Marilyn Monroe pour toujours

Tout sur Marilyn Monroe en Français et Gratuit  Pages en Français
Carte géographique

InformationsRENSEIGNEMENTS ADDITIONNELS
timbres
MARILYN Timbres Marilyn Monroe du monde entier MONROE

CUBA

Marilyn pour toujours

 

L’île de Cuba, la plus grande de l’archipel des Caraïbes (110 922 km2), occupe une position stratégique à 77 km de Haïti et à 140 km de la Jamaïque. Longue de 1 200 km – alors que sa largeur varie de 32 à 145 km –, Cuba est très proche du continent, des États-Unis et du Mexique. Parmi les nombreux facteurs naturels qui ont contribué au développement de la monoculture sucrière, la topographie de l’île a joué un rôle important. Elle possède des plaines, ce qui favorise la mécanisation de l’agriculture et permet la culture intensive de la canne à sucre. Un quart seulement de la surface de l’île est occupé par des régions montagneuses assez dispersées qui abritent une paysannerie spécifique. Le climat et la nature des sols ont également favorisé le développement de la canne à sucre, qui prit un essor extraordinaire au XIXe siècle. Cuba, pendant un siècle, tint la place qu’occupait Haïti au XVIIIe siècle dans le commerce d’exportation des sucres. Les structures coloniales espagnoles qui s’enracinent et se déploient pendant près de cinq siècles ont profondément marqué l’économie et la société cubaines. Après la phase de conquête et de pillage – qui entraîne le génocide des aborigènes –, la colonisation s’implante autour de la monoculture sucrière dans la partie sud (Santiago). Le glissement vers La Havane, qui s’opère vers 1540-1542, ouvre l’ère d’une nouvelle prospérité fondée sur le commerce d’exportation des sucres, des cuirs, du café et du tabac et sur le passage des convois qui se rassemblent à La Havane avant de reprendre la route des retours par le débouquement des Bahamas. Le port de La Havane, devenu une des clés de la mer des Caraïbes, attire les convoitises des corsaires anglais, français et hollandais avant d’être pris par les Anglais en 1762. Cette occupation (1762-1763) provoque un «boom économique» grâce à l’introduction d’une main-d’œuvre africaine et à l’injection de capitaux dans l’économie sucrière. C’est de cette époque que date l’essor de la franc-maçonnerie, qui jouera un rôle important dans la société cubaine. L’accélération de la production sucrière après 1790 va intensifier les difficultés sociales et les contradictions inhérentes au système esclavagiste. La colonisation espagnole, qui parvient à restreindre les visées annexionnistes des États-Unis et intègre les capitaux nord-américains dans l’économie de l’île, se heurte à la résistance intérieure. La décolonisation passe d’abord par le processus de destruction des rapports esclavagistes, qui débute avec la guerre de Dix Ans (1868-1878) et qui se poursuit, après la création du Parti révolutionnaire cubain (P.R.C.) fondé par José Martí, avec la guerre hispano-cubaine (1895-1898). L’armée espagnole est vaincue, l’État colonial brisé, c’est l’intervention nord-américaine qui tranche en faveur d’une troisième voie: le néo-colonialisme. De 1902 à 1959, Cuba, devenue une république, est placée dans l’orbite des États-Unis qui, grâce à l’amendement Platt, imposent leur domination et placent des dirigeants politiques à leur service. Le groupe armé conduit par Fidel Castro prend le pouvoir après une lutte de guérilla dans la grande tradition historique de Cuba; il procède à des transformations politiques, économiques et sociales. La production cubaine, toujours fondée sur l’industrie sucrière, s’intégra au C.A.E.M. recevant l’aide de l’U.R.S.S. La dépendance de Cuba sur le plan énergétique et sur le plan financier (dette publique) pose de graves problèmes économiques et politiques. La société cubaine cherche des solutions adaptées à son histoire, à sa personnalité, à ses espoirs.

1. Les données géographiques

Géographie physique

Structure et relief

Ouvert largement sur des rivages peu profonds, Cuba entre d’autre part en contact, au pied de la sierra Maestra, avec une fosse de plus de 6 000 m (fosse de Bartlett) qui la sépare de la Jamaïque et se trouve dans le prolongement de la grande fosse des Caïmans. Les systèmes montagneux et les affleurements géologiques se présentent en bandes plus ou moins parallèles à l’axe de l’île. L’analyse tectonique et la stratigraphie de Cuba semblent d’ailleurs indiquer que les unités paléogéographiques ont été continuellement disposées selon cette direction, au moins depuis le début du Jurassique, époque dont dateraient les roches métamorphiques, maintenant serpentinisées, qui constituent le «complexe de base» de l’île. Au Jurassique s’étendait une fosse géosynclinale orientée grossièrement est-ouest et recevant une sédimentation abondante, d’abord essentiellement détritique et saline, en provenance d’une terre ferme située au sud de l’île actuelle, et constituée en majeure partie de roches métamorphiques et intrusives. Puis, après l’émersion d’une ride géanticlinale séparant la fosse en deux bassins, la sédimentation se diversifie: au nord de la ride, dépôts carbonatés (dolomies et calcaires) et, plus au nord encore (plate-forme des Bahamas), roches salines; au sud du géanticlinal (zone de Zaza et du Cauto), sédiments volcano-détritiques. Cette évolution se poursuit au Crétacé. Des faciès récifaux se développent autour d’îlots, tandis que l’activité volcanique au sud prend de plus en plus d’importance, notamment le long de grandes fractures qui affectent alors cette région de l’écorce terrestre. À la fin du Crétacé interviennent des mouvements très importants (charriages vers le nord, plissements) suivis d’une phase d’érosion intense affectant les zones émergées, en particulier les régions d’Escambray, de Pinar del Río, de l’île de la Jeunesse (ancienne île des Pins) ainsi que celles de Zaza où coexistent les zones de subsidence et les zones de relief. Ces terres sont partiellement recouvertes au Paléocène, tandis que les faciès carbonatés cèdent la place à des faciès argileux, sauf au nord, sur la plate-forme des Bahamas, où des dolomies continuent à se former. Des mouvements très intenses accroissent considérablement la surface des terres émergées à l’Éocène moyen «phase cubaine» tandis que des intrusions basiques et des minéralisations se produisent. En revanche, les activités volcaniques cessent. À la suite de nouveaux mouvements (Éocène supérieur), la paléogéographie, à l’Oligocène, devient très différente. La majeure partie de l’île est alors exondée et l’érosion domine; la sédimentation marneuse et argileuse se localise dans les dépressions tandis que les reliefs les plus importants se trouvent à l’emplacement de l’île de la Jeunesse et dans l’Escambray.

Au Miocène a lieu la dernière grande transgression marine au cours de laquelle cependant s’affirment des reliefs importants dans la région de Pinar del Río, le centre de Cuba, la province de Camagüey, la zone d’Holguín, la sierra Maestra, Mayarí et Baracoa; en revanche, les dépressions poursuivent leur subsidence avec, sur de grandes épaisseurs, le dépôt de calcaires, de marnes, de conglomérats, d’anhydrites. À cette époque, Cuba est constituée par plusieurs grandes îles séparées par des bras de mer. Cette configuration est modifiée au Pliocène par le soulèvement de toute la zone cubaine qui est alors vraisemblablement reliée à l’Amérique centrale et soumise à une pénéplanation importante. Celle-ci, entretenue par des mouvements de «block faulting» qui rajeunissent les reliefs, s’effectue en plusieurs phases dont on retrouve encore aujourd’hui les traces, mais qui sont difficilement datables. Au Quaternaire, Cuba prend ses contours actuels et continue à connaître des phases de soulèvements qui intensifient les processus d’érosion. Dans la partie orientale, d’importantes dislocations mettent en place les grands blocs faillés de la sierra Maestra, dont le point culminant se trouve aujourd’hui à plus de 2 000 m. La destruction du relief est générale: des deux phases de pénéplanation du Pliocène, il ne reste que quelques vestiges dans le relief actuel: d’une part les yunques (enclumes) situés au-dessus de 500 m, qui correspondent à la pénéplaine la plus ancienne, et pratiquement limités au yunque de Baracoa et, d’autre part, les cuchillas, vers 300-400 m, que l’on retrouve sur les sommets de certaines montagnes de Baracoa, des hauteurs de Matanzas ainsi que sur la plupart des massifs et cordillères de la région de Pinar del Río. Les processus de formation des latérites nickélifères de la région d’Oriente, amorcés avec les nivellements pliocènes, se poursuivent au Quaternaire. Pendant toute cette période, Cuba s’est trouvée sous l’influence d’un climat chaud. Les roches en place sont soumises à une intense érosion. La dissolution des calcaires par les eaux chaudes est un facteur prépondérant de désagrégation. Dans les régions en relief où dominent les calcaires, la destruction a lieu sous l’action conjuguée de l’érosion superficielle et du creusement des rivières souterraines. Il en résulte une morphologie karstique en forme de cône (mogotes) caractéristique d’un milieu tropical. Les types karstiques les plus remarquables se rencontrent dans la sierra de Los Organos, constituée, aujourd’hui, d’une part d’une série de chaînes plus ou moins parallèles, et de l’autre de mogotes isolés, séparés par des poljés fertiles. La structure de cet ensemble actuellement si déchiqueté correspond à un ancien anticlinal constitué essentiellement de calcaires jurassiques supérieurs. La plupart des plaines cubaines, bien que n’ayant pas toutes une origine commune, ont été soumises à une karstification intense.

Il en est ainsi pour la plaine karstique occidentale s’étendant d’Artemisa à Cienfuegos, et pour la plaine orientale allant de Trinidad au centre de la province d’Oriente (cette dernière étant interrompue par des affleurements volcaniques, granitiques et ultrabasiques). Sur ces deux plaines anciennes, les processus de formation de sols argileux latéritiques sont avancés. Pour les plaines récentes formées de calcaires quaternaires (Guanahacabibes, Zapata et sud de l’île de la Jeunesse), la dissolution de la roche en place a donné naissance à des lapiés (dientes de perros, «dents de chiens») et des microdolines fertiles (casimbas). Les dépôts détritiques provenant des montagnes de Pinar del Río ont colmaté la plaine située au pied de la grande ligne de faille dans la moitié sud de cette province. La plaine du Cauto Alto Cedro, qui repose sur une stratigraphie calcaire, est de formation alluviale. Des mouvements tectoniques, tantôt ascendants tantôt descendants, ne cessent d’affecter encore actuellement les contours de l’île. Il existe en différents points des côtes cubaines des terrasses émergées dont les plus remarquables sont celles de Maisí, s’échelonnant sur dix niveaux différents jusqu’à une altitude de 400 m. Il existe également deux terrasses sous-marines situées à moins 9 m et à moins 18 m. Les mouvements descendants ont affecté une partie de la côte sud, provoquant ainsi la formation de marécages. En raison de sa forme allongée et étroite, et de la disposition de son relief, Cuba ne possède pas de longs cours d’eau, le plus important étant le fleuve Cauto (250 kilomètres de longueur).

Climat, végétation, sols

Le climat de Cuba réunit les caractéristiques des climats de la zone tropicale humide. En janvier, mois frais et sec, presque tout le territoire, y compris un ample secteur montagnard, connaît une moyenne supérieure à 20 0C (pour Köppen, l’isotherme 18 0C pour le mois le moins chaud établit la limite de la zone tropicale humide). En juillet, mois chaud et humide, les températures moyennes sont partout supérieures à 21 0C, l’isotherme 27 0C étant le plus représentatif. Les amplitudes diurnes, par contre, sont supérieures aux écarts saisonniers des températures. Bien qu’inégales dans leur répartition, les précipitations annuelles dépassent généralement 1 000 mm dans les plaines, et leur volume croît avec l’altitude. De la distribution des pluies au long de l’année, la caractéristique essentielle est la grande quantité de précipitations mensuelles pendant la saison humide (de mai à octobre) et l’existence de plusieurs mois de saison sèche correspondant aux mois les plus frais (d’octobre à mai). L’évaporation et l’écoulement ne sont pas très importants, étant donné d’une part la grande humidité de l’atmosphère (assez constante d’un bout de l’année à l’autre) et, d’autre part, la topographie plane du territoire où coulent des fleuves courts et peu abondants. L’eau non évaporée et non drainée vers la mer alimente des nappes souterraines situées à faible profondeur. Ainsi, malgré des précipitations moyennes pour un climat tropical humide et l’existence d’une saison sèche, les sols conservent une humidité suffisante qui permet la croissance d’une végétation souvent exubérante et variée. Dans leurs travaux sur les ressources climatiques de Cuba, Davitaya et Trusov, considérant qu’une région sur laquelle le rapport entre l’évapotranspiration et les précipitations est égal ou inférieur à 1 correspond à la zone forestière, concluent que 50 p. 100 du territoire cubain appartient à cette catégorie. Dans une moindre mesure, certaines régions correspondent à la forêt-savane, et des micro-régions (côte méridionale de la province d’Oriente) à la savane sèche. Cependant, les paysages de Cuba appartiennent au type savane parsemée d’arbres ou de formations broussailleuses. Le développement de l’agriculture et l’usage inconsidéré des richesses forestières ont entraîné dans les plaines la disparition des anciennes forêts tropicales et leur dégradation dans les montagnes. Dès le milieu des années soixante, un effort important de reboisement fut entrepris. Estimée alors à 8 p. 100 du territoire, la forêt en occupait près de 20 p. 100 à la fin des années quatre-vingt.

Les formations végétales cubaines sont très variées, malgré l’apparente monotonie qu’elles confèrent au paysage. Elles ont été classées en fonction de leur nature et de leur localisation en trois grands groupes: – les forêts aux espèces variées (plus de 2 000), les formations végétales des mogotes qui s’agrippent à leurs parois verticales, et les pinèdes qui ont donné leur nom à l’île des Pins et à la province de Pinar del Río; – les plantes de savanes classées d’après le sol sur lequel elles poussent (sols argileux, sols sableux, sols formés sur serpentine...); – les formations littorales: essentiellement des mangliers. Les processus de formation des sols sont actifs toute l’année grâce à des températures élevées et à une humidité entretenue par les nappes phréatiques. Malgré des roches mères peu différentes, des sols variés se sont développés en fonction des conditions bioclimatiques locales. Les argiles latéritiques, classées en fonction de leur couleur et de leur texture, sont des sols profonds et généralement fertiles. Les sols dits de « savane » sont moins fertiles et souvent plus érodés. Les sols de montagne, lorsqu’ils sont suffisamment profonds, sont fertiles et conviennent aux plantations. Enfin, la plupart des plaines de formation récente sont actuellement impropres à l’agriculture.

Géographie humaine

Avant la révolution de 1959, deux traits marquaient le paysage national de Cuba: d’une part, le contraste entre une croissance urbaine hypertrophiée, spectaculaire dans le cas de La Havane, et le sous-développement des campagnes et des provinces les plus pauvres, surtout les provinces montagneuses; d’autre part, le retard de vastes zones vouées à la culture de la canne à sucre ou aux pâturages extensifs. Seules quelques aires peu étendues bénéficiaient d’une mise en valeur intensive, centrée en particulier sur les cultures du tabac et du café. La politique menée au cours des trois décennies qui ont suivi a modifié en profondeur les relations entre villes et campagnes, entre le littoral et l’intérieur. C’est dans un espace géographique complètement bouleversé que se sont inscrits les principaux «acquis» sociaux: éducation, santé, éradication de la misère, sens de la dignité rendu au peuple, relative homogénéité sociale qui contraste avec l’exclusion de larges secteurs de la population dans toute l’Amérique latine. Au début des années 1990, tous ces «acquis» semblent menacés. L’île traverse une crise économique et politique très grave, dont les causes sont multiples. À la perte des anciens alliés de l’Europe de l’Est – avec lesquels Cuba réalisait 70 p. 100 de son commerce –, à l’effondrement du «camp socialiste» et en particulier de l’Union soviétique, au resserrement du blocus nord-américain s’ajoutent des facteurs internes: l’inefficacité, la corruption, le poids de la bureaucratie, l’essor d’une «économie de l’ombre», le respect dogmatique de principes qui ailleurs se révéleront erronés expliquent pour une part la catastrophe, ainsi que l’incapacité des dirigeants à mettre à profit l’aide soviétique en vue de rendre le pays autosuffisant dans le domaine alimentaire. Il n’en reste pas moins qu’une œuvre considérable a été accomplie, changeant radicalement la face d’un pays où jadis les inégalités criantes se conjuguaient avec les particularités du relief pour provoquer des mouvements de révolte: c’est dans la sierra Maestra que se développa le premier foyer de l’Armée Rebelle qui renversa la dictature de Fulgencio Batista.

Le nouveau visage du pays

La stratégie de développement adoptée par Fidel Castro et ses compagnons s’appuyait sur des réformes structurelles, notamment les deux réformes agraires de 1959 et de 1963, cette dernière limitant la propriété terrienne individuelle à 67,1 hectares. Ses objectifs visaient à corriger les distorsions géographiques et les disparités démographiques. Diverses mesures permirent aux villes importantes de grandir – Guantánamo, Santa Clara, Holguín, Camagüey et Santiago de Cuba – mais aussi aux villes petites et moyennes. Dès 1970, la population urbanisée représentait 60 p. 100 des 8 500 000 habitants que comptait alors l’île. On assistait à une urbanisation «concertée» dont le but était d’aboutir à un rééquilibrage régional. D’où la construction de centaines de nouveaux centres villageois dotés de logements, de magasins, d’écoles, d’hôpitaux et de dispensaires, où se regroupaient les familles paysannes autrefois dispersées et laissées à l’abandon. La mise en place de «plans agricoles» spécialisés, et de complexes industriels, créa des emplois et fixa sur place une main-d’œuvre abondante. De tels changements, touchant l’habitat et le peuplement dans toute l’étendue du pays, permirent d’enrayer l’exode rural et de décongestionner la capitale qui échappa au gonflement anarchique des autres métropoles d’Amérique latine. Cette réussite tint également à une politique de rapprochement systématique entre l’espace urbain et l’espace rural, qui se traduisit par l’éclatement des universités, des centres de recherches (agronomiques, zoologiques, sylvicoles, miniers) et surtout par la mise en place des «Écoles secondaires à la campagne» (E.S.B.E.C.). Des dizaines de milliers de jeunes gens des deux sexes mariaient l’étude et le travail au sein des unités de production que sont les écoles elles-mêmes dans leur environnement de cultures diverses. Cela a donné lieu à d’étonnantes modifications du paysage. Ainsi, l’île des Pins, devenue l’île de la Jeunesse, a vu pousser des plantations où se sont formées des générations d’étudiants, dont une partie venait de l’étranger, en particulier d’Afrique, au nom de la solidarité internationale et des racines communes. Pour s’assurer les ressources qu’exigeaient l’aménagement du territoire et la redistribution des forces productives, Cuba misa essentiellement sur le sucre, restant d’une certaine manière un pays mono-producteur et mono-exportateur. Jusqu’à la perestroïka lancée par Mikhaïl Gorbatchev en 1985, l’Union soviétique achetait en effet le sucre cubain bien au-dessus du cours mondial, tout en vendant à bas prix non seulement le pétrole dont l’île avait besoin, mais des surplus que les Cubains plaçaient avantageusement sur le marché mondial. De gros efforts furent donc faits pour que la production et les rendements de la canne à sucre ne cessent de progresser, grâce à la mécanisation de la coupe et des transports de canne, l’extension des surfaces irriguées, l’utilisation plus rationnelle des engrais et des herbicides, etc. L’équipement des régions sucrières constitua l’une des raisons majeures du nouveau découpage administratif et politique de Cuba, adopté lors du premier congrès de son Parti communiste en décembre 1975. Aux trois niveaux hérités de la période coloniale (294 municipes, 44 régions, 6 provinces), on en substitua deux (169 municipes, 14 provinces) afin d’assouplir les mécanismes d’une gestion qui est considérée, malgré tout, comme démesurément centralisée.

Un brutal changement de cap

À partir de 1989, l’Union soviétique, dont l’économie s’effondrait et qui souhaitait réviser ses rapports avec Cuba sur la base de «l’intérêt mutuel», diminua ses fournitures de pétrole, de marchandises agricoles, de produits manufacturés et de pièces détachées, tandis qu’elle exigeait leur paiement en dollars. En janvier 1991, La Havane et Moscou conclurent un accord qui mettait fin à trente et un ans d’échanges commerciaux réalisés dans des termes «équitables et sûrs», selon le gouvernement cubain. Ce dernier a dès lors préparé la population, contrainte d’endurer maintes privations, à ce que l’on appela officiellement «l’option zéro»: l’arrêt de toute livraison en provenance des anciens partenaires. L’île a de nouveau changé de visage, car l’on a entrepris la construction d’une trentaine de «villes nouvelles» à la campagne. Elles devraient accueillir des centaines de milliers de citadins réquisitionnés pour les travaux agricoles. Cette décision s’inscrit dans un programme économique qui, tout en signifiant un brutal changement de cap, paraît cohérent: se concentrer sur les avantages comparatifs de Cuba – la beauté naturelle, la fertilité, le climat, sans oublier les milliers de scientifiques, d’ingénieurs, de chercheurs et de cadres qualifiés – à réorienter le commerce vers les voisins latino-américains. Agriculture, médecine, biotechnologie et tourisme (ce dernier secteur étant largement ouvert aux capitaux étrangers) devaient assurer la survie économique. Mais semblable restructuration prendra du temps. C’est donc à une véritable course contre la montre que s’est livré le président Fidel Castro, résolu, semble-t-il, à conserver contre vents et marées ce qui a fait les bases de son régime: un parti unique, l’emprise du Parti sur l’État, la répression de toute dissidence et la planification de l’économie. Donnée impressionnante: un tiers des 10 500 000 habitants de Cuba a entre quatorze et vingt-sept ans. Nombre de ces jeunes gens se montrent, comme partout, avides de biens de consommation, de mode, de musique, de voyages. S’agit-il d’un paradoxe? C’est sur l’Union de la jeunesse communiste (un demi-million d’adhérents) que compte le lider maximo pour sauver «sa» révolution.

2. Domination et exploitation espagnoles

Conquête, pillage et oppression

La colonisation destructrice

Si l’on en croit le père Bartolomé de Las Casas – qui a eu entre les mains une copie du journal de bord du premier voyage de Christophe Colomb et en a transcrit des passages –, ce serait le dimanche 21 octobre 1492 que fut mentionnée pour la première fois une «île très grande» que les indigènes appelaient Cuba. Il est dit plus tard (24 octobre) qu’on fait beaucoup de commerce dans cette île; il paraît qu’on y trouve de l’or et des épices, de grands navires et des commerçants. La grande île est atteinte le 28 octobre au voisinage du golfe de Bariay, à l’est du port actuel de Gibara. Colomb, qui croit être à Cipangu, c’est-à-dire au Japon, cherche la Chine et le grand khan pour lui remettre un message au nom des souverains espagnols. Il explore les côtes de Cuba, qu’il nomme Juana, jusqu’au 5 décembre, désireux d’une part de poursuivre sa mission d’ambassade en direction de l’Asie, d’autre part d’inventorier les richesses d’un pays qui entre dans sa juridiction d’amiral et de vice-roi comme le stipulent les capitulations de Santa Fe (17-30 avril 1492). Persuadé que Cuba fait partie du continent, le 4 novembre Colomb pénètre dans la province de l’Oriente où existent «des hommes qui avaient un seul œil, et d’autres qui avaient des museaux de chien et qui se nourrissaient de chair humaine: sitôt qu’ils en capturaient un, ils le décapitaient et buvaient son sang, et ils lui coupaient la nature». Ce sont les terribles Karibs ou «Cannibales» qui apparaissent dès ce premier document comme des anthropophages. Au cours de son second voyage, Colomb, après un simulacre d’enquête, fait rédiger un acte devant notaire affirmant que Cuba n’est pas une île, le 12 juin 1494. Cependant, Cuba apparaît bien en 1500 comme une île sur la célèbre carte de Juan de la Cosa, mais ce n’est qu’en 1508 que Sebastian de Ocambo en fit le tour complet. En 1511 s’ouvre le procès d’occupation de Cuba. Comme dans les autres îles, les Espagnols commencent par s’approprier les terres et par soumettre les Indiens au travail esclavagiste. Trois groupes d’hommes, sous la direction de Diego Velázquez de Cuellar et Panfilo de Narváez, se lancent dans la conquête et le pillage. C’est la phase de conquête destructrice qui va de pair avec l’accaparement de l’or accumulé par les indigènes. La société indo-cubaine comptait 500 000 individus, selon les estimations de l’époque. Elle était organisée en caciquats dont certains sont mentionnés dans la lettre au roi de Velázquez (1er avr. 1514): Camagüey, Savanaque, Guamuhaya, Habana, Baracoa, Bayamó. Appartenant au groupe des Arawaks, sauf les Guanahacabibes du cap San Antonio, les Indo-Cubains avaient une agriculture à haut rendement pratiquée en conucos (petites propriétés), à base de manioc, de patates douces, d’ignames, de haricots et de maïs. Ils cultivaient également le coton, le tabac, la papaye et se nourrissaient du produit de leur pêche. Les premières localités espagnoles, les villas, s’établirent dans les zones de population indigène abondante et sur l’emplacement des mines d’or: Bayamó, Trinidad, Sancti Spiritus, Puerto Príncipe (Nuevitas), San Cristóbal de la Habana, Baracoa et Santiago de Cuba. Entre 1511 et 1520, c’est-à-dire en moins d’une décennie, la population indigène de Cuba s’amenuise de manière catastrophique. En 1571-1572, il n’existe plus que 270 foyers d’Indo-Cubains qui vivent dans une situation de misère extrême. Cet effondrement démographique lié à l’épuisement du cycle de l’or – qui s’achève au milieu du siècle – explique le rôle que va jouer Cuba dans la conquête du Mexique et de la Floride. De 1519 à 1522, la plupart des Espagnols qui n’ont plus d’indigènes pour travailler la terre s’engagent derrière Hernán Cortés dans l’entreprise de la Nouvelle-Espagne.

Économie sucrière et esclavage

Du milieu du XVIe siècle au milieu du XVIIIe, Cuba renouvelle très lentement sa population sur la base d’une économie esclavagiste. On compte en 1544 – au moment le plus aigu de la dépression démographique – quelque 322 foyers européens (surtout espagnols, mais également des Italiens, des Allemands et des Portugais), 1 000 naborías, Indiens employés au service domestique, et 800 esclaves nègres et indiens. Deux siècles plus tard, en 1755, on recense environ 170 000 habitants dont 30 000 esclaves. Certains traits de l’économie et de la société cubaines, perceptibles au cours de cette phase, vont s’imposer pendant longtemps: – Le choix du port de La Havane comme station de transit du système des flottes de retour qui s’organisent vers 1540 pour convoyer les navires marchands jusqu’à Séville va favoriser la concentration du commerce. – Une économie sucrière s’établit à partir des premiers ingenios de azúcar (moulins à broyer la canne) et des trapiches (petits moulins à sucre) qui sont construits au cours de la première moitié du XVIe siècle. La main-d’œuvre est fournie par un apport irrégulier de travailleurs originaires du continent africain transportés par le canal de la traite négrière. Les Nègres esclaves qui travaillent aussi bien sur les cañaverales (champs de canne à sucre) que dans les ingenios et les mines de cuivre deviennent un facteur déterminant de la production et de l’exportation orientée vers l’Espagne. Leur nombre s’accroît au XVIIe siècle en fonction des besoins du commerce colonial d’exportation des sucres qui passe par La Havane surtout après 1580. Le développement d’une économie sucrière et du nombre des Nègres ne se fait pas sans poser de graves problèmes à la colonie. La résistance des Nègres fugitifs – les Nègres cimarrones – s’intensifie, provoquant la constitution de groupes spécialisés de chasseurs d’esclaves accompagnés de chiens, les rancheadores. Parallèlement, le nombre des Nègres libres s’accroît: 31 000 en 1774, 60 000 en 1804. – La culture du tabac se pratique dans de petites fermes établies dans des plaines (vegas), de préférence près des cours d’eau. Les planteurs de tabac (vegueros) se heurtent aux commerçants pour exporter leurs récoltes et aux propriétaires fonciers, les latifundiaires, parce qu’ils doivent leur payer la rente des terres. Très combatifs, ces agriculteurs ont également à se défendre contre le Trésor royal qui, vers 1680, cherche à contrôler les prix. Malgré un décret royal qui établit le monopole des tabacs au début du XVIIIe siècle, les vegueros se soulèvent à trois reprises contre l’autorité coloniale en 1717, 1721 et 1723, allant jusqu’à menacer La Havane pour faire entendre leurs revendications. – L’instauration du monopole espagnol à La Havane provoque les entreprises des adversaires de cet exclusif colonial. L’étendue des côtes cubaines facilite la contrebande avec la course étrangère. Aventuriers, flibustiers et boucaniers anglais, hollandais, français viennent tenter les colons du sud et de l’est de Cuba en leur portant les produits européens qui leur manquent. C’est ainsi que ces éleveurs et agriculteurs, en majorité des créoles, nés dans l’île, plus cubains qu’espagnols, producteurs de cuirs, de viande boucanée, de tabac, d’indigo, peuvent vivre pendant longtemps de manière autonome, les communications avec l’autorité centrale étant difficiles. Cette classe de grands propriétaires jouera plus tard, au XIXe siècle, un rôle dirigeant dans le processus d’émancipation coloniale.

Triomphe du capital commercial

Des transformations notables interviennent dans l’agriculture et dans l’économie cubaines, entre 1760 et 1840. C’est en premier lieu l’occupation de La Havane par les Anglais en 1762 au cours de la guerre de Sept Ans. Pendant ces dix mois d’occupation, l’ouverture du grand port au commerce international est un puissant facteur de stimulation pour l’économie de l’île. Les Anglais font venir plus de 10 000 Africains et s’entendent avec des colons pour d’autres importations illégales. L’accumulation du capital commercial et la montée des forces productives déclenchent un «boom» commercial que reflètent nettement les comptes de La Havane. Les exportations, qui doublent de 1763 à 1774, passent de 612 000 pesos en 1763 à 11 millions en 1790. À l’instigation du roi Charles III, des réformes libèrent le commerce entre Cuba et les ports espagnols (1765-1778). Avec l’autorisation de l’Espagne, un commerce en droiture peut même s’effectuer de 1779 à 1783 entre Cuba et les États-Unis d’Amérique. C’est la guerre d’indépendance haïtienne qui, à partir de 1791, en ruinant les plantations françaises de Saint-Domingue, fait triompher sur les marchés européens les produits cubains, avec de fantastiques hausses de prix. Dernier facteur de changement: les guerres de libération coloniale des colonies sud-américaines, qui profitent de l’occupation de l’Espagne par les Français. Des Français réfugiés installent des plantations de café dans l’est de l’île. Grâce à un approvisionnement en esclaves africains plus régulier (cédule royale du 28 février 1789), le nombre des ingenios se multiplie dans la partie occidentale autour de Matanzas et de La Havane. La population s’accroît de manière significative au cours de cette période, passant de 273 000 habitants en 1791 à 645 000 en 1820 et à plus d’un million en 1840. Les conditions de plus en plus dures de l’exploitation esclavagiste entraînent le soulèvement des Nègres, dont le nombre s’est accru de manière considérable. Plusieurs révoltes éclatent en 1795 (André Morales), en 1812 (José Antonio Aponte), en 1825 et en 1843 dans la région de Matanzas. Dans les montagnes de l’Est, particulièrement la Sierra del Cristal, et dans les montagnes de Pinar del Río se sont constitués des palenques (campements fortifiés) de Nègres fugitifs qui résistent à toutes les attaques.

Après 1820, la traite négrière se réfugie dans la clandestinité: c’est l’ère de la contrebande des Africains qui subsiste jusqu’en 1886 malgré le traité de 1817 passé avec l’Angleterre qui proclame l’arrêt du commerce des esclaves. Le trafic négrier va durer encore pendant plus d’un demi-siècle avec la triple complicité de commerçants et d’aventuriers nord-américains, anglais et espagnols auxquels se joignent des trafiquants cubains, de hauts fonctionnaires de l’appareil d’État colonial résidant soit à Madrid soit à Cuba même (gouverneurs, fonctionnaires coloniaux) et des membres de la classe des possédants, planteurs, industriels ou financiers qui voient dans ce commerce illégal la possibilité de prélever des bénéfices considérables. Seule la crainte d’une insurrection d’esclaves qui prendrait la forme de celle de Saint-Domingue oblige certains éléments de la classe des propriétaires terriens tels que Félix Varela en 1823, Francisco de Arango y Parreño en 1828 et José A. Saco à réfléchir sur les conséquences de la contrebande et à évoquer timidement sa suppression. Ce qui préoccupe surtout ces propriétaires esclavagistes, c’est l’augmentation des esclaves qui, à partir de 1840, deviennent plus nombreux que les Blancs dans l’île. On recense en effet, en 1841, 436 495 Nègres esclaves et 152 838 gens de couleur libres face aux 418 291 Blancs. Au vrai, toute l’oligarchie blanche de Cuba se complaît dans ce commerce frauduleux et dans ce système qui lui est si bénéfique. Ce n’est donc pas elle qui arrêtera le commerce interlope ni qui mettra fin au mode de production esclavagiste. Car la fin de celui-ci équivaut pour elle à la fin du profit esclavagiste. Le travail et le surtravail gratuits ayant disparu, la classe des propriétaires terriens perd, en définitive, la possibilité de se reproduire comme classe économique et sociale. Il existe des rapports fonctionnels réciproques entre la production, le commerce et la population d’esclaves, qui expliquent par exemple que la croissance d’un de ces facteurs ait des répercussions obligatoires sur les deux autres et réciproquement. À Cuba, c’est le commerce qui a stimulé l’augmentation des esclaves et provoqué le développement de la production.

Crises économiques

La décennie 1830-1840 voit progresser les terres à sucre d’ouest en est. Vers 1837, après l’inauguration du chemin de fer et du canal de Guines, les plantations de canne à sucre s’installent dans la vallée du même nom. Puis les sucreries s’étendent vers l’est, occupent l’intérieur des plaines de La Havane, Matanzas et vont ainsi jusqu’à Colón. Le Centre et l’Est demeurent en marge de ce mouvement quoique apparaissent de nouvelles sucreries à Sancti Spiritus, Nuevitas et Puerto Príncipe par où le sucre peut s’exporter directement. Dans la province de l’Oriente, l’industrie sucrière reste encore prisonnière des structures du passé. Les plantations de tabac se maintiennent de plus en plus difficilement dans les riches vegas octroyées par le monopole d’État et le décret royal du 11 mars 1797, et dans les régions de La Havane et de Matanzas. L’abolition du monopole par décret royal du 23 juin 1817 relance la production sur des bases nouvelles (nouveaux marchés américains). L’industrie du tabac se fractionne en industrie des cigares, qui se diffuse de manière spectaculaire dès la fin du XVIIIe siècle, et en industrie de la cigarette, qui se répand à la même époque. Les ateliers se multiplient et, vers 1830, se développe une grande industrie capitaliste du tabac orientée vers l’exportation en direction des États-Unis. Les transformations techniques qui interfèrent vers 1840 ont des répercussions profondes sur la production. Des innovations telles que les broyeurs horizontaux à triple cylindre, la machine à vapeur, les chaudrons de cuisson et de cristallisation par le vide augmentent considérablement le rendement. Des brevets sont appliqués avec succès (brevet Rillieux et brevet Derosne) pour réduire les pertes occasionnées par les anciennes techniques de type «train jamaïcain» (système d’engrenages). Les usines dotées de ces perfectionnements ont davantage besoin de terres de culture pour alimenter leur plus grande capacité de production. La mécanisation apparaît aussi dans l’industrie du tabac et dans les mines, et a des conséquences graves: chômage, formation d’une classe d’ouvriers spécialisés obligés souvent de s’expatrier, mouvement ouvrier organisé qui surgit vers 1860-1870. Vers 1860, les États-Unis s’attribuent une part prépondérante dans le commerce d’exportation avec 62 p. 100, la Grande-Bretagne en ayant 22 p. 100 et l’Espagne 3 p. 100. Dans le commerce d’importation, en revanche, la part de l’Espagne représente 30 p. 100, celle des États-Unis et de la Grande-Bretagne, 20 p. 100 chacune. La crise économique de 1857-1866 freine le développement de ce capitalisme colonial en diminuant les crédits injectés dans le processus de rénovation industrielle. La main-d’œuvre est donc également touchée et, avec elle, la production qui se trouve paralysée. Le chômage devient une composante constante de l’économie cubaine: 5 000 ouvriers du tabac vers 1860. Cette crise a pris naissance en Grande-Bretagne en 1845-1847 et se répercute à Cuba sous la forme d’une baisse soudaine et forte des prix et du volume des exportations de sucre. Le processus s’accentue avec la spéculation et l’inflation qui sèment la panique aux États-Unis en 1855-1856, et aboutit en 1857 à des faillites et à des banqueroutes spectaculaires. L’exportation du sucre s’en ressent durement en raison de la dépression qui frappe de plein fouet les économies nord-américaine et britannique jusqu’en 1866. La guerre de Dix Ans, en 1868-1878, masque la crise financière qui frappe les banques (Banque espagnole, Crédit territorial et Caisse d’épargne et d’escompte), mais, en dévastant les provinces de Las Villas, Camagüey et Oriente, elle détruit l’agriculture et toutes les anciennes formes d’exploitation de la terre, laissant donc la place vacante après 1878 pour les grands centres industriels qui réclament de vastes plantations (latifundia).

Destruction du système esclavagiste

La guerre de Dix Ans, qui pour certains est la première guerre de libération, commença le 10 octobre 1868 par la réunion du groupe de manzanilleros commandés par Carlos Manuel de Céspedes sur son domaine de la Demajagua et par la proclamation d’un manifeste. Ceux qui refusent de voir dans ce conflit une guerre de libération évoquent à l’appui de leur thèse l’incertitude et l’ambiguïté des aspirations politiques formulées par les responsables, la tiédeur de leur sentiment abolitionniste et surtout les limites de leurs revendications strictement économiques. Il suffit de lire le manifeste d’octobre 1868 que lancent Céspedes et ses amis pour comprendre la réalité et l’importance des contradictions qui minent le mouvement dès sa naissance. La fraction des classes dominantes qui dirige la guerre ne parvient pas à dépasser ses intérêts de classe et à poser clairement le problème de l’indépendance et de la rupture définitive avec la puissance coloniale. Cette hésitation finira par des négociations avec les représentants de l’armée espagnole en 1878 et marque de son sceau la fin de la guerre (pacte du Zanjón: 10 février 1878). Le développement de la guerre va modifier considérablement la situation économique et sociale en inaugurant un processus de destruction du système esclavagiste, en provoquant une transformation des structures économiques et en favorisant le passage du capitalisme colonial à l’impérialisme. Enfin, il est la cause de l’apparition des partis de classes qui sont les illustrations d’une forme originale de la lutte des classes, exacerbée au cours de cette période. La transition du capitalisme colonial à l’impérialisme s’opère vers 1880 avec la domination des trusts américains, qui ne cesse de s’accentuer. José S. Jorrín note en 1881 l’achèvement du procès de concentration des forces productives et la perte du pouvoir économique de la classe traditionnelle des anciens maîtres esclavagistes. Ce n’est là pourtant que le début d’un processus qui touche les trois secteurs déterminants de l’économie cubaine: sucre, tabac et mines. Vers 1880, les États-Unis ont organisé dans l’Est leur industrie de raffinage de manière à pouvoir traiter le sucre brut en provenance de Cuba. Cette nouvelle orientation du marché américain s’accompagne de dispositions financières qui visent Cuba. Les investissements américains s’accroissent et provoquent une véritable mutation économique dans tous les secteurs clés de la production de l’île. Dans l’industrie sucrière, ils se concentrent et finissent par imposer en 1887 l’organisation de la Sugar Trust créée par le magnat Henry C. Havemeyer. L’esclavage est définitivement aboli en 1886.

Domination et exploitation

L’augmentation du capital financier en provenance des États-Unis se manifeste dans les mines par l’installation à Cuba, en 1883, de la Bethlehem Pennsylvania Steel, sous le nom de Juragua Iron Co., qui obtient la concession de l’exploitation exclusive du fer de la province de Santiago. À partir de ce moment, les grands trusts américains remplacent les compagnies anglaises et possèdent le monopole absolu d’exploitation des minerais de l’île. La concentration financière réussit à réunir sous la couverture des trusts les plantations de tabac (vegas) et les manufactures de cigarettes (tabaquerías). Les Tobacco Trusts se constituent en 1888 autour du géant, la puissante Henry Clay & Bock Co. Ils rachètent d’importantes vegas et pratiquent le salariat libre. Il faut souligner la ponction fiscale massive opérée par l’Espagne et le cadre dans lequel évolue ce prélèvement: le cadre des structures coloniales. Cuba est devenue certes une colonie économique des États-Unis, mais elle reste, jusqu’en 1898, une colonie politique de l’Espagne. Et cette dernière veut profiter jusqu’au bout de sa situation de puissance coloniale comme toutes les autres puissances placées dans la même situation d’exploitation. C’est dans le domaine fiscal que s’observe le plus clairement l’insatiabilité de l’Espagne. L’État péninsulaire absorbe en moyenne annuelle un budget d’État colonial de La Havane équivalent au tiers de son propre budget. Or, Cuba ne représente pas 6 p. 100 de la population espagnole. Ce budget d’État colonial est entièrement dépensé par Madrid pour ses propres besoins, en particulier pour financer ses guerres coloniales (guerre de Dix Ans, guerre hispano-cubaine de 1895-1898). À partir de 1880, une aggravation de la fiscalité sur les revenus du capital se traduit par de nouvelles taxes industrielles (1881), la loi des relations commerciales de 1882 et la double augmentation du profit colonial global et du profit colonial d’État. Le profit colonial global se décompose en profit colonial (revenus fiscaux ou budget), profit administratif, profit commercial, profit industriel, etc. La fraude prend une dimension internationale après la promulgation de la loi de cabotage de 1882. Les pays étrangers (Grande-Bretagne, France, États-Unis) prennent l’habitude d’envoyer leurs marchandises d’abord en Espagne, pour qu’elles repartent ensuite sur des navires espagnols en direction de Cuba. Elles pénètrent ainsi exemptées de tout droit sous nationalité espagnole. Ce qui augmente singulièrement les revenus de l’État espagnol et fait la fortune des ports de la Catalogne, de Santander, de La Corogne et de Cadix. Par contre, les finances cubaines n’ont pas tardé à ressentir cruellement les effets de cette ingénieuse combinaison. Ces facteurs entraînent l’accroissement du chômage dans tous les domaines: vegas, cañaverales. La situation sociale devient alarmante, voire explosive, comme dans le secteur industriel du tabac où 100 000 ouvriers se retrouvent sans emploi après la création des trusts et la mécanisation. Les salaires sont très bas, le salaire nominal n’a pas varié de 1850 à 1890. Or, le coût de la vie, qui était déjà très élevé dans la première moitié du siècle, atteint un sommet. Les produits manufacturés viennent des grandes puissances étrangères et se vendent à prix d’or sur le marché cubain.

Peut-on chiffrer le montant des investissements américains vers 1895? Le président Cleveland, dans son message sur l’état de l’Union en décembre 1876, ne cache pas que les États-Unis entretiennent avec Cuba des «rapports qui, en aucun cas, ne sont d’un caractère sentimental ou philanthropique». Il constate la progression de la balance commerciale américano-cubaine qui s’élève de 64 millions de dollars en 1889 à 103 millions en 1893. Soit une augmentation de 62 p. 100. Sur la foi des chiffres exposés par le président des États-Unis, on évalue le capital global des États-Unis à Cuba à 50 millions de dollars. Une analyse plus minutieuse des sources montre qu’il faut multiplier ce chiffre par au moins dix pour obtenir le montant réel des intérêts américains. On peut d’ailleurs comparer ces investissements à ceux qu’engage la France dans les affaires espagnoles qui relèvent de la dette coloniale et atteignent vers 1897 plus de 4 milliards de francs (exactement 4 milliards 384 millions de francs). Il y a en outre une énorme dette contractée par la Péninsule qui demeure encore inchiffrable. Dans cette phase de l’impérialisme, les États-Unis se taillent la part du lion; la France n’arrive qu’en seconde position, surtout comme créancier de l’Espagne pour l’aider dans la lutte qui l’oppose aux révolutionnaires cubains.

Partis des classes dominantes

Vers 1890-1895, quatre classes sociales s’opposent à Cuba: une classe de gens de couleur libres, une classe d’anciens propriétaires terriens qui se retrouvent ruinés par la transition impérialiste et la destruction du système esclavagiste, une classe de technocrates employés dans l’appareil d’État colonial et qui sont les piliers de la domination – et de l’oppression – espagnole, une classe de capitalistes, négociants, gérants de trusts américains, anglais, allemands, français, qui détournent à leur profit une grosse part des revenus du capital de Cuba. La destruction du système esclavagiste pose à la société cubaine un redoutable problème politique. Comment répondent les partis? Le Parti de l’union constitutionnelle, créé en 1878 au sortir de la guerre de Dix Ans, regroupe tous les gros commerçants, les boutiquiers et les employés de commerce. Il fournit à l’État colonial le contingent habituel de fonctionnaires et de volontaires de la répression, organisés en milice d’une cruauté sanguinaire. Le P.U.C. vise essentiellement à conserver le statut colonial de l’île sous la tutelle de l’Espagne. Le Parti réformiste naît d’une scission du P.U.C. le 30 octobre 1893, mais à cette date il a déjà derrière lui une longue tradition de réformisme. L’historiographie cubaine ne cesse pas de chanter les louanges de ce parti, qui serait le creuset du mouvement de libération. Cela n’est pas si sûr. Le réformisme dont il s’agit n’a-t-il pas commencé par être une simple doctrine économique prônant le libre «laissez-passer» des esclaves sur le marché colonial? Depuis la prohibition de la traite négrière en 1820, les réformistes se recrutent parmi ces hacendados et ces señores de ingenio qui n’hésitent pas à dépenser annuellement 30 millions de dollars pour se procurer du «bois d’ébène». Ce réformisme résolument esclavagiste se retrouve dans la seconde moitié du siècle dans le mouvement réformiste qui donne quelques-uns de ses membres à la commission de la Junte d’information érigée de 1865 à 1867 par l’État espagnol pour gagner du temps. Les réformistes sont à cette époque des propriétaires de moyens de production qui veulent tenter de trouver un compromis avec les technocrates de la métropole. Ils comptent parmi leurs membres de brillantes personnalités créoles: José Antonio Saco, José Miguel Ángulo Y Heredia, Manuel de Armas, Manuel Ortega, Calixto Bernal, le comte de Pozos Dulces, José Morales Lemus. Il est significatif que le Manifiesto del Partido reformista publié à La Havane le 12 mai 1865 se termine par ces mots: «Notre cause ne peut être perdue face à la grande nation espagnole au sein de laquelle nous aspirons à voir croître et se perpétuer le destin de cette importante et glorieuse Antille.» Le programme en deux points que publie le parti le 30 octobre 1893 n’est pas si éloigné de ce manifeste. Le parti demande une application stricte de la Constitution de l’État monarchique, seule garante des droits du citoyen. Il réclame sur le plan économique une réorganisation du système administratif, la réforme des tarifs douaniers et un programme d’assainissement financier (suppression de la loi des relations commerciales, de l’impôt sur le tabac, de l’impôt industriel sur le sucre, libre vente du tabac en Espagne, liquidation de la dette). Il est important de souligner que, comme leurs anciens amis du P.U.C., les réformistes n’ont qu’une seule nation: l’Espagne.

Le Parti autonomiste se constitue le 1er août 1878, mais il traîne également avec lui un passé doctrinaire. C’est en 1811 que le père José Agustín Caballero rédige une Exposición a las Cortes españolas, qui devait être présentée par le député cubain de La Havane, Andrés de Jauregui, aux Cortes. Cet exposé comprend quarante-cinq considérations et quinze propositions, dont un projet de gouvernement autonome pour Cuba. Cette même année 1811, le consulado de Agricultura y Comercio de La Havane met au point un plan d’autonomie non publié. Aux Cortes, le père Félix Varela (1788-1853), qui représente Cuba depuis 1822 – avec Leonardo Santos Suárez et le Catalan Tomás Gener –, dépose un Proyecto de gobierno autonómico pour les provinces d’outre-mer. Un autre projet est aussi préparé par Domingo del Monte en 1838 pour être présenté à la reine régente par l’ayuntamiento de La Havane. Tous ces projets sont refusés et tombent dans l’oubli. Le Parti libéral (1878 à 1881), devenu Parti libéral autonomiste à partir du 1er avril 1882, a un programme en trois parties qui couvrent les questions sociales, politiques et économiques. Sur le plan social, le parti réclame une indemnisation pour les anciens propriétaires d’esclaves, une réglementation simultanée du travail des gens de couleur libres et leur éducation sociale, morale et intellectuelle, une immigration exclusivement blanche. Le Parti libéral autonomiste se désintéresse de la question des indemnités pour les anciens esclaves qui sortent de quatre siècles d’oppression et de labeur continus. Seule la situation des maîtres blancs le préoccupe au moment où s’effondre le mode de production esclavagiste à Cuba. Il veille aussi à contenir la pression des Nègres et se propose de les confier aux doctes mains des religieux qui tiennent les registres de l’éducation en Espagne. Derrière la liaison entre éducation et travail apparaissent clairement des motivations idéologiques. L’idéologie dominante des maîtres blancs veut se perpétuer grâce à l’aliénation des nouveaux hommes libres, alors que ceux-ci tiennent encore leurs armes, les armes de leur propre libération. Le dernier aspect laisse percer le racisme viscéral qui anime les membres du Parti libéral autonomiste. Ils sont tous saisis par la peur: peur de l’augmentation de la population afro-cubaine, peur qu’elle n’impose ses volontés sur le marché du travail, salaires élevés, refus de travailler, etc. Comme aux États-Unis à la même époque – à la fin de la Reconstruction –, les Blancs veulent contrebalancer la montée des Nègres libres en prônant une immigration blanche en provenance d’Europe principalement. Les immigrés reçoivent des terres, trouvent des emplois, et leur présence neutralise ainsi la poussée des Afro-Américains à qui devraient aller, en toute logique, ces emplois et ces terres. La question économique se formule en quatre points: suppression du droit d’exportation sur tous les produits de l’île, réforme des tarifs douaniers, abaissement des droits de douane à l’entrée en Espagne des sucres et miels de Cuba, traité de commerce entre l’Espagne et les nations étrangères, particulièrement les États-Unis. Les trois partis précédents: Parti de l’union constitutionnelle, Parti réformiste et Parti libéral autonomiste représentent en somme des nuances variées de la juridiction coloniale, approuvée par tous leurs membres. Pour eux tous, Cuba est et doit rester une partie de l’Espagne: colonie ou province. Or, le consul français Monclar le dit brutalement en 1886, il existe «dans l’île un groupe de cinq cent mille Noirs que l’Espagne aura toujours de la peine à considérer comme hidalgos».

Le Parti révolutionnaire cubain

À Cuba se constitue très tôt, forgé au combat, un Parti révolutionnaire cubain qui entreprend sous la direction d’hommes lucides, tels José Martí et Antonio Maceo, d’appliquer sa théorie révolutionnaire pour sortir Cuba du guêpier colonialiste et impérialiste. Les bases du Parti révolutionnaire cubain sont jetées en novembre-décembre 1891 en Floride à Cayo Hueso et à Tampa où résident de nombreux émigrés cubains. Un programme d’action en neuf articles est alors adopté, avec un objectif déterminé: «l’indépendance absolue de l’île de Cuba»; le Parti révolutionnaire cubain s’appuie sur le peuple des opprimés. De plus, c’est un parti clandestin régi par des statuts secrets. Quatre ans plus tard, le projet de guerre révolutionnaire d’indépendance devient une réalité et les événements se précipitent. Le 29 janvier 1895, le soulèvement armé est proclamé de New York, le 24 février l’étincelle est mise dans l’île et, le 25 mars, José Martí et Máximo Gómez rédigent le manifeste de Montecristi pour justifier leur lutte. José Martí (1853-1895), dont le nom reste attaché aux destinées du Parti révolutionnaire cubain, est né à La Havane le 28 janvier 1853; il a eu une carrière aventureuse de révolutionnaire dès son plus jeune âge, n’ayant pas dix-huit ans quand il fut forcé d’émigrer au début de la guerre de Dix Ans (15 janvier 1871) après avoir été enfermé, les fers aux pieds, sous le numéro matricule 113 aux carrières de San Lázaro. Martí acquiert dans l’exil – il vit d’abord en Espagne (1871-1874), puis au Mexique (à partir de février 1875), au Guatemala (à partir de janvier 1877), au Venezuela et aux États-Unis (à partir de janvier 1880) – une expérience révolutionnaire qu’il s’empresse de mettre en pratique pour libérer son pays. Le manifeste de Montecristi est un document exceptionnel dans lequel se déploient la sagacité politique et la vision extraordinaire de Martí. Le Parti révolutionnaire cubain souligne certains objectifs décisifs: la nouvelle phase de guerre de la révolution d’indépendance commencée à Yara. Le Parti révolutionnaire cubain entreprend une guerre d’indépendance «inextinguible», il veut éviter les erreurs commises par les «républiques féodales théoriques de l’Amérique espagnole». Il préconise une guerre du peuple menée démocratiquement, avec l’appui des masses opprimées afro-cubaines. Martí s’emploie à réunir toutes les énergies. Il commence par s’appuyer sur des bases sociales constituées de groupes d’exilés politiques et de travailleurs émigrés. Patiemment, il tisse un impressionnant réseau de comités, de sous-comités et de cellules à travers tout le continent américain. Les États-Unis viennent en tête avec une soixantaine de sous-comités: à Philadelphie, à La Nouvelle-Orléans et dans plusieurs villes du littoral de la mer des Caraïbes. Il y a aussi des cellules dans les pays suivants: Mexique, Chili, Pérou, Colombie, Brésil, Bolivie, Venezuela, Saint-Domingue. Tous ces groupements sont coiffés par un comité révolutionnaire dirigé par un comité central présidé par José Martí. Sa clairvoyance va si loin qu’il parvient dans un saisissant raccourci prophétique à identifier les deux adversaires irréductibles de toute tentative pour former une nation cubaine. Le parti se donne pour mission secrète de combattre l’État colonial jusqu’à l’indépendance pour se libérer de la pesante tutelle de l’Espagne, et d’éviter de tomber dans le piège de l’intervention des États-Unis, qui n’attendent que cette occasion pour s’installer à Cuba car «... une fois les États-Unis à Cuba, qui les en sortira!». Or Martí sait qu’il existe «un plan plus ténébreux que ceux que nous avons connus jusqu’à présent. C’est le projet infâme qui consiste à contraindre l’île, à la précipiter dans la guerre, pour avoir le prétexte d’y intervenir et, paré du prestige de médiateur et garant, d’y rester.» Son objectif économique à court terme est d’abattre les sources de profit de l’État colonial en portant la guerre dans les riches provinces de l’Ouest (Pinar del Río, La Havane, Matanzas), qui n’avaient pas été touchées par la guerre de Dix Ans, et en s’attaquant ainsi au commerce d’exportation. À plus long terme, il projette de réorienter l’économie cubaine en réformant les structures de production considérées non plus en fonction des marchés de consommation des métropoles dominantes, mais par rapport aux nécessités du marché intérieur.

Le mouvement annexionniste

L’historiographie cubaine a consacré le terme anexionismo (annexionnisme) pour caractériser une impulsion politique partie simultanément de Cuba et des États-Unis dans le premier quart du XIXe siècle et qui trouva en Jefferson et en John Quincy Adams des promoteurs très intéressés. Leur projet avorta par peur d’avoir à affronter l’Angleterre dans une guerre. Mais le mouvement réapparut, très vivace, vers 1840, sous la pression de l’aggravation de la fiscalité coloniale, du capitalisme colonial associé à l’accroissement du capital américain dans l’île, des courants abolitionnistes et de la peur d’une rébellion des Afro-Cubains et d’une transformation des rapports de production esclavagistes. De violentes insurrections d’esclaves qui éclatent en 1840-1850 jettent une grande partie de la classe des propriétaires terriens, effrayés mais accrochés à leurs profits esclavagistes, dans les bras du Sud des États-Unis, seul capable à leurs yeux de les protéger efficacement et de les aider à perpétuer le système. La fidélité à l’Espagne, qui jusqu’ici a été l’apanage de cette classe qui attendait des réformes de la métropole, s’en trouve très compromise. Deux groupes s’affrontent: ceux qui prônent l’annexion aux États-Unis, comme le général Don Narciso López, et qui n’ont qu’un désir: maintenir l’appareil d’État colonial et écraser le nationalisme naissant, révolutionnaire, de la classe des gens de couleur; ceux qui refusent de jouer la carte des États-Unis et veulent rester à l’ombre de l’Espagne, comme José Antonio Saco, qui rédige en 1848 contre l’annexion une brillante diatribe intitulée Idées sur l’incorporation de Cuba aux États-Unis. Répression contre les Nègres et promesses de réformes faites aux maîtres blancs affaiblissent le mouvement annexionniste dans la décennie 1855-1865, mais la guerre de Dix Ans remet tout en cause. Le problème se repose avec éclat, dans la décennie 1880-1890, avec la crise économique qui marque une période de transition du capitalisme colonial à l’impérialisme où dominent les grands trusts américains. Entre 1890 et 1895, l’annexionnisme se découvre de nombreux adeptes qui n’hésitent pas à envoyer en délégation un groupe de planteurs et d’hommes d’affaires qui vont de Cuba à Madrid pour «justifier et appuyer la représentation de Mr. Forster». C’est le moment des préliminaires du traité de réciprocité hispano-américain, en 1891. La délégation, à son retour, manifeste ouvertement ses inclinations annexionnistes par des discours partisans. De connivence avec ces bourgeois cubains pressés de se mettre au service des États-Unis, on trouve des «Espagnols riches qui se montrent de plus en plus annexionnistes, moins en haine des Cubains que par besoin de garantie pour leur sécurité et leurs biens». Un observateur français, le consul Paul Martin, déclare à ses supérieurs en septembre 1898: «J’ai tenu Votre Excellence au courant du mouvement d’opinion qui porte les Espagnols péninsulaires à désirer l’annexion aux États-Unis.» José Martí a sévèrement fustigé ceux qui s’apprêtent à vendre leur pays aux États-Unis et à changer de maîtres: «Jamais n’ont été si près de converger les annexionnistes aveugles de l’île et les annexionnistes yankees.» Quant aux annexionnistes yankees, ils se démènent dans la voie nouvelle que leur offre la diplomatie du dollar inaugurée au milieu du XIXe siècle. En 1854, Cuba est mise aux enchères: la mise à prix est fixée à 120 millions de dollars maximum. Les vendeurs sont les ministres des États-Unis, de la Grande-Bretagne, de la France et de l’Espagne qui signent le manifeste d’Ostende fixant l’opération. Les enchères commencent aussitôt, justement aux États-Unis, par la voix du président Pierce qui offre 100 millions de dollars et laisse entendre qu’il peut y ajouter de 20 à 30 millions. Cinq ans plus tard, le Sénat des États-Unis envisage trois solutions pour Cuba: la possession de l’île par une puissance européenne, l’indépendance ou l’annexion. Seule la dernière solution est retenue et la voie de la négociation est conseillée de préférence à celle de la conquête, coûteuse en définitive. Beaucoup de sudistes en 1858 pensent, comme ce notable (Stephen A. Douglas), que «notre destin est de posséder Cuba et c’est une folie de discuter la question. Elle appartient naturellement au continent américain.» Leur défaite et la destruction du système esclavagiste dans le Sud provoquées par la guerre de Sécession repoussent le problème de l’annexion. L’Espagne refuse ces propositions et ce n’est qu’en 1898 que, battue sur le terrain militaire, ruinée financièrement, ne voulant pas perdre la face, elle consent à passer la main, sous le manteau, aux États-Unis, après un simulacre de guerre de trois mois.

La guerre hispano-cubaine (1895-1898)

Au début des hostilités, en février 1895, les Espagnols s’imaginent qu’ils vont mater l’insurrection en expédiant «une armée de cent mille hommes car, affirme le Premier ministre Cánovas del Castillo, nous voulons mettre fin à cette lutte une fois pour toutes». L’Espagne possède dans l’île 21 777 soldats sur place. Quelques mois plus tard, en octobre 1895, Madrid a déjà dépêché 80 000 soldats et se dispose à en envoyer 35 000 autres en novembre, commandés par les généraux Marín et Prado. Les forces espagnoles s’évaluent à 150 000 hommes en juin 1896 et comptent 40 000 soldats de plus en août de la même année. À ce moment, les troupes de répression sont commandées par trois lieutenants généraux (Marín, Prado et Valera), dix généraux de division et vingt-cinq généraux de brigade. En décembre 1896, l’armée péninsulaire compte près de 300 000 hommes en opération. Si l’on compare ce nombre au chiffre de la population cubaine évaluée à 1 800 000 habitants, on trouve un rapport de un soldat pour six habitants à Cuba, record inégalé dans l’histoire mondiale de la répression.

La guerre révolutionnaire

José Martí, Antonio Maceo et les autres chefs du Parti révolutionnaire cubain ont élaboré une théorie politique de la guerre du peuple, qu’ils expérimentent, en s’appuyant sur une stratégie de guerre «inextinguible», sur les masses cubaines, en particulier sur la population afro-cubaine qui a l’expérience de la résistance des negros cimarrones, et sur les cadres du parti formés à l’extérieur. Les insurgés cubains veulent épuiser l’Espagne, la ruiner financièrement et pour cela comptent sur le temps qui joue en leur faveur. Le manifeste de Montecristi parle sans détour d’une «guerre inextinguible» qui doit aboutir inexorablement à une «victoire rationnelle». Le déploiement des opérations militaires se fait donc à la campagne, de préférence dans des zones montagneuses et boisées. C’est ainsi que se trouve privilégiée la province de Santiago de Cuba où s’élève la sierra Maestra qui sert, comme en 1868, de point d’appui de la guérilla. Trois régions militaires sont délimitées; Maceo commande à Santiago, Gómez à Puerto Príncipe, Roloff à Santa Clara. Les objectifs stratégiques de Maceo sont très clairs: d’abord consolider sa base d’appui principale (à Santiago), créer une multitude de bases secondaires, organiser le pouvoir politique du peuple en armes autour de chaque base d’appui, détruire le pouvoir colonial et encercler les centres urbains où subsiste l’oppression tentaculaire du gouvernement colonial. La mobilisation et la politisation des masses sont entreprises pour aider les insurgés; en particulier une intense campagne idéologique vise des régions moins évoluées politiquement: Pinar del Río, Matanzas, La Havane. Le recrutement des militaires s’effectue beaucoup mieux dans les zones de résistance afro-cubaine: Palenque de Sigua, Palenques de Limones, Gran Palenque del Frijol, Palenque de Moa, Palenques de Toa, Rumna, Maluala, Todos Tenemos, Caujerí, Vengan, Sábalos et La Palma. La révolution s’étend également dans la région sucrière de Matanzas, où les autorités constatent avec inquiétude que même les Nègres «sont disposés à se joindre aux forces insurrectionnelles», des Nègres qu’ils croyaient à jamais abrutis par quatre siècles d’esclavage. Toutes les catégories sociales mécontentes de l’État colonial sont touchées par la propagande politique des révolutionnaires; on signale le départ de nombreux habitants des villes et la disparition de médecins, d’avocats, de propriétaires fonciers qui vont rejoindre les insurgés. La situation s’aggrave à mesure que s’effectue la mobilisation des masses, et les autorités de répression s’aperçoivent qu’il ne s’agit plus «d’une insurrection mais d’une véritable révolution qui inquiète au plus haut point le gouvernement espagnol». Les combattants du Parti révolutionnaire cubain ont élaboré une technique d’invasion par mer qui a un triple objectif: procéder au débarquement des principaux chefs militaires qui vivaient en exil, prévoir l’approvisionnement en matériel, armes, munitions, médicaments, assurer la communication avec les bases étrangères (finances). L’Espagne a beau renforcer la surveillance des côtes cubaines avec l’aide du gouvernement fédéral qui lui vend des canonnières ou qui l’aide avec ses propres navires, les insurgés parviennent à déjouer les lignes de défense avec une grande facilité. L’armée des insurgés se compose de troupes spéciales levées en des points déterminés par des chefs locaux dont la réputation a su grouper autour d’eux un certain nombre de partisans. Du point de vue de la hiérarchie, le commandement supérieur est exercé sans conteste par Máximo Gómez, né à Santo Domingo en 1836 et surnommé El Chino Viejo. Il porte le titre de général en chef de l’armée de la liberté. Après lui vient le  mulâtre Antonio Maceo, jouissant lui aussi d’un pouvoir très étendu et d’un grand prestige. Il est né à Santiago en 1848; d’abord muletier puis volontaire de l’insurrection de 1868, il a gagné ses galons de major-général à la fin de la guerre. Derrière ces deux têtes pensantes viennent d’autres cabecillas tels que José Maceo, le frère d’Antonio, né en 1850, les généraux Bartolomé Masso, Carrillo et García, le Polonais Roloff, cubain de cœur, et des chefs militaires comme Zerafín, Sánchez, Zayas, Lácrez, José Races, Quintín Banderas. Sur le front proprement dit, la tactique de guerre de guérilla comporte chez les révolutionnaires cubains trois niveaux d’exécution, la guerre de mouvement, la guerre de souplesse et la guerre clandestine.

Défaite de l’armée espagnole et intervention des États-Unis

Quant à l’Espagne, elle livre une guerre coloniale qui se déroule de son point de vue en trois phases, chacune placée sous la houlette d’un généralissime. Trois chefs militaires prestigieux, valeureux, qui vont pourtant échouer lamentablement dans leur effort de «pacification». Trois échecs retentissants qui causeront leur perte d’abord, et celle de l’Espagne ensuite: échec du maréchal Martínez Campos; échec du général Weyler; échec du maréchal Blanco. Malgré la guerre à outrance que fait Weyler de février 1896 à octobre 1897 et qui conjugue le pillage systématique, la destruction de la production et de la propriété, les camps de la mort (camps de concentration), les troupes insurgées transforment leurs opérations militaires et s’engagent dans un processus de guerre de position caractérisée par des mouvements de combat de corps d’armée, en 1896. L’effondrement de l’État colonial est tel à la campagne – alors que les villes sont encerclées et que le pouvoir de l’État colonial s’asphyxie – que l’Espagne dépêche à Cuba en octobre 1897 le maréchal Blanco avec l’intention secrète de concéder l’autonomie. C’est compter sans la bourgeoisie conservatrice qui entend faire appel aux États-Unis. En septembre 1895, les insurgés se sont donné une constitution, celle de Jimaguayu, et un gouvernement provisoire. Deux ans plus tard, alors que Martí et Maceo sont tombés au champ d’honneur, une assemblée des représentants se réunit le 2 septembre 1897 pour modifier la constitution (Constitution de Yara) et nommer un nouveau Conseil de gouvernement. Au début de l’année 1898, les Espagnols, battus sur le terrain, n’ont plus qu’une solution, comme le rapporte l’ambassadeur de France à Madrid, qui apprend au cours d’une entrevue avec la reine d’Espagne que des «préoccupations dynastiques et la crainte d’une révolution dans la Péninsule» font que «des esprits sages pensent qu’il vaudrait mieux en finir de suite et voient dans l’attitude des États-Unis une ressource». Depuis 1896, la situation s’est dégradée brutalement dans la Péninsule. L’Espagne est menacée par une crise économique et financière, par une crise sociale – des soulèvements ont lieu à l’occasion du départ des réservistes en Navarre, en Aragon, en Catalogne et dans les ports d’embarquement à destination de Cuba – et par une crise politique qui se caractérise par le réveil des carlistes. La monarchie espagnole est en péril, il lui faut trouver une échappatoire pour sortir la tête haute du piège cubain. Après l’explosion du croiseur Maine – navire chargé par l’État fédéral américain d’une mission de protection des intérêts de Washington –, le 15 février 1898, dans le port de La Havane, le gouvernement espagnol poursuit une politique systématique de provocation envers les États-Unis. Enfin la décision d’intervention militaire est prise le 11 avril 1898 par le président Mac Kinley, se fondant sur l’incapacité évidente de l’Espagne à terminer la lutte, l’éventualité imminente de l’indépendance de Cuba, le principe de l’incapacité des Cubains à s’autodéterminer. Les hostilités vont durer à peine trois mois; un simulacre de combat sur mer et sur terre s’achève par une substitution des pouvoirs à Cuba et par la signature du traité de Paris le 11 décembre 1898. L’importance des investissements français dans la guerre hispano-cubaine de 1895-1898, engagés surtout en Espagne, explique le rôle de médiateur que joue Paris.

3. Néo-colonialisme et dictatures

Après la reddition de l’armée espagnole à Santiago de Cuba, les États-Unis mettent en place un gouvernement militaire d’occupation jusqu’en 1902. L’indépendance formelle est accordée le 20 mai 1902, mais dans la Constitution l’amendement Platt donne aux États-Unis des bases navales (Guantánamo) et le droit d’intervenir à Cuba. Après la dissolution de l’armée de libération cubaine, une armée de mercenaires est créée par les occupants. Des présidents corrompus, véritables fantoches imposés par l’État fédéral nord-américain, s’empressent de remplir leur mission qui est de livrer les richesses du pays au maître étranger. C’est ainsi que les meilleures terres arables, les sucreries les plus importantes, les réserves minérales, les industries de base, les chemins de fer, les banques, les services publics et le commerce extérieur passent sous le contrôle étroit du capital monopoliste des États-Unis. Des interventions militaires nord-américaines ont lieu en 1906-1909 à la demande du premier président de Cuba, Tomás Estrada Palma, farouche partisan de l’annexion, et en 1917-1919. Cela n’empêche pas la montée des luttes populaires entre 1915 et 1933, surtout dans le secteur ferroviaire. Un Parti communiste est fondé en 1925 par Balino et Mella. Apparaissent également à cette époque les premiers syndicats nationaux tels que le Syndicat national des ouvriers de l’industrie sucrière (S.N.O.I.A.). Pour tenter d’endiguer les luttes ouvrières, une dictature féroce est instaurée avec Gerado Machado (1925-1933). La crise de 1920-1925 et celle de 1926-1929 s’accompagnent de la dépression de 1929 à 1933, qui se traduit par la réduction du commerce extérieur, surtout des exportations de sucre, la réduction de la production de sucre (176 sucreries en 1926, 135 en 1933), la réduction de la durée de la récolte, qui passe de 120 à 66 jours en 1933, et par la réduction des revenus. Après la chute de Machado le 12 août 1933, le gouvernement Grau San Martín, sous la pression populaire, parvient à obtenir l’abrogation de l’amendement Platt par le traité de 1934. Un ministère du Travail est créé, les femmes ont le droit de vote, l’autonomie universitaire est garantie et l’île des Pins retourne sous la souveraineté cubaine. De plus, un régime répressif freine le mécontentement populaire. Le fer de lance de cette répression est l’armée de mercenaires organisée par les Nord-Américains pendant la première occupation. Elle devient en septembre 1933 l’instrument docile d’un groupe de sergents insurgés et de leur caudillo Fulgencio Batista. Un nouveau président, le colonel Carlos Mendiota, succède à Grau, déposé par l’armée le 4 septembre 1933. En voulant s’attaquer aux syndicats, il provoque une grève massive en mars 1935. En mai 1936, Miguel Mariano Gómez est élu président. Mais cet ancien maire de La Havane se heurte immédiatement aux militaires. Il est destitué la même année et c’est son vice-président, Laredo Brú, qui s’emploie à obéir à Batista. Ce dernier, l’homme fort du régime depuis 1933, réussit à se faire élire président après la promulgation de la Constitution de 1940. Il ne réussit pas cependant à obtenir un second mandat en 1944 et doit se retirer à Miami pour jouir en paix des millions qu’il a accumulés. Le vainqueur des élections est Grau San Martín, chef du Parti authentique, auquel succède Prío Socarras (1948-1952); tous deux réussissent à combiner répression et corruption dans une caricature grotesque de la démocratie représentative. Le 10 mars 1952, le coup d’État de Batista met fin à la constitution: les partis sont proscrits et la corruption est portée à son degré le plus élevé. La dictature de Batista dure jusqu’au 31 décembre 1958. La répression et le pillage atteignent un paroxysme. Les groupements nord-américains possèdent en 1956 90 p. 100 des services publics du téléphone et de l’électricité, 50 p. 100 des chemins de fer et 40 p. 100 de la production sucrière. Le capital monopoliste qui s’était investi dans les banques contrôle les industries minières, le tabac, le commerce extérieur et le tourisme. Cuba est alors complètement sous la dépendance économique et financière des États-Unis. Cette dépendance est telle que Cuba doit importer en 1958 des États-Unis près de la moitié de ses légumes et fruits, frais et en conserve. Vu la faiblesse de sa production vivrière, elle est obligée de consacrer plus de 200 millions de dollars à l’achat d’aliments ou de matières premières d’origine agricole. À La Havane se concentre une classe de privilégiés vivant dans le confort au milieu d’une population en augmentation croissante depuis 1925 (4,8 millions en 1943). Le chômage s’aggrave partout, touchant 600 000 ouvriers agricoles.

4. La révolution cubaine

Le 1er janvier 1959, les combattants du Mouvement du 26-Juillet entrent victorieux à Santiago de Cuba. Fidel Castro, leur chef, peut alors affirmer: «Enfin, nous sommes arrivés à Santiago! Notre chemin a été long et difficile, mais nous sommes arrivés. Cette fois-ci, heureusement pour Cuba, la révolution aboutira réellement; cela ne sera pas comme en 1898, lorsque les Américains se firent les maîtres de notre pays, intervinrent au dernier moment et ne laissèrent même pas entrer à Santiago de Cuba Calixto García, qui avait combattu durant trente ans...» Le 8 janvier, ils sont à La Havane. Les premières mesures prises consistent à châtier les principaux responsables des crimes commis sous la tyrannie de Batista et à procéder à la confiscation des biens mal acquis. L’armée de mercenaires est dissoute ainsi que les partis politiques au service de l’oppression. La direction corrompue des syndicats est balayée, la Compagnie cubaine des téléphones, monopole yankee, passe sous le contrôle de l’État le 3 mars. Le 6, une loi diminue jusqu’à concurrence de 50 p. 100 les loyers élevés. Le 21 avril, toutes les plages du pays deviennent publiques et la discrimination raciale est combattue. Le 17 mai, la première loi de réforme agraire est promulguée sous l’égide de l’Institut national de la réforme agraire (I.N.R.A.). Le 20 août, les tarifs de l’électricité sont abaissés. Le chômage est résorbé par l’industrialisation et par de grands travaux; l’éducation et la santé publique sont améliorés. Les bidonvilles, la mendicité, le jeu, la prostitution sont éliminés progressivement. Le 26 octobre, les milices nationales révolutionnaires sont constituées. Un nouveau gouvernement est mis en place avec le concours de représentants de la classe moyenne tels que Manuel Lleo Urrutia, Oswald Dórticos et José Miró Cardona. Mais le pouvoir réel se concentre dans les mains de Fidel Castro, devenu Premier ministre, et de ses amis.

Conflits avec l’impérialisme nord-américain

Au début de 1960, les événements se précipitent et vont déclencher une accélération du processus de rupture avec les États-Unis. Irrité par l’expropriation de 1 200 000 hectares appartenant à ses citoyens, l’État fédéral ne renouvelle pas le Sugar Act et décide le 10 octobre l’embargo total sur les exportations et importations cubaines en vertu de l’Export Control Act. À partir du mois de juillet 1960, le gouvernement cubain procède à des nationalisations systématiques des biens nord-américains en deux étapes: par la loi du 6 juillet et par les résolutions du 6 août et du 24 octobre. La totalité des investissements nord-américains passe, sans contrepartie, sous le contrôle de l’État cubain. Onze sociétés perdent 1 691 500 hectares de terres, soit 47,4 p. 100 des terres consacrées à la culture de la canne et les biens de 140 000 investisseurs particuliers. Les relations avec l’U.R.S.S. étant rétablies (8 mai), un contrat d’achat du sucre payé en devises (20 p. 100) et en pétrole est signé en février. Le refus de raffiner ce pétrole entraîne d’abord la réquisition puis la nationalisation des raffineries (de propriété nord-américaine). La C.I.A. avec l’accord de John Kennedy recrute, arme et entraîne des Cubains anticastristes dans des camps secrets en Floride, au Guatemala et au Nicaragua. Des avions portant les couleurs des forces aériennes cubaines attaquent des bases à l’aube du 15 avril 1961. Deux jours plus tard, une force mercenaire de près de 2 000 hommes débarque dans la baie des Cochons (Playa Girón) et se fait écraser en moins de 72 heures par les milices populaires cubaines ; 1 179 survivants sont faits prisonniers. Ils seront renvoyés aux États-Unis en juillet 1975 en échange de 53 millions de dollars de produits alimentaires et pharmaceutiques. En janvier 1962, Cuba est exclu de l’Organisation des États américains (O.E.A.) à la réunion de Punta del Este. Après le rétablissement des relations diplomatiques avec l’U.R.S.S. le 8 mai 1960, des armes furent livrées gratuitement à Cuba pour équiper les Forces armées révolutionnaires (F.A.R.). Des milliers de spécialistes militaires et de techniciens soviétiques aidèrent à instruire ces forces armées et apportèrent leur assistance à presque toutes les branches de l’économie. Le ministère des F.A.R., créé le 16 octobre 1959, et les milices nationales révolutionnaires – nées le 26 octobre – reçurent l’appui de l’U.R.S.S. et de plusieurs pays de l’Est. Nikita Khrouchtchev, dès le 9 juillet 1960, faisait observer que «les États-Unis n’étaient pas à une distance infranchissable de l’U.R.S.S.» et que «nous ferons tout pour soutenir Cuba [...] l’artillerie soviétique défendra le peuple cubain avec ses fusées [...]». Peu de jours après, le 12 juillet 1960, il affirmait qu’il considérait comme dépassée la doctrine de Monroe, et Ernesto Che Guevara saluait l’Union soviétique comme étant «la plus grande puissance militaire de l’histoire». Le 18 avril 1961, peu après l’invasion de la baie des Cochons, Khrouchtchev réitéra sa volonté d’aider à la défense de Cuba. Conclu le 4 septembre 1962, l’accord soviéto-cubain d’aide technique et militaire fut publié dans la Pravda du 13 septembre. Le gouvernement soviétique, de son côté, dans la Pravda des 4 et 11 septembre, déclarait qu’une attaque des Nords-Américains contre Cuba déclencherait une guerre nucléaire. Après l’échec de sa tentative d’agression, l’administration nord-américaine continua des préparatifs d’intervention directe; ceux-ci furent dévoilés le 27 avril 1961 par le député démocrate du Connecticut Frank Koualski, qui mentionna ces plans de guerre dans un discours à la Chambre reproduit dans le Stone Weekly du 8 mai. La «crise des fusées» éclata le 14 octobre 1962 quand des avions espions U-2 eurent la preuve (par des photographies) que des missiles soviétiques avec leurs rampes étaient implantés dans les provinces occidentales de Cuba où se trouvaient également des techniciens russes. Aussitôt, malgré les démentis de Khrouchtchev, le président Kennedy avec l’appui de l’O.E.A. regroupa 150 000 réservistes en Floride et au Nicaragua. Les menaces de guerre s’intensifièrent jusqu’au 28 octobre, date choisie par Khrouchtchev pour annoncer le démantèlement des rampes et le retour des armes dites offensives en U.R.S.S. tandis que les États-Unis s’engageaient de leur côté à ne pas envahir Cuba. La C.I.A. continua cependant ses activités de subversion et de sabotage. Plusieurs tentatives d’attentat contre Fidel Castro et d’autres dirigeants cubains eurent lieu, ainsi que des actions d’espionnage, de sabotage technique contre la production et des attaques de navires cubains en haute mer.

La construction du socialisme

Le 16 avril 1961, au cours des funérailles des victimes des attaques aériennes, Fidel Castro proclame pour la première fois: «Compagnons, ouvriers et paysans, ceci est la révolution socialiste et démocratique des humbles, par les humbles et pour les humbles.» La révolution s’en prend alors aux gros propriétaires agricoles qui soutiennent les mouvements de contre-révolution aidés par la C.I.A. Leur élimination est l’objet de la seconde loi de réforme agraire du 3 octobre 1963 qui abaisse à 5 caballerías (67 ha) la superficie maximale des exploitations agricoles. En outre, Cuba opte pour une stratégie de développement accéléré de la production sucrière, considérée comme une étape provisoire sur le chemin de la future diversification agricole et industrielle. La spécialisation dans le sucre (objectif pour 1970: 10 millions de tonnes) est présentée comme un raccourci vers l’industrialisation. Mais la production du sucre n’atteindra en 1970 que 8,5 millions de tonnes, tandis que la production d’acier aura diminué de 38 p. 100 par rapport à 1969, et celle des chaussures de 20 p. 100. L’alignement de Cuba sur l’U.R.S.S. s’opère à mesure que s’accroît la dépendance économique (fournitures de pétrole). En décembre 1970, la Commission intergouvernementale soviéto-cubaine pour la coopération économique, scientifique et technique est créée. Centre de discussion de tous les problèmes qui intéressent les deux pays, cette commission est un organe supranational de décision. La première réunion a eu lieu à La Havane en septembre 1971. La deuxième session s’est tenue à Moscou et a décidé du programme d’électrification et de celui de la modernisation des ports. L’intégration économique de Cuba – qui adhère au C.A.E.M. le 10 juillet 1972 – aux pays d’Europe de l’Est est de plus en plus dirigée par des experts membres de commissions bilatérales ou multilatérales. Fidel Castro se réserve un domaine regroupant la réforme agraire et la santé et conserve un rôle d’arbitre. Les exportations vers les pays frères se concentrent sur trois ou quatre marchandises: sucre brut, non raffiné, minerai de nickel, fruits tropicaux. Cuba importe 75 p. 100 de ses céréales, 68 p. 100 de son acier et pratiquement 100 p. 100 du coton qu’elle utilise.

Le pouvoir communiste

Tous les révolutionnaires (55 000) sont rassemblés en un seul parti dont Fidel Castro est le secrétaire général: le Parti communiste cubain créé le 1er octobre 1965. À Matanzas, en 1974, est inauguré un nouveau système d’élection au suffrage universel secret des représentants aux assemblées municipales et provinciales. Cet essai de pouvoir populaire doté d’amples responsabilités en matière de gestion des services (écoles, hôpitaux, commerce, magasins, entrepôts de vivres, cinémas, centres de loisirs, transports) sera généralisé. Les délégués administrent 5 597 unités de production et de services. Du 16 au 26 mai, des assemblées nomment les candidats aux élections du 30 juin 1974. Le critère essentiel est le suivant: toutes les unités de production et de services travaillant pour la communauté, c’est-à-dire pour la localité, doivent être du ressort de la localité. Le premier congrès du P.C.C. a lieu en décembre 1975. Le parti compte alors environ 200 000 membres. Une nouvelle constitution est adoptée par référendum le 15 février 1976 et promulguée le 24 février. Des représentants aux assemblées provinciales sont élus ainsi que ceux de l’Assemblée nationale, élus pour cinq ans en octobre 1976. Cette dernière assemblée nomme un Tribunal suprême et élit en son sein les 31 membres du Conseil d’État, dont un président qui devient chef de l’État et du gouvernement, commandant en chef des Forces armées révolutionnaires (en 1982 Fidel Castro). Sur le plan régional, le nombre des municipios passe de 407 en 1973 à 169 et celui des provinces de 6 à 14, par souci d’homogénéité. Le feu vert est également donné pour le plan quinquennal de 1976-1980, le premier du genre adopté officiellement. Un deuxième congrès du Parti communiste se tient à La Havane en 1981 et soumet à l’examen des participants un projet de plan pour le quinquennat 1981-1985.

Cuba et l’Afrique

Après la longue tournée de «Che» Guevara en Afrique (de juin à septembre 1959), c’est en 1961 que commence à Cuba l’entraînement des guérilleros africains. Ce sont d’abord les hommes de l’U.P.C. (Union des populations camerounaises), du P.A.I. (Parti africain de l’indépendance, Sénégal) et de Zanzibar qui viennent se former. Plusieurs gouvernements africains font appel à l’aide et au matériel cubains pour constituer des milices populaires (Guinée en 1966-1968, Congo-Brazzaville également en 1966-1968), pour avoir des instructeurs et des conseillers militaires ou une garde présidentielle (P.A.I.G.C. ou Partido africano da independencia da Guiné e Cabo Verde, Congo-Brazzaville, M.P.L.A. angolais). Des guérilleros sont formés aussi en Afrique même, en Tanzanie (camps de Kongwa et Mbeya), au Río Muni (ancienne Guinée équatoriale espagnole) et en Somalie. Un accord de coopération civile et militaire a été signé avec la Guinée-Bissau le 18 septembre 1974 et des accords du même type ont été passés après l’indépendance du Mozambique (25 juin 1975), des îles du Cap-Vert (5 juillet 1975), des îles Saõ Tomé et Príncipe (12 juillet 1975) ainsi qu’avec l’Angola en 1975-1976. Cette coopération cubano-africaine a été renforcée par le périple africain de Fidel Castro du 28 février au 8 avril 1977 et au cours de sa tournée du 10 au 20 septembre 1978. À l’aide à l’Angola (opération Carlota) succède la mission Protestation de Baragua dans la Corne de l’Afrique. C’est en mars 1978 qu’est connue officiellement l’intervention des troupes cubaines aux côtés de l’armée éthiopienne dans la reconquête de l’Ogaden, et le 24 avril de la même année Fidel Castro accueille avec éclat à La Havane le chef d’État éthiopien Mengistu Haïlé Mariam.

5. Organisation et développement économiques

Une série de catastrophes naturelles ont affaibli le potentiel économique de Cuba au cours du quinquennat 1976-1980. Les cyclones David (1979) et Allen (1980) ont causé de nombreux dégâts, la «rouille» a endommagé le tiers des plantations de canne à sucre, la moisissure bleue du tabac a détruit 80 p. 100 de la récolte de 1980, la peste porcine enfin a nécessité l’abattage d’une partie du cheptel. Les projets d’industrialisation ayant été perturbés par la baisse des cours du sucre et la hausse concomitante des prix du pétrole, des matières premières et des machines importées, leur réalisation a été reportée au quinquennat suivant (1981-1985). Une difficulté majeure obère le développement économique cubain: la très faible productivité du travail et l’insuffisante mobilisation des travailleurs qui entraîne des gaspillages, des retards importants et des ruptures d’approvisionnement. Les conséquences en sont les mêmes qu’en U.R.S.S.: mauvaise administration et inefficacité. La capacité des installations n’est que partiellement utilisée, les transports sont désorganisés, des biens d’équipement importés à grands frais sont inutilisables pour avoir été durant des mois exposés aux intempéries sur des terrains vagues à proximité des ports. Dans le plan établi pour 1981-1985, la politique d’industrialisation s’articule autour des branches tournées vers l’exportation (industrie sucrière, nickel) et il est prévu de créer des industries de biens d’équipement pouvant se substituer aux importations et apporter un soutien logistique à la production agropastorale (industrie chimique, mécanisation et irrigation). Un nouveau système de direction et de planification de l’économie a été établi en 1975: introduction de l’autonomie comptable au niveau des unités de production, codification des obligations contractuelles dans le domaine des échanges intersectoriels, stimulation matérielle, etc. Pour remédier à l’insuffisance de la productivité du travail, des mesures spécifiques sont prises et une réforme des salaires est décidée. L’augmentation moyenne prévue du produit social brut (P.S.B.) – seul indicateur de croissance utilisé par la comptabilité nationale cubaine – était de 5 p. 100 par an au cours de la période 1981-1985 au lieu de 4 p. 100 par an en 1976-1980. La contribution de l’industrie au P.S.B. devait atteindre 50 p. 100 en 1985 (contre 35 p. 100 en 1977). Mais l’effort principal porta sur le secteur de l’énergie. Outre la modernisation des deux principales raffineries de pétrole, il était prévu de construire une centrale à accumulateur hydraulique et la première centrale nucléaire cubaine.

6. Cuba entre l’Est et l’Ouest

Après le triomphe de la révolution castriste, un groupe très réduit de citoyens émigra vers les États-Unis. Puis les portes du pays furent laissées grandes ouvertes à tous ceux qui voulaient quitter Cuba. «Les gros propriétaires fonciers, les bourgeois, les politicards, les sbires, les proxénètes, les exploiteurs du vice et même le lumpenprolétariat saisirent l’occasion» (Rapport du comité central du Parti communiste cubain au Ier congrès, Fidel Castro). Phénomène migratoire que Fidel Castro appelle cependant le pillage de Cuba par les États-Unis, qui arracha des milliers de médecins, de nombreux ingénieurs, architectes, professeurs, instituteurs, laborantins et techniciens en général, ainsi que le personnel qualifié du secteur industriel et des centres de production importants. «Tel fut, dit Castro, le dernier mouvement annexionniste fomenté par les classes réactionnaires à Cuba» (Id.). La révolution ne voyait pas d’intérêt à ce que quiconque restât à Cuba contre son gré et estimait que l’édification du socialisme devait être l’œuvre des patriotes et des partisans fortement motivés. Les Cubains émigrés, les gusanos, se rendirent pour la plupart en Floride, principalement à Miami. En avril 1980, l’exode, par le port de Mariel, de plus de 100 000 Cubains vers la Floride a été provoqué d’abord par la première prise de contact autorisée entre Cubains de l’île soumis au régime du rationnement et Cubains de Miami chargés de cadeaux et de vivres pour leurs parents. Ce départ a beaucoup marqué les dirigeants comme la population. Selon des estimations de 1982, environ un million de personnes auraient été disposées à choisir l’exil si elles en avaient la possibilité. La libéralisation économique et politique esquissée par le gouvernement pour amortir le choc de Mariel avait consisté à élargir le «marché libre paysan», à encourager l’artisanat. Mais ces mesures n’ont pas suffi: le marché noir et la spéculation se sont en conséquence rapidement développés. Fidel Castro lui-même, après avoir dénoncé l’«évolution néo-capitaliste», a incité les agriculteurs privés à adhérer au mouvement coopératif qui contrôle déjà 35 p. 100 des 1,5 million d’hectares encore aux mains de petits agriculteurs privés (20 p. 100 de la surface cultivée de Cuba). La récolte de canne à sucre a été bonne en 1982, avec 8,2 millions de tonnes de sucre, mais le prix de la livre de sucre a chuté sur le marché international à moins de 8 cents, prix inférieur au coût de production cubain. Cuba a conclu des accords préférentiels avec l’U.R.S.S., ce qui lui permet d’écouler une partie de sa production à des prix intéressants. L’austérité et la récession s’aggravent toutefois quand on tient compte des 3 milliards de dollars de dette à l’égard de banques privées occidentales (surtout canadiennes et japonaises). Sur le plan du commerce extérieur, le volume des échanges avec les pays du C.A.E.M. et notamment avec l’U.R.S.S. devait augmenter de 30 p. 100. L’accord de commerce signé avec l’U.R.S.S. le 26 juin 1981 pour la période 1981-1985 prévoyait un accroissement de 50 p. 100 des échanges bilatéraux (industrie sucrière, nickel, sidérurgie, matériaux de construction) pour une valeur totale de 30 milliards de roubles. La spécialisation poussée et l’intégration dans le C.A.E.M. privilégiaient le sucre dans l’économie. La superficie plantée en canne devait donc passer en 1990 de 50 à 66 p. 100 des terres cultivées. L’aide soviétique, estimée à plus de 3 milliards de dollars en 1982, concernait principalement le pétrole: 61 millions de tonnes devaient être livrés à Cuba de 1981 à 1986. Le gouvernement de La Havane cherchait surtout à se dégager de l’image stéréotypée de «producteur de sucre» que Cuba avait au sein du C.A.E.M. Son action s’oriente vers une limitation de la consommation intérieure, une relance de l’ouverture à l’Ouest – surtout vers la France, le Canada et le Mexique – pour combattre les effets de l’«offensive Reagan», des économies d’énergie et une volonté de trouver un autre type de relations avec les pays de l’Est. Un nouveau code des investissements prévoyait la création d’entreprises mixtes – comme en Pologne ou en Hongrie – pouvant intéresser des pays tels que l’Espagne ou le Japon avec le rapatriement d’une partie des bénéfices de ces sociétés. Les relations entre La Havane et Washington se dégradèrent à l’arrivée de l’administration Reagan. Les dirigeants cubains virent d’un mauvais œil le projet de Radio-Martí, un puissant émetteur destiné à intensifier l’action de la propagande nord-américaine à Cuba. Cependant, ils se sont découvert un allié singulier en la personne de Wayne Smith qui a dirigé la section des intérêts nord-américains à La Havane de 1979 à août 1982, après avoir été pendant deux ans le responsable des affaires cubaines au Département d’État. Dans un article publié dans la revue Foreign Policy intitulé «Diplomatie myope», il affirme que les États-Unis n’ont jamais eu de «politique efficace» face au castrisme. W. Smith dénonce l’illusion que l’État fédéral pourrait mettre Cuba au pas, comme n’importe quelle Banana Republic, les tentatives de se servir de Cuba pour des raisons de politique intérieure nord-américaine et la psychose collective tenant à la proximité géographique de ce pays marxiste. À trois reprises au moins, dévoile l’ancien diplomate: deux fois en 1981 et en avril 1982, le régime castriste était prêt à négocier avec Washington. Il aurait été éconduit les trois fois. Reconnaissant que «Fidel Castro est un révolutionnaire convaincu», Wayne Smith pense qu’«il n’est pas impossible de s’arranger avec lui», à condition de remplacer «les menaces et les pressions» par une politique de rapprochement «progressif».

7. D’une dépendance à l’autre

Le choix d’un modèle de développement copié sur l’Union soviétique en 1975 provoqua une division des dirigeants. Le IIIe congrès du Parti communiste cubain, en février 1986, n’avait pas approuvé le IIIe plan quinquennal (1986-1990). Deux clans s’opposèrent, celui des «pragmatiques», prosoviétiques, recommandant une réforme, et celui des partisans, entraînés par Fidel Castro lui-même, d’une «contre-offensive révolutionnaire». L’agriculture cubaine, qui représentait près de 70 p. 100 de la couverture des exportations, n’assurait pas les besoins de la population. Il devenait nécessaire d’importer céréales, riz, maïs, graisses végétales et viande. Aux insuffisances du secteur agrochimique et de l’équipement technique s’ajoutait un manque de productivité de la main-d’œuvre. La collectivisation des exploitations privées, commencée en 1977 (coopératives de production agricole, C.P.A.), permit de nationaliser 61 p. 100 des terres agricoles en 1986. Les surfaces consacrées aux agrumes augmentèrent, passant de 10 000 hectares en 1975 à 100 000 hectares en 1984. En 1958, 67 p. 100 des exportations cubaines étaient destinées aux États-Unis, qui fournissaient 70 p. 100 des importations. En 1975, 10,3 p. 100 des exportations et 23,2 p. 100 des importations s’effectuaient avec la C.E.E. (y compris l’Espagne). En 1988, le commerce extérieur cubain était dominé par les échanges commerciaux avec les pays du C.A.E.M.: 86,8 p. 100 des exportations et 80 p. 100 des importations. La part de la C.E.E. se restreignit, passant à 3,6 p. 100 pour les exportations cubaines et à 5,9 p. 100 pour les importations. Le taux de couverture des importations par les exportations chuta de 95 p. 100 en 1975 à 70 p. 100 en 1986. Les données permettent de supposer une croissance annuelle moyenne du revenu national de 5,9 p. 100 entre 1975 et 1984, répartie ainsi: 38,7 p. 100 du revenu national créé en 1984 ressortissait au commerce et 33,6 p. 100 à l’industrie. La production industrielle continua d’être dominée par le sucre et la transformation du pétrole importé d’U.R.S.S. Si le taux moyen annuel de croissance fut de 6,2 p. 100 pour la période 1976-1986, on enregistra un ralentissement à partir de 1980-1985. L’accroissement de la production industrielle, qui était de 5,6 p. 100 en 1985, chuta en 1986 de 0,4 p. 100 par rapport à l’année précédente.

Cuba exportait 80 p. 100 de sa production de sucre vers les pays socialistes, dont 60 p. 100 vers l’U.R.S.S. La part vendue sur le marché libre tomba de 32 p. 100 en 1975 à 22 p. 100 en 1986. Cette chute provoqua un accroissement du déficit du commerce extérieur.  L’explication du déficit grandissant du commerce extérieur cubain réside dans la structure par produits des exportations (les produits alimentaires comptent pour plus de 80 p. 100). Or ces exportations s’appuyaient sur la monoculture sucrière, dépendante des conditions climatiques (cyclones, sécheresse, pluies), des moyens de production (usines vétustes) et des fluctuations des prix du marché. Cuba achetait d’autres biens d’équipement et de consommation dans les pays d’Europe occidentale (C.E.E.). La faiblesse des exportations cubaines vers ces pays explique l’endettement, qui s’élevait à 7,277 milliards de dollars en 1986. Cuba demanda au Club de Paris un réexamen du règlement de sa dette en 1987 et 1988. Pays fournisseur de matières premières et de semi-produits, Cuba manquait de moyens pour reconstruire son appareil productif et créer des industries de transformation diversifiées. L’aide de l’U.R.S.S. – évaluée à 4 milliards de dollars – et des pays du C.A.E.M. ne permit pas de relancer l’économie dans certains secteurs et d’améliorer le niveau de vie de la population. En outre, Cuba devait rembourser les crédits accordés par l’U.R.S.S. sous forme de livraisons accrues de sucre. Or cette augmentation des livraisons de sucre, de nickel, d’agrumes et de tabac vers les partenaires du C.A.E.M. empêcha Cuba de s’acquitter de sa dette envers les pays occidentaux et d’acquérir auprès d’eux les biens de consommation et industriels nécessaires à son développement économique.

8. Le socialisme ou la mort

L’écroulement du camp socialiste provoqua une profonde crise économique à Cuba. L’éclatement de l’U.R.S.S. en 1991 incita le gouvernement cubain à négocier des accords de coopération économique et commerciale avec plusieurs des anciennes républiques réunies en décembre 1991 en une Communauté d’États indépendants (C.E.I.). Les échanges avec les pays de l’ancien C.A.E.M. représentaient 70 p. 100 du commerce extérieur de Cuba. La situation désastreuse de l’économie russe ne permet plus de telles facilités. En janvier 1991, la plupart des transactions, y compris les livraisons de pétrole, ont été facturées en devises fortes. Ces restrictions entraînèrent une pénurie d’énergie et de produits alimentaires de première nécessité et obligèrent notamment les Cubains à utiliser des bicyclettes chinoises. Dans les campagnes, les tracteurs furent remplacés par des bœufs. Le IVe congrès du Parti communiste cubain, en octobre 1991, avait pour thème «la préparation de la société pour la défense de la patrie et de la révolution». Les travaux de ce congrès (1 800 délégués) visaient à adapter le socialisme cubain à la «période spéciale en temps de paix», décrétée en novembre 1990 pour faire face à la diminution des aides de l’ancien camp socialiste. Mikhaïl Gorbatchev annonça, le 11 septembre 1991, le retrait d’une «brigade d’entraînement» soviétique de 3 000 hommes et révéla la présence de 11 000 militaires de son pays à Cuba. Confronté à l’option zéro (arrêt total des livraisons de pétrole et des marchandises agricoles en provenance de l’ex-U.R.S.S.), le gouvernement castriste invita la population à endurer de sévères restrictions. Le secrétariat du comité central et la catégorie de membres suppléants ont été supprimés, le principe de l’élection au suffrage universel des députés de l’Assemblée nationale cubaine adopté. Un comité central de 225 membres chargé de défendre la ligne communiste orthodoxe a été élu. Fidel Castro et son frère Raul ont été réélus dans leurs fonctions de premier et de second secrétaire. Fidel Castro stigmatisa: «Le multipartisme est une multicochonnerie. La prétendue démocratie bourgeoise occidentale, qui n’a rien d’une démocratie, est une ordure.»

Des officiers ont été écartés du nouveau comité central, comme les généraux Raul Menendez, vice-ministre de la Défense, et Ramon Pardo, ancien chef de l’armée d’Occident, successeur d’Ochoa. La mise à l’écart, le 24 février 1992, de Manuel Pineiro, responsable du département Amériques du comité central du Parti communiste cubain, a marqué l’abandon définitif de l’«exportation de la révolution». Le congrès se prononça contre le projet de commercialisation privée des produits agricoles. Fidel Castro estima que le rétablissement des «marchés libres paysans sèmerait la démoralisation et la corruption». Des mesures ont été prises dans les unités de production agricole contre la délinquance et le vol. Une politique de «rationalisation» provoqua la mise «en disponibilité», en janvier 1992, de 22 500 fonctionnaires dépendant du ministère de l’Agriculture et de 50 000 employés au ministère de la Construction. La suppression de ces emplois dans le cadre d’une réorganisation des organismes centraux de l’administration cubaine permit d’accroître le nombre des travailleurs aux champs. Pour relancer l’économie, le congrès décida de permettre aux artisans (charpentiers, plombiers, mécaniciens...) travaillant pour leur propre compte de conserver leurs gains. Il envisagea des moyens pour stimuler le tourisme et faire appel aux investissements étrangers. Huit mouvements dissidents se sont regroupés au sein d’une Concertation démocratique cubaine (C.D.D.). Ils réclament des élections libres, une nouvelle constitution et la libération des prisonniers politiques. Plus de 2 000 Cubains ont réussi, en 1991, à traverser le bras de mer de 150 kilomètres de largeur qui sépare Cuba des îles Keys sur de petites embarcations (balsas). Selon les estimations des autorités nord-américaines, il y aurait eu autant de morts, victimes des courants défavorables et des requins. Ces Cubains (balseros) viennent grossir la communauté anticastriste de Miami, qui compterait plus d’un million de personnes.

Retour en Haut de la page
Fermer cette fenêtre  Imprimer cette page

Ce site est enregistré auprès de la CNIL sous le numéro 746623 & hébergé par  AMEN.FR
© Marilyn Monroe, LLC c/o CMGWorldwide
Tous droits réservés © 1998-2018 Erich DEPUYDT
Notice Légale
ED  30-10-2013
Free counter and web stats