant pour l’orientation politique de la IIIe République, et pour le rétablissement de la confiance des opérateurs économiques nationaux et surtout étrangers dans le nouveau Code des investissements, adopté depuis 1989 mais sans résultat concret pour cause d’incertitude politique. Le vrai départ de la Commission de l’océan Indien (C.O.I.), créée en 1984 dans le but de développer les relations économiques et commerciales entre les îles du sud-ouest de l’océan Indien, dépend d’une relance de l’économie malgache. Il serait temps, en effet, que Madagascar reprenne son rang dans la communauté internationale et relève la tête, même si un proverbe malgache affirme que «incliner la tête n’a jamais fait mourir».

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